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581Nous avouerons à nos lecteurs qu’entendant hier les premiers échos du discours de Robert Gates (à Bruxelles, le 10 juin), adressé comme une menace aux alliés européens de l’OTAN, la chose nous parut sans le moindre intérêt. Aujourd’hui, il s’avère que ce discours a fait un effet considérable et, dès lors, à cause de cet effet et rien d’autre, il s’impose comme méritant quelque intérêt. Pour le reste, d’une façon générale, nous confirmons notre première impression : ce discours est sans intérêt, amas de lieux communs d’une platitude grossière, de postures matamoresques courantes, d’évaluations lourdement faussaires comme seuls les speeechwriters du Pentagone ont le secret. Gates, lui, n’en sort pas grandi.
Le New York Times y consacre un long article le 10 juin 2011 :
«Defense Secretary Robert M. Gates sharply criticized NATO nations on Friday for what he said were shortages of military spending and political will, warning of “a dim if not dismal future” and “irrelevance” for the alliance unless more member nations contributed weapons, money and personnel.
»In his final policy speech before he steps down, Mr. Gates issued a dire and unusually direct warning that the United States, the traditional leader and patron of the alliance, was exhausted by a decade of war and its own mounting budget deficits and simply might not see NATO as worth supporting any longer.
»“The blunt reality,” Mr. Gates said, “is that there will be dwindling appetite and patience in the U.S. Congress — and in the American body politic writ large — to expend increasingly precious funds on behalf of nations that are apparently unwilling to devote the necessary resources or make the necessary changes to be serious and capable partners in their own defense.”»
Jason Ditz donne une synthèse de cette intervention, le 10 juin 2011, sur Antiwar.com, y ajoutant quelques observations sur ce que ces observations nous disent des relations entre les USA (ou, disons, le Pentagone ?) et des pays alliés de l’OTAN.
«The comments come after a public lashing earlier this week by Gates for a number of specific member nations, including Poland and Germany, for their lack of involvement in the illegal war against Libya. He also demanded that Spain, Turkey and the Netherlands start launching strikes on ground targets in the nation. The comments reflect a growing strain in relations among the member nations, and increasingly a philosophical split as nations face budget deficits and look to limit them with military spending cuts.»
Là-dessus, nous revenons sur l’article du New York Times, et notamment sur le quatrième paragraphe, qui représente des précisions étonnantes, qui méritent notre souligné en gras…
«The White House made clear on Friday that in the tough tone of his remarks, Mr. Gates was speaking for the Pentagon, not necessarily for the administration, and that he appeared to be expressing his own frustrations after years of asking NATO to do more. But a White House official did say that Mr. Gates’s speech raised “legitimate concerns” about whether NATO was providing enough resources for the war and that the Obama administration fully expected the alliance to meet its challenges.»
Ces précisions, obligeamment reproduites par un New York Times qu’on devine avec un, sinon deux petits doigts sur la couture du pantalon, lorsqu’il s’agit de refléter l’avis de la Maison-Blanche, n’en précisent pas moins deux faits extraordinaires, – qui, par ailleurs, c’est notre conviction, rendent compte de la réalité la plus forte.
• Le premier de ces faits, c’est la précision que Robert Gates, dans son discours, ne parlait pas pour la Maison Blanche, ou pour l’administration, bien qu’il parlât, précise-t-on, “pour le Pentagone”. Ainsi, lorsqu’un ministre US, au sortir d’une réunion internationale de l’OTAN, fait un discours public sur un sujet d'une grande importance, acté officiellement et ès qualité, il s’agit d’un discours de son propre ministère, ou de sa bureaucratie, mais pas nécessairement d’un discours reflétant la position du gouvernement des Etats-Unis et des USA eux-mêmes. La précision est confondante, même si elle rencontre l’exacte réalité, de notre point de vue dans tous les cas… Il est confondant que l’on puisse faire dire, par le canal prestigieux du NYT, que Gates parlait ainsi d’une façon si autonome de la politique officielle des USA, voire d’une façon si personnelle puisque la précision va jusqu’à faire état de “sa propre frustration”.
• Le second de ces faits, c’est le même que le premier, mais vu d’un autre point de vue : la Maison Blanche fait dire ce que le New York Times rapporte, – et l’on peut prendre la chose presque comme une déclaration de la Maison Blanche, mais “officieuse”, – mais d’une façon qui montre bien qu’elle n’a, elle, rien à redire à ces pratiques. Gates parle “pour le Pentagone” et pour exprimer “sa frustration”, alors qu’il est censé représenter les USA, et pourtant il semble qu’il exprime une politique différente de celle de la Maison Blanche, – et la Maison Blanche semble n’avoir rien à y redire. C’est ce point-là qui est extraordinaire, même si l’ordinaire des “canaux officieux” pourrait faire croire qu’il n’y a rien d’inhabituel. Au contraire, tout dans cette mise au point est complètement inhabituel, et extraordinaire répétons-le, parce qu’un personnage officiel, du rang de ministre, est en cause. D’habitude, lorsqu’une direction politique ou une fraction de cette direction politique veut faire dire certaines choses plutôt délicates, elle emploie la technique des “fuites” ou des “sources officielles” anonymes, – fût-ce un ministre, cela n’importe pas. Mais dans le cas présent, l’homme est nommé, il a parlé publiquement, c’est un ministre d’une grande importance, et la Maison Blanche reconnaît tout cela, y compris sa dissidence, et n’y trouve rien à redire de fondamental.
Ces diverses remarques laissent beaucoup à penser sur quelques faits essentiels, qui ne font que confirmer l’analyse générale que l’on peut faire du gouvernement US et de son fonctionnement. D’une part, la confirmation que le système règne en maître, qu’il impose ses centres de pouvoir et d’intérêt, et que les hommes y cèdent sans la moindre résistance. Gates n’a rien exprimé de vraiment personnel, malgré l’affirmation sur sa “frustration”. Il a parlé en porte-parole du Système, en l’occurrence, pour ce cas, le Pentagone, qui a prééminence sur les affaires militaires. Comme nous le disions plus haut, son discours n’a strictement aucun intérêt. Il ressasse les mêmes affirmations brutales, dont tout le monde sait qu’elles sont complètement inutiles et marquées d’une succession d’hypocrisies monstrueuses qui les discréditent complètement. Enfin, et comme toujours dans le cas US, que ce ministre vienne reprocher aux autres pays de l’OTAN de ne pas assez dépenser d’argent pour la chose militaire (c’est-à-dire pour l’achat de matériels militaires US, of course) alors qu’il traîne aux fesses une dette de près de $15.000 milliards, appuyée sur l’escroquerie de la manipulation permanente d’un dollar qui constitue un moyen global de piraterie et de chantage, voilà qui donne une mesure de la plaidoirie. Tout cela est agité pour des actions et des stratégies d’une stupidité avérées, à commencer par l’affaire libyenne à propos de laquelle Gates nous dit ce qu’il dit, alors qu’il fut le premier, il y a trois mois, à estimer comme absolument inapproprié tout engagement dans ce pays… Et ainsi de suite, pour le reste de la frustration du ministre Gates. Au moins, durant la Guerre froide, lorsqu’un président, un ministre ou un général US venait menacer l’OTAN de disparition prochaine (en général, tous les trois ou quatre ans, car c’est une tradition, il faut le savoir), c’était au nom d’une Amérique qui représentait une réelle puissance. Ce n’est plus le cas, certes.
Résumons-nous : ce discours ne changera rien du tout, qu’il vienne ou non du Pentagone. Les alliés des USA dans l’OTAN sont évidemment d’une médiocrité et d’une bassesse sans fin, mais plutôt un ramassis de pays sans souveraineté, sans volonté, sans perception haute de la situation du monde ; mais en cela, les USA sont leur modèle, ce qui nous fait penser que rien ne changera dans les relations entre ces divers brigands, ni dans les pseudo dépenses de défense, ou insuffisances de défense, ni dans les pseudo guerres absurdes, etc. Gates ne sort pas grandi de cet exercice, au contraire il se montre à la fin de son terme plutôt comme un bureaucrate sans envergure, totalement prisonnier du Système… On se demanderait presque si, la “frustration” qu’il exprime n’illustre pas plutôt sa condition de “prisonnier du système”, après des tentatives ratées d’évasion, plutôt que l’absence de dépenses de défense des alliés.
Le reste ne vaut pas mieux. Dans l’affaire, la Maison Blanche a montré qu’elle ne s’inquiète en rien, ni de son autorité, ni de sa légitimité. Elle accepte que chaque centre de pouvoir et d’intérêt à l’intérieur ou aux marges du gouvernement fasse entendre sa propre conception. Elle ne trouve rien à redire, sinon que ce n’est pas sa politique. Elle laisse le monde aller comme il l’entend, dans son organisation courante, c'est-à-dire un désordre sans fin, vers son destin accepté. Le Système règne, – et comme il ne cesse de s’effondrer, cela fait une bonne moyenne.
Mis en ligne le 11 juin 2011 à 17H06
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