La minorité majoritaire et la schizophrénie règnent

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Bien plus que les négociations elles-mêmes sur la fixation d’un nouveau plafond de la dette des USA, bien plus que l’issue de ces négociations, avec les perspectives diverses, y compris les enchaînements crisiques ou les menaces de dégradations de la sacro sainte notation (AAA) de cette puissance, il faut répéter qu’importe absolument le climat politique régnant autour de ces négociations comme aspect le plus important de la situation washingtonienne. C’est autour de ce thème, essentiellement, qu’il faut mesurer le poids de l’événement qui doit formellement être conclu le 2 août (limite pour fixer le nouveau plafond). L’événement nous emmènera bien au-delà, quelle qu’en soit la conclusion, avec un palier de plus franchi dans l’évolution autodestructrice, – schizophrénique dans ce cas, – des USA et du Système dont ces mêmes USA sont le plus beau fleuron, le serviteur zélé et en bonne partie l’inspirateur, – tout cela à la fois, performance peu commune.

Sur le sujet du débat lui-même, cette nouvelle menace de l’agence de notation S&P suffit à notre édification où se mêlent des considérations tactiques, le goût des pressions permanentes et aussi une réelle crainte que cet ensemble de puissance de plus en plus désordonnée que sont les USA se laissent emporter dans le gouffre de l’incontrôlabilité. Reuters rapporte cette menace, ce 21 juillet 2011 : «Standard & Poor's reiterated on Thursday it sees a real risk that future U.S. government deficits may meaningfully miss discussed targets and that there is a 50-50 chance the U.S. AAA credit rating could be cut within three months, perhaps as soon as August.»

• …On négocie, certes, mais dans quelle atmosphère ! Le président Obama est un homme étrange ; ce centriste avéré, homme de tous les compromis, qui claque la porte théâtralement pour mieux revenir à la table des négociations, se retrouve finalement dans chaque occurrence enfermé dans des tractations avec la partie la plus extrémiste du parti d’opposition à lui-même. Entre tous les cercles législatifs qui lui font face (le Congrès entier, la Chambre des Représentants, la majorité républicaine de la Chambre, la minorité extrémiste de la majorité républicaine de la Chambre), Obama se retrouve enfermé, par négociateurs interposés, avec le plus restreint, le plus radical, le plus étranger au compromis, – la minorité extrémiste de la majorité républicaine de la Chambre… Notez que l’auguste Sénat, républicains et démocrates mêlés, commence à faire entendre sa voix pleine de frustration d’être ainsi complètement écarté des négociations par le président. Politoco.com rapporte, ce 21 juillet 2011, la frustration pompeuse et de toutes les façons impuissante des sénateurs.

«The White House faced a near rebellion from senators who were blindsided by word of a possible deal between President Barack Obama and House Speaker John Boehner, with Democrats worried the president would cave on taxes while Republicans complained about being left in the dark on a potentially historic deficit plan.

»Furious Democrats directed their ire squarely at Obama’s budget director, Jack Lew, at a closed-door lunch meeting, while Republicans peppered their leaders with questions about the possibility of being jammed into a multitrillion-dollar bill with virtually no time for review. The frustration was evident in virtually all corners of the Senate on Thursday as it became increasingly possible that the body where landmark deals are usually made could effectively be left out of this one. “On something of such profound public importance,” freshman Sen. Mike Lee (R-Utah) said, “I’m stunned.”»

• Sur cette fraction vers laquelle Obama finit toujours par se tourner, sur ce parti républicain qui semble emporté dans une course sans fin vers la radicalisation, vers la fureur qui se reporte contre tous les fondements de l’Amérique et de son rêve constitutionnaliste, tout a été dit et tout continue à être dit en vain. Les hypothèses les plus furieuses, les dénonciations les plus radicales sont réulièrement proférées... Voici celle de Cliff Schecter, qui dirige une association progressiste, sur Alternet.org, ce 21 juillet 2011. Il se demande avec horreur où est passé ce parti républicain si attaché à la défense de l’Amérique, de l’idée américaniste en un sens, ce parti devenu celui des traîtres, des démolisseurs, des sécessionnistes…

«But then again, what should we expect from a movement whose leaders, such as that dimwitted dolt known as Texas Governor Rick Perry, openly discuss secession? Or, as I pointed out in last week's column, the blood diamond-accruing conman Pat Robertson, who has wished Sodom-like destruction on the United States, because gay couples in New York now have the right to marry?

»Secession? Destruction? There used to be a term to describe people who wished these tragedies would befall their own country. Today that term is “Republican presidential candidate”, whether from the recent past (Robertson in 1988) and potentially – God help us – the future (Perry in 2012).»

«God help us» ? Dieu a-t-il vraiment du temps à encore consacrer à cette agitation schizophrénique que sont devenus le Washington du Système et, d’une façon plus générale, tous les centres du bloc américaniste-occidentaliste plongés dans le chaos d’une crise qui est la leur et dont personne parmi eux n’est capable de distinguer la nature ? Il n’y a plus rien à attendre qui puisse alimenter une réflexion sensée, à Washington, aujourd’hui, sinon un jugement systématiquement antagoniste à ce qui s’y fait. Il est hors de question de chercher des responsabilités, de faire porter à l’un ou à l’autre (les républicains extrémistes, dans ce cas) la responsabilité de cette situation. Tout le monde a sa part, à commencer par le brillant président Obama, qui présente le cas le plus fascinant de tant de vertus humaines et intellectuelles mises au service de la politique la plus médiocre, la plus complètement soumise au nihilisme du Système.

Il est évident que nous sommes bien loin de comprendre le quart de la moitié de la situation washingtonienne et des USA si l’on s’en tient aux chiffres, tout vertigineux qu’ils sont, et aux perspectives budgétaires et économiques, toutes catastrophiques qu’elles seraient éventuellement en cas d’échec des négociations, et selon les avis pessimistes, ou bien simplement comptables, ou bien éventuellement intéressés (les agences de cotation travaillant pour faire triompher l’étrange mais évidente “cause” de Wall Street). Nous ne serions pas loin de considérer que la situation serait (sera ?) encore pire si un accord boiteux et donnant nécessairement l’image de faire la part belle aux “‘extrémistes républicains” est atteint, plutôt que pas d’accord. Un tel accord ne réglerait rien du point de vue budgétaire et de la dette, il exacerberait les tensions politiques, entre démocrates et républicains, entre républicains modérés et républicains extrémistes, entre Obama et le Sénat, entre l’opinion publique et Washington… Ce qui serait, considérée d’un autre point de vue, celui de l’“inconnaissance” après tout, comme la situation la plus souhaitable puisqu’accélératrice de la crise du Système as a whole au travers de la crise des USA as a whole, encore bien plus que le possible ouragan financier et économique qu’on nous promet en cas de non-signature d’un accord.

L’essentiel dans la situation washingtonienne, c’est la dimension psychologique, et la schizophrénie galopante qui prolifère, qui a fait passer à une nouvelle dimension psychologique après la période virtualiste de l’époque Bush. C’est désormais le désordre né de la confrontation des diverses formes de schizophrénies correspondant aux divers “‘Moi’ politiques” et par conséquent aux différentes “réalités” qui se heurtent et s’affrontent à Washington (la schizophrénie est «une “coupure de l'esprit”, pas au sens d'une “double personnalité”, comme il est parfois entendu, mais au sens d'une perte de contact avec la réalité ou, d'un point de vue psychanalytique, d'un conflit entre le Moi et la réalité»). Effectivement, le paroxysme de la crise intérieure psychologique et spécifiquement américaniste, plutôt qu’une crise budgétaire générale par définition internationale (en cas de non-accord) est préférable pour aller au cœur du problème. Les termes de la crise comprendront effectivement, cette fois très sérieusement posées, les interrogations furieuses que jette Schecter : «Secession? Destruction?»…


Mis en ligne le 22 juillet 2012 à 11H06