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1700Les agitations qui se déroulent dans le monde occidental et américaniste de la communication à propos de la fin de la crise, de la reprise, de l’apparition des “green shoots” (“jeunes pousses”) et ainsi de suite ont commencé à se manifester au début mars, le 8 mars exactement avec une intervention du président de la Federal Reserve, Ben Bernanke. (Nous avions signalé cette tendance et le rôle alors exclusif de Bernanke le 17 mars 2009.) Comment, à cette lumière, définir cet aspect de la “mission” du président de la Fed, – ès-qualité, et non pas le seul Bernanke? Cela nous est suggéré, peut-être paradoxalement a contrario pour le propos, par les déclarations de Greenspan, rapportées ce même 22 mai 2009. C’est bien à propos de ce président-là de la Fed que la recherche est intéressante.
…Cela nous conduit à signaler un ouvrage publié en 2006 par les éditions de l’Harmattan (Aspects linguistiques du texte de propagande, publication sous la direction de David Banks), reprenant les textes d’un colloque de novembre 2002, à Brest, in illo tempore non suspecto; plus précisément, nous nous intéressons à la communication de Catherine Resche, sous le titre Le discours officiel du Président de la Réserve Fédérale américaine. Le “discours” d’Alan Greenspan y est analysé du point de vue de “la propagande”, ou, dirions nous-mêmes pour être plus policé, du point de vue de l’influence.
Voici un extrait de la conclusion de cette communication, où l’on verra qu’il est aisé de lire entre les lignes:
«…Nous avons établi que l’intention du discours est double : discours de transparence et discours d’influence. Ce qui peut paraître paradoxal ne l’est pas si l’on tient compte du type de discours que nous avons dans notre corpus et de la fonction du locateur. L’information, aussi exhaustive soit-elle, ne peut jamais être complètement objective et la mission du Président de la Réserve Fédérale est bien celle d’un guide qui doit “mener” la politique monétaire, donc persuader et influencer le public qu’il aille dans la direction voulue. Le discours est important en économie puisqu’il peut à lui seul retourner la situation (“talking up the economy”). A côté des instruments monétaires, il ne faut pas négliger les instruments linguistiques qu’Alan Greenspan sait particulièrement bien manier pour jouer avec la transparence comme il l’entend. […] C’est donc aux points de rupture entre transparence et opacification qu’il faut chercher la tentative de propagande. Les longues phrases et les arguments contradictoires répétés finissent par constituer un obstacle à la compréhension. La prétendue transparence peut alors céder la place à une ambiguïté travaillée. C’est ce qui a fait parler du “style Greenspanien”:
»“The Chairman of the Federal Reserve has become a modern-day Greek oracle of Delphi, spouting enigmatic comments that leave listeners befuddled. […] his sentences start here, twist there and double back so many times that questioners give up trying to pin him down.” (M. Crutsinger, 18 août 2001.)»
L’extrait de l’extrait qui nous intéresse particulièrement pour ce qu’il nous dit fort clairement à propos de cette “mission”, – qu’il s’agit effectivement de “propagande”, – ou de quelque chose de plus à notre sens, propagande pour conduire au virtualisme, – cet extrait est celui-ci, avec quelques soulignés en gras de notre cru pour donner du rythme au passage: «…la mission du Président de la Réserve Fédérale est bien celle d’un guide qui doit “mener” la politique monétaire, donc persuader et influencer le public qu’il aille dans la direction voulue. Le discours est important en économie puisqu’il peut à lui seul retourner la situation (“talking up the economy”).» (Nous reviendrons sur cette expression fascinante, “talking up the economy”, que nous avions déjà relevée.)
Voici deux remarques à propos de cet extrait.
• La “mission” est bien, sans aucun doute, définie comme étant “de propagande”, et dans un cadre que nous connaissons, qui nous fait penser qu’il faudrait substituer “virtualisme” à “propagande” au terme du processus. (Cela implique de notre part l’hypothèse qu’en disant ce qu’il dit, Greenspan n’est pas loin de croire à ce qu’il dit, ou plutôt de parvenir à se convaincre lui aussi de ce qu’il dit, en même temps qu’il convainc ses interlocuteurs, ses auditeurs, les commentateurs, le public, etc. Il n’y a pas de duplicité chez Greenspan mais une foi véridique engendrant grâce à la communication un univers virtualiste. Les artifices dits de “propagande” pour y conduire doivent être exemptés, dans le chef du “missionnaire”, du machiavélisme caractérisant en général cette activité.) La clarté du commentaire est indiscutable; il s’agit d’une “mission” d’influence, qui n’est nullement définie par une référence à la réalité, sinon une référence inverse, dont on peut aller jusqu’à attendre que son effet soit assez grand pour «retourner la réalité». La “mission” du président de la Federal Reserve est donc celle d’un “propagandiste” vertueux (virtualisme), d’un inspirateur, d’un charmeur au sens qu’on donne à l’expression “charmeur de serpent”, – effectivement, dans ce cas, le “charmeur de serpent” ramène l’animal à de meilleurs sentiments, cela considéré du point de vue humain. La vérité, dans ce cas, pour Grenspan, se trouve dans la vérité du système, et c’est pour cela qu’on peut parler de “virtualisme”; l’évolution qu’il déclenche par sa propagande, notamment auprès des citoyens-consommateurs, devient réalité même, et réalité vertueuse en “retournant la réalité” à l’avantage du système, et la religion même de Greenspan, sa foi, sont ainsi rencontrées. Cette nouvelle “réalité”, incontestablement vertueuse, mérite évidemment bien plus qu’aucune autre d’être la véritable réalité, et Greenspan estime alors n’avoir fait que rétablir la vertu.
• Ce qui est également fascinant (?), dans ce texte, au second degré, c’est le constat technique qui est fait que ce discours officiel est de pure intention d’influence, sans nécessaire lien avec la réalité et même cultivant comme fondement de n’avoir aucun lien avec la réalité, et qu’à aucun moment n’est présentée la moindre appréciation quant à la validité de ce discours du point de vue économique, ni la moindre réserve concernant la moralité du comportement du président de la Fed. La réputation inentamée de Greenspan jusqu’à son départ de la Fed, puis jusqu’à la catastrophe qui a sanctionné toute son action en témoigne; d’ailleurs, nous constatons que cette réputation reste complètement intacte puisque Greenspan continue à être consulté, écouté, interviewé, alors qu’il est avéré qu’il s’est constamment trompé, qu’il a conduit une politique qui préparait la catastrophe, qu’il a tenu constamment un discours faussaire, un discours complet de “propagande”, – et qu’il a reconnu tout cela... Ainsi, par son omission toute d'apparente neutralité scientifique d’en débattre moralement et politiquement, – alors qu’il n’hésite pas une seconde par ailleurs à nous chapitrer sur les valeurs conformistes de l’époque, des droits de l’homme à la démocratie, – le scientifique acte qu’il est partie prenante dans le soutien et la perpétuation de ce système, perçu en réalité comme l’application évidente, dans les domaines où il opère, de la moralité politique selon les conceptions postmodernes. Cette “moralité politique” implique évidemment la déformation de la réalité, – mensonges, propagande, – pour parvenir à susciter une autre réalité, conforme à la conception générale, – virtualisme, au bout du compte. C’est dire qu’il sera beaucoup pardonné à Greenspan et à ses entreprises de propagande et d’intoxication virtualiste, mais aussi à son successeur Bernanke, qui le lui rend bien, – simplement, parce qu’il n’y a rien à pardonner dans le meilleur des mondes, virtualiste et postmoderne.
Mis en ligne le 22 mai 2009 à 07H08
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