La mort d’Awlaki et les mondes extérieurs

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Il y a la célébration grandiose et experte des directions politiques et stratégiques du bloc BAO de la mort d’Anouar el-Awlaki. Il s’agit en réalité de l’“assassinat légal”, au Yemen, de ce citoyen US devenu paraît-il un des dirigeants d’al Qaïda, par une machine tueuse, sans pilote mais avec missile Hellfire, qui semble le moyen favori du président Obama de se mettre du sang sur les mains en se faisant croire qu’il n’y a pas de taches. Obama a lui-même ordonné l’assassinat. Ce président ne cesse pas de montrer un aspect inattendu de sa personne, celui d’être un président-tueur, directement impliqué dans les actes illégaux et les assassinats de la machinerie du complexe militaro-industriel. Obama est une réussite du bloc BAO, au moins par son zèle de néophyte. Pour autant, et malgré la vaste diversité culturelle qui semblait caractériser le personnage à l’origine, il a l’air de comprendre de moins en moins, conjointement avec les directions politiques et les experts du bloc BAO, ce qu’il est en train de faire.

Sur l’assassinat d’Awlaki, il y a un bon article (même ça, ils peuvent faire) du New York Times du 1er octobre 2011. L’article détaille les différences de réactions entre le bloc BAO d’une part, le monde arabe qui est concerné au premier chef par cet acte, d’autre part.

«Until about two years ago, few in Yemen or the Arab world had heard of Anwar al-Awlaki, the American-born propagandist for Islamic radicalism whose death President Obama celebrated as a major blow against Al Qaeda.“A dime-a-dozen cleric” was one response, by Gregory Johnsen, a Princeton professor who studies Yemen. Another: “I don’t think your average Middle Easterner knows who Anwar al-Awlaki is,” said Emad Shahin, a scholar of political Islam at Notre Dame University.

»While Western officials and commentators saw the end of Mr. Awlaki as another serious loss for Al Qaeda, a very different reception in the Middle East was the latest reminder of the disconnect between American aims and Arab perceptions. In a region transfixed by the drama of its revolts, Mr. Awlaki’s voice has had almost no resonance. “I don’t think this will really get people’s interest, I can’t imagine why it would,” said Shadi Hamid, director of research at the Brookings Doha Center. “It seems totally irrelevant to how Arabs view the world right now. They don’t care about Awlaki.”

»It is a remarkable feature in the Arab world these days how little Al Qaeda actually comes up in conversations. Even before the eruption of revolts and revolutions, a group that bore some responsibility for two wars and deepening American involvement from North Africa to Iraq was losing its significance. When Osama bin Laden died, his killing seemed more an epitaph for another era. As is often remarked, the events of Sept. 11 seem a historical note to much of an Arab population where three in five are younger than 30.

»In that atmosphere, many saw Mr. Awlaki’s death as an essentially American story: here was a man that American attention helped create, and its Hellfire missiles killed, in a campaign born out of American fears of homegrown militancy. What distinguished Mr. Awlaki was not his ideas or influence but his American upbringing, passport and perfectly idiomatic English. “When the Obama administration and the U.S. media started focusing on him, that is when Al Qaeda in the Arabian Peninsula pushed him to the fore,” Mr. Johnsen said, referring to the group’s Yemeni branch. “They were taking advantage of the free publicity, if you will. And any stature he has now in the Arab world is because of that.”

»Another analyst, Michael Wahid Hanna, a fellow at the Century Foundation, echoed the idea that Mr. Awlaki’s fluency in English generated more interest about him. “The U.S. focus on Awlaki was a function of his language abilities and their understanding of his role as a recruiter and propagandist. If recent events can be said to further marginalize violent rejectionists such as Bin Laden and Ayman al-Zawahri, then there is very little room for a virtual unknown such as Awlaki to command any serious attention.”»

Il est remarquable que la publicité dont a bénéficié Awlaki, l’importance qui lui a été accordé, etc., sont d’abord le fait, par exemple, de sa capacité linguistique en anglo-américain (puisqu’il est citoyen US) : « What distinguished Mr. Awlaki was not his ideas or influence but his American upbringing, passport and perfectly idiomatic English.» Cette histoire du dirigeant (citoyen US) d’al Qaïda est donc parfaitement une «American story» qui n’intéresse guère les Arabes en général, non plus qu’al Qaïda d’ailleurs, dont on se demande bien s’il existe au demeurant… Mais oui, il existe tout de même et sans aucun doute, pour les dirigeants de l’establishment américaniste et pour les hommes du Système, et c’est bien là l’essentiel. L’assassinat d’Awlaki résume parfaitement toute l’histoire de la Guerre contre la Terreur, ramenée en général à l’hypothétique al Qaïda dont nul ne sait exactement ce dont il s’agit, guerre menée par l’Amérique, contre un Ennemi d’abord défini par l’Amérique, pour lui convenir dans ses diverses ambitions phantasmatiques, ses conceptions exceptionnalistes, ses obsessions d’une psychologie malades, etc.

Nous confirmons par conséquent que l’Amérique n’évolue pas sur la même planète que les Arabes, que les vraies organisations non-gouvernementales arabes, interprétées comme “terroristes” par les USA sans souci de ce qu’elles représentent, que les vraies problèmes qu’expriment ces actions que les mêmes USA jugent être comme de pur terrorisme haineux (“ils nous attaquent parce que nous aimons la liberté”), etc. Par conséquent, l’Amérique poursuit une Guerre contre la Terreur prétendument par rapport au monde arabe, contre le monde arabe éventuellement, pour certains, pour démocratiser le monde arabe pour d’autres, – tout cela qui n’a rien, absolument rien à voir avec le monde arabe. Tout le bloc BAO (les Européens essentiellement) suivent aveuglément cette voie, les pays européens ayant une expérience et une accointance culturelle avec le monde de la Méditerranée (Espagne, France, Italie) perdant toute cette précieuse expériences qui leur ferait comprendre le monde arabe, au nom d’une croisade démocratique high tech du bloc BAO par rapport à un monde arabe qui n’existe pas.

Le bloc BAO, sous la direction fantasmagorique des USA, évolue dans un monde sans la moindre parcelle de vérité, d’une consistance complètement inventée, fabriquée. Le terrorisme tel qu’il est représenté dans cette narrative est également pure invention dans la dimension qui lui est allouée, dans l’importance qui lui est donnée. Tout cela, qui était au départ une représentation offensive (une narrative triomphante) pour imposer la contre-civilisation occidentale, est devenue une piètre narrative défensive qu’on expose désespérément pour tenter de dissimuler la réalité de la crise générale de la Chute (du Système). Ces efforts sont évidemment aussi dérisoires que la crise générale de la Chute est immense et terrible. Comme toutes ces diverses “éliminations”, ou assassinats “légalisés”, de chefs du fantomatique al Qaïda, sont saluées en général comme une étape vers la grande victoire dans la Guerre de la Terreur, la seule question intéressante qui subsiste est de savoir s’ils arriveront à proclamer la victoire totale dans la Guerre de la Terreur avant que le Système ne se soit totalement effondré, ou si la Chute l’emportera de vitesse avant que le communiqué de victoire ait pu être diffusé.


Mis en ligne le 3 octobre 2011 à 09H38