La mort de Kennedy et la politique du système

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La mort du sénateur Kennedy, qui a provoqué une si grande émotion aux USA, intervient également au cœur même de cette grande bataille politique qui concernait d’une façon passionnelle ce même Kennedy. L’éventuelle installation d’une nouvelle législation de soins de santé (healthcare) aux USA constituait la “bataille de sa vie”; s’il n’a pu y participer, sa mort éclaire d’une lumière singulière, avec un aspect symbolique d’une force extrême, le paysage de la bataille. Ce n’est certainement pas parce que l’on envisage de donner à cette législation le nom de Teddy Kennedy, pour l’honorer dans son combat principal, que cette législation est acquise, et que le bataille à son propos va cesser de causer des maux terrifiants au système.

En même temps que se manifestait l’émotion provoquée par sa mort, se sont aussitôt installés les germes d’une polémique à propos de l’utilisation politique, sinon politicienne de cet événement. D’autre part, il existe des faits objectifs importants découlant de la mort du sénateur, notamment et particulièrement la vacance de son siège (au moins jusqu’en janvier 2010), qui prive d’une voix essentielle la majorité démocrate au Sénat; avec 59 voix et non 60, les démocrates perdent la majorité qualifiée permettant de bloquer le processus de retardement d’un vote, dit filibuster. Le Times de Londres, notamment, donne ce 28 août 2009, des indications sur ces incidents.

«Attempts to use the emotion of the moment to revitalise hopes of healthcare legislation quickly ran up against the harsh political realities of Washington and the immediate practical impact that Mr Kennedy was perhaps the only politician on Capitol Hill who could have forged a bipartisan compromise. His death, and the news that a special election to fill his seat will not take place until January, also means that Mr Obama will be without a 60th majority Senate vote in the critical weeks ahead, when the fate of his healthcare plan will probably be decided.

»Republicans were happy to praise Mr Kennedy but none appeared ready to embrace the healthcare reform plans to honour the memory of the political giant. Three Republican senators who were close to Mr Kennedy — John McCain, Orrin Hatch and Judd Gregg — said that healthcare legislation would be much closer to passage if Mr Kennedy had been able to be involved in negotiations in recent months, when he was fighting the brain cancer that eventually killed him. “I think we may have made progress on this issue if he had been there,” Mr McCain said. “He had this unique capability to sit people down at a table together and really negotiate, which means concessions. And so, he not only will be missed, but he has been missed.” Mr Hatch said: “We would have worked it out on a bipartisan basis.”

»Ed Feulner, the president of the conservative Heritage Foundation, chastised Democrats for invoking Mr Kennedy in their push for healthcare reform. He said: “It is wrong and tactless to use Senator Kennedy’s death, or anyone’s, simply to advance a particular policy agenda. This is a time for genuine tribute, not crass politics.”

»Rush Limbaugh, the conservative radio talk-show host, said: “The Left is exploiting him, his death and his legacy, and they are going to do it, as predicted, to push healthcare through.”»

On est loin, très loin, des exhortations du seul sénateur qui avait un temps de service au Sénat supérieur à celui de Ted Kennedy, le sénateur démocrate Robert Byrd: «[We have] to use the moment to stop the shouting and name calling and have a civilised debate on healthcare reform which I hope, when legislation has been signed into law, will bear his name for his commitment to insuring the health of every American.»

D’une façon assez symbolique et significative, on trouve dans l’hommage des trois sénateurs républicains (McCain, Hatch et Gregg) une illustration paradoxale des effets de la mort de Teddy Kennedy. Ce qu’ils nous disent en quelque sorte, non sans émotion, estime, etc., c’est que le dernier homme qui pouvait forcer à un accord bipartisan, le dernier grand unificateur du système s’en est allé. Bien sûr, on parle d’un seul thème, d’un seul sujet, mais la signification symbolique du propos n’en est pas moins très grande. Si Teddy Kennedy n’avait pas été malade, évidemment indisponible durant les derniers mois, lors de son agonie, sans doute aurait-il trouvé la conviction, l’influence et l’habileté de forcer à un compromis. Cela revient à nous dire, pour la question des soins de santé mais, au-delà, pour le système lui-même, que la bonne marche du système dépend d’un homme, Teddy Kennedy dans ce cas, et que lui parti l’espoir d’une bonne marche du système s’en est allé avec lui. D’ailleurs, ce constat de la capacité d’un homme disparu de faire encore fonctionner le système n’est plus jamais dit, aujourd’hui, que lorsque l’homme a disparu. Kennedy encore vivant et déjà patriarche, n’avait pas réussi, sur d’autres thèmes que les soins de santé, à freiner la décadence du système. On comprend qu’il s’agit moins, ici, d’une contestation de ses qualités, évidemment bien réelles, que la reconnaissance, pour le système, qu’il est trop tard.

Dès lors, le vieux lion du Sénat ne laisse pas derrière lui une impulsion d’unification mais, paradoxalement, un ferment de division. Le système n’a même plus de respect pour ses morts les plus fameux. Aujourd’hui, Teddy Kennedy, qui devait être le grand unificateur, devient l’objet de polémiques extrêmes dans le cadre de la bataille du système des soins de santé. C’est toujours cette même caractéristique de montée aux extrêmes; s’il n’est pas un grand unificateur à cause des tares d’un système incapable de retrouver son équilibre, il sera un objet de division, une cause de soupçons et d’invectives, justement à cause des tares du système.


Mis en ligne le 28 août 2009 à 17H06