La modération de Gates devient une politique exprimant les contradictions du CMI

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Le secrétaire à la défense Robert Gates est décidément un étonnant oiseau dans le contexte de l’administration GW Bush et de la radicalisation systématique, au niveau dialectique, qu’on observe dans cette administration et dans l’establishment washingtonien en général, – par ailleurs, cette radicalisation signe convaincant de la paralysie de l’action des USA qu’on observe également. Gates a, on le sait, déjà fait des siennes à propos de l’Iran. Il s’avère à cet égard, selon des sources US de la communauté de sécurité nationale particulièrement dignes de foi, que son intervention, en même temps que celle de l’amiral Mullen, président du JCS, a été décisive pour casser le projet presque accepté, il y a trois mois, de lancer cet été une attaque contre l’Iran. Gates et Mullen ont opposé leur veto absolu à ce projet d’une façon quasi officielle, avertissant qu’ils démissionneraient tous deux si un tel projet était mené à son stade de réalisation. Cette attitude a obligé Bush à abandonner son projet d’attaque.

C’est à propos de l’article du New York Times déjà commenté par nous que l’on peut mesurer cette position désormais quasi-institutionnalisée de Gates au sein de l’administration GW Bush. Cette fois, il s'agit de sa modération extrême vis-à-vis de la Russie, d'ailleurs soutenue par Mullen qui n'envisage une adhésion de la Géorgie à l'OTAN que dans très, très longtemps.

«With NATO divided over how to respond to a newly assertive Russia, Defense Secretary Robert M. Gates said Thursday that he would urge alliance ministers meeting here to adopt a cautious and deliberate approach that would reassure newer members along the Russian border without provoking hostilities.

»Mr. Gates has said he does not anticipate any armed Russian incursions into the territory of NATO member countries, but said Moscow was more likely to pursue strategies of “pressure and intimidation,” including restricting its supplies of oil and gas, on which Europe depends. Mr. Gates made his comments as the Russian president, Dmitri A. Medvedev, struck a conciliatory tone in Moscow, saying he hoped that Russia and the United States could find a way to improve relations.

[…]

»“We need to proceed with some caution because there clearly is a range of views in the alliance about how to respond, from some of our friends in Eastern Europe and the Baltic states to some of the countries in Western Europe,” Mr. Gates said. […]

»“I think there is a middle ground,” Mr. Gates said during an interview with American and British reporters here, after meetings with commanders and senior officials in Iraq and Afghanistan.

»He urged the alliance to continue “some prudent things that are consistent with the kinds of activities NATO has been engaged in for nearly 60 years in terms of planning, in terms of exercises.” Such steps, he said, “are not provocative and don’t tend to draw any firm red lines or send signals that are unwanted.” But at the same time, they provide “reassurance to the allies in Eastern Europe and the Baltic states that we are mindful of their concerns,” he said.»

Mais l’on comprend cette position de Gates, et des principales autorités militaires, face à des entreprises aventureuses. Un affrontement avec la Russie auquel peut mener une attitude intransigeante peut mener à son tour à une de ces “entreprises aventureuses”, avec, en plus, la terrible perspective d’un affrontement nucléaire. La prise de position de principe de Gates, constamment réaffirmée à diverses occasions et dans diverses perspectives (Iran, maintenant Russie), indique bien qu’il ne s’agit pas d’une opposition conjoncturelle ou accidentelle. L’opposition du Pentagone telle qu’elle se précise apparaît comme de plus en plus structurelle, de plus en plus institutionnalisée. Elle dépend de facteurs qui, pour l’instant, sont extrêmement puissants, d’autant plus puissants qu’ils sont d’ordre technique et bureaucratique, particulièrement insensibles aux arguments idéologiques; notamment les capacités militaires réelles en forte réduction des USA avec des forces armées épuisées par des conflits encore en cours, un processus de développement et de production gravement déficients et qui peine de plus en plus à réparer les dégâts causés aux forces armées par les campagnes en cours, un budget énorme et hors de contrôle qui n’arrive plus à fournir le soutien matériel et logistique qu’il devrait assurer. Les forces armées US et le système du Pentagone ne sont plus capables de soutenir la multitude de projets bellicistes qui naissent dans les esprits enfiévrés des idéologues, entraînant le monde politique washingtonien.

Ces réalités techniques et bureaucratiques finissent, sous la pression antagoniste de projets politico-militaires jugés de plus en plus déraisonnables, par évoluer vers une attitude doctrinale qui tend à s’implanter dans la structure hiérarchique du Pentagone. Effectivement, en plus de ces facteurs décrivant des capacités réduites, l’évolution doctrinale du Pentagone tend à se rapprocher de ce qu’elle était dans les années 1980 vis-à-vis des conflits périphériques, lorsque la “doctrine Powell” triomphait avec le soutien du secrétaire à la défense Weinberger, en faveur d’engagements très limités et très contrôlés, avec de telles conditions qu'ils devenaient complètement improbables. Pour l’instant, les événements, tant opérationnels que bureaucratiques, tendent à renforcer cette tendance. Le Pentagone devient un centre de pouvoir politique capital à Washington, et un centre oppositionnel.

Cette situation devrait encore plus se renforcer à l’occasion de la transition vers une autre administration, puisqu’il est prévu que cette transition se fera d’une façon très continue pour le Pentagone à cause de l’état de guerre, jusqu’à envisager que Gates reste à son poste au-delà de l’installation de la nouvelle administration. (Au contraire des autres structures de sécurité nationale, qui connaîtront nécessairement des situations de rupture et de confusion, comme à chaque transition.)

Ce n’est pas un des moindres paradoxes de la situation actuelle. Le complexe militaro-industriel (CMI) est l’inspirateur systémique de la montée aux extrêmes du monde politique washingtonien. Lui-même exprime cette poussée par des projets bureaucratiques et industriels d’implantation diverses (le système BMDE en Pologne, par exemple) et des ventes d’armes dans toutes les directions, à l’exportation. Par contre, le cœur du CMI, confronté à des problèmes structurels graves, développe une politique qui est l’exact contraire de cet activisme. Il s’agit d’une de ces situations paradoxales dont le système poussé à ses extrêmes est de plus en plus coutumier.


Mis en ligne le 19 septembre 2008 à 14H43