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654725 avril 2020 – Je suis allé par hasard sur cette intervention de Jérôme Salomon, et j’ai été extrêmement impressionné, – non pas le journaliste, l’auteur le commentateur, l’esprit critique de la fonction qui sont en moi, – mais la personne que je suis, par rapport à son éducation et sa culture, surtout en n’oubliant en rien les images de sa jeunesse, ses impressions profondes, les choses qui vous restent le long de toute une vie. Donc, le Directeur Général de la Santé parlait mercredi devant une commission parlementaire formée pour enquêter sur l’actuelle pandémie. Le passage référencé reprend deux affirmations :
• La pandémie Covid19 a «un caractère exceptionnel» et «peut être comparée à la pandémie de peste de 1347 ou à la pandémie de grippe espagnole en 1917» ;
• Les deux pandémies signalées comme références ayant pris plusieurs années à se répandre sur l’espace mondial, la pandémie Covid19 est encore plus exceptionnel et elle est même unique : « C’est la première fois dans l’histoire du monde que l’ensemble des pays sont touchés en même temps en trois mois. »
Je mets aussitôt de côté la polémique : Salomon dit-il la vérité de son appréciation, ou bien dramatise-t-il à dessein, dans un sombre dessein, etc. ? Et d’ailleurs, Covid19 n’est-il pas un montage, “a hoax” ? Une manœuvre habile et juteuse de Big Pharma ? Un coup de force pour nous faire basculer dans un “1984 sanitaire” ? Ou certainement un coup monté par les Chinois pour liquider les yankees, ou bien certainement l’inverse ?
Pas de réponse et, à vrai dire, je ne cherche pas de réponse parce que la chose, à vrai dire je le répète pour vous ôter du moindre doute, ne m’intéresse pas, qu’elle soit médicale, politique, morale, polémique, etc. ; question d’inconnaissance complètement assumée, voyez-vous, dans une occurrence où, en plus, la réalité est impossible à assurer, et que la connaître précisément ne me paraît d’aucun intérêt essentiel, dans tous les cas pour mon propos, ni d’aucune conséquence intéressante sinon celle d’épuiser ma psychologie et de concentrer mon attention sur l’accessoire pendant la recherche improbable que je ferais.
La seule chose qui m’importe est ceci : Salomon a dit ce qu’il a dit et personne parmi les innombrables soignants-sachants avec tous ces professeurs de médecine qui débattent et n’hésitent nullement à afficher leurs désaccords, à glisser l’une ou l’autre pique, etc. ; et personne parmi les commentateurs et mouches du coche, ministres et personnalités médiatiques, moralistes du micro et curés des paroisses démocratiques, – personne ne s’est exclamé pour tourner en ridicule de telles références. C’est alors qu’elles sont concevables et qu’en vérité, notre perception est inconsciemment conduite à les apprécier comme telles, que cette pandémie est donc conduite à avoir dans la perception générale inconsciente des dimensions gigantesques et absolument historiques jusqu’à la métahistoire bien entendu.
Et ce qui m’arrête en vérité, ce qui me stupéfie, c’est le parallèle, la mise sur le même pied d’égalité de nature, de notre Covid19 avec la terrible pandémie de peste des années 1340 et 1350, – la “Peste Noire”, ou la “Mort Noire” comme disent également les Anglais (“Black Death”). On connaît l’ampleur de ce terrifiant “fléau de Dieu”, la moitié de la population européenne décimée, peut-être 200 millions de morts dans toute son extension globale, les restes de l’empire de Rome réfugié à Byzance secoués vers son effondrement et tant d'auitres cobnséquences politiques. La Mort Noire se place au cœur de ce XIVème siècle plein de désordre, de bruits et de fureurs, et qui vient interrompre le sublime âge du Temps des Cathédrales (*), selon une dynamique que je considère comme l’amorce du déclin de l’empire du christianisme sur la civilisation...
Surtout, dans mon chef, il y a cette image, souvent transposée dans les gravures des “Quatre Cavaliers de l’Apocalypse” où la Peste est l’un des quatre, confondu avec la Mort. Très tôt, cette image s’est imprimée en moi et, sans que j’en connaisse beaucoup du point de vue de l’érudition, elle est demeurée comme un signe du Ciel. Elle semble résumer toute la puissance des terribles affrontements de la spiritualité sur la terre, des rapports si puissants et pourtant insaisissables et indescriptibles entre Sapiens-Sapiens, le Ciel et le Diable, tout cela d’une autre époque que nous nous plaisons à juger barbare et cruelle et qui recèle en vérité, cachés, des trésors d’initiation et d’inspiration, d’intuition haute et de méditation, et des affrontements mimétiques et en toute conscience, sans faux-semblants, avec le Haut-Mal, la Folie et la Malédiction...
On comprend alors ce en quoi me troublent cette évocation et son cortège de sentiments et d’images mis à l’index, dans un cadre strict et sévère autant que démocratique selon la modernité triomphante, par le chef d’une rationalité bureaucratique et représentant d’une science qui est aujourd’hui adjointe au sommet de l’État, au bénéfice des élus de la Nation. Il n’y a pas de choses plus dissemblables, comme si vous évoquiez l’intrusion de la magie dans le Temple de la Raison.
Mais cela n’a pas éveillé d’échos, certes, et je dois le dire à ma grande surprise sur l’instant. Je me suis repris en laissant passer deux ou trois jours, avant d’y revenir comme je le fais maintenant. Alors, je suis conduit à penser que ce rapprochement entre cet événement formidable et formidablement révélateur des dimensions symboliques et spirituelle de la métahistoire, et le Covid19, donne nécessairement au second une dimension de la sorte. Je dirais en langage un peu leste qu’une comparaison avec la Mort Noire, cela se mérite.
Pour cette raison, je me trouve renforcé dans le sentiment de la puissance exceptionnelle du Moment métahistorique que nous traversons (cela, alors que je juge que j’ai été bien lent à l’appréhender et à le reconnaître). Je comprends que des plumes d’origines assez diverses, et sans doute divergentes de la mienne, écrivent des appréciations comme celle-ci, qui rencontre assez bien ce que je ressens et veux exprimer sans en rien ni en aucune façon m’engager pour les conséquences à en tirer :
« J’ai du mal à comprendre ce qui se passe. Mon esprit méfiant errait sans cesse, examinant toutes les théories et les explications possibles, mais je dois l’admettre: je ne sais pas ce qui se passe. Je sais que c'est un moment crucial de choix pour l’humanité... »
Lisez la conclusion du dernier article (**) d’un analyste de grand talent, que je tiens en haute estime pour son sang-froid, sa capacité de prendre du recul devant la précipitation des dynamiques et la complexité des choses. Alastair Crooke n’hésite certes pas, et cela ne peut en rien nous étonner selon ce que nous savons de sa culture, devant l’emploi de mots et de concepts qui nous renvoient aux temps magiques que nous nous empressons si vite de qualifier d’“obscurs” parce que nous n’y comprenons rien, et qui abritent sans doute d’“obscures lumières” d’une “intensité éclatante et insaisissable”, ces temps des paradoxes et des oxymores que nous ne savons plus observer pour ce qu’ils nous disent entre les lignes de leurs apparentes contradictions.
« Depuis les Lumières, l'Occident s’est habitué à penser qu’il contrôle à la fois la nature et notre environnement. Cela a eu pour effet de nous éloigner de la complexité de la nature, mais au prix de l'ouverture d'un espace nous permettant de nous insérer dans des systèmes complexes qui sont eux-mêmes intrinsèquement fragiles, – dans le contexte d'une complexité plus grande.
» Et maintenant, de manière inattendue, la complexité de la nature nous frappe en pleine face.
» Cela bouleverse tout ce que nous avons considéré comme allant de soi pendant des décennies. Nous pensions en avoir le contrôle. Aujourd'hui, les “médecins de la peste” nous imposent leur conduite, apparemment au hasard. La peur biologique de la Mort, et la peur de glisser dans un Abîme sans espoir, s’expriment dans une “Danse Macabre” pour les désespérés, qui vivent marginalisés dans le soi-disant trou noir de la société, dans les quartiers les plus anarchiques de nos grandes villes. »
(*) Dans son Temps des Cathédrales, Georges Duby place effectivement la fin de l’esprit de ce Temps au début du XIVème siècle, avec La Divine Comédie, et la marche vers la Renaissance et le modernité : « On peut tenir la Divine Comédie [composée entre 1303 et 1321] pour une cathédrale, la dernière. […] Comme les grandes cathédrales de France, ce poème conduit, par degrés successifs, selon les hiérarchies lumineuses de Denys l’Aréopagite et par l’intercession de Saint Bernard, de Saint François et de la Vierge, jusqu’à l’amour qui meut les étoiles… [...]
» Mais à l’aube du Trecento, le mouvement de croissance qui dégageait insensiblement la pensée d’Europe de l’emprise des prêtres détournait désormais les hommes d’Europe de la surnature. Il les menait vers d’autres routes et vers d’autres conquêtes. […] Dante lui-même, et les premiers qui l’admirèrent, cinglaient vers de nouveaux rivages. »
(**) Le titre du texte d’Alastair du 24 avril, avec son astérisque, est celui-ci, et je garde dans ce cas l’anglais original (avec le français dans le texte) : « ‘Danse Macabre’ and a Fear of the Abyss: We All Fall Down * », l’astérisque nous indiquant : «(*) The children’s nursery rhyme, Ring-a-Ring-a Roses, that originated during plague years, ends with “we all fall down”. »
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