Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
58786 août 2023 (15H50) – Nous le répétons : c’est en 2014, à l’occasion de la première phase ukrainienne du “coup de Kiev”, que nous avions déterminé le concept de déterminisme-narrativiste. Il avait totalement déterminé l’attitude des pays de l’Occident-compulsif face à ces évènements : les saluer comme une “libération” de l’Ukraine gagnée par les foules démocratiques, – résumé de la narrative, – alors que tout venait d’une machination classique, sinon grotesque du Système et de ses employés (Nuland en premier) du système de l’américanisme. Ce dernier cas est celui, – osons le mot : de la “réalité”. Dans le cadre du déterminisme-narrativiste, qui obligeait les “narrateurs” à suivre le déterminisme de leur narrative , nous proposions de nommer les éclairs de cette “réalité” des vérités-de-situation.
Depuis, le fil rouge de notre histoire devenue métahistoire s’identifiant le développement de ces deux “perceptions” (!), n’a cessé d’accroitre la divergence entre elles. Depuis le 24 février 2022, jour du déclenchement de l’OMS (Opération Militaire Spéciale) russe, c’en est fait : les deux “perceptions” s’opposent frontalement. C’est un fracas de tonnerre qui ne cesse de s’amplifier, de gronder et de rouler.
Un de nos commentateurs favoris, très sensible à cette idée de l’Occident-addictif et à ses narrative comme autant de prises de coke, s’affirme de plus en plus comme un observateur minutieux des bouleversements pathologiques dans les psychologies hystériques, et des catastrophes politiques qui s’ensuivent, découlant de cette “addiction” à la narrative qui les oblige, qui les détermine (déterminisme-narrativiste). Ce commentateur est l’ami Alastair Crooke, et les Français traduisant ses textes emploient le mot “récit” pour traduire très justement le mot. Nous préférons garder narrative pour bien marquer l’ascendance indubitablement anglosaxoniste de la “Méthode”, – comme l’on dirait d’un Descartes anglosaxonisé puis finalement converti à l’américanisme.
Note de PhG-Bis : « PhG précise ceci, dans ses propres termes : “J’introduis aussi dans cette traduction, et pour le travail à venir, le néologisme ‘narrativisme’ comme un mot séparé, pour affirmer hautement qu’il s’agit, de mon point de vue, non d’une ‘Méthode’ mais d’une idéologie-totale/totalitaire, c’est-à-dire non pas d’un outil mais d’une vision du monde et du moteur du monde, même une vision de la chose créatrice du monde. On peut en déduire aisément selon cette idéologie que tout est narrative dans notre univers, y compris la nommée “vérité”, actrice assez suspecte au demeurant, et fort peu talentueuse, un second-rôle de circonstance, – mais que la tolérance ultra-libérale invite à tolérer...” »
Je rappelle, dans les récents écrits de Crooke, une première intervention particulièrement convaincante de cette explication conforme au narrativisme, reprise dans ce ‘Journal’, – avec un arrangement bien entendu, où je reprends narrative à la place de “récit”, pour la cohérence du propos (c’est mon déterminisme-narrativiste à moi !)
« L’hubris consiste à croire qu’une narrative inventée peut, en soi, apporter la victoire. [Le narrativisme] est un fantasme qui a envahi l’Occident, surtout depuis le XVIIe siècle.
» Récemment, le Daily Telegraph a publié une vidéo ridicule de neuf minutes prétendant démontrer que “les narrative gagnent les guerres” et que les revers dans l’espace de combat sont accessoires : ce qui compte, c’est d’avoir un fil narrativiste unitaire articulé, à la fois verticalement et horizontalement, à travers tout le spectre – du soldat des forces spéciales sur le terrain jusqu’au sommet de la hiérarchie politique.
» L’essentiel est que “nous” (l’Occident) avons imposé notre narrative, tandis que celle de la Russie est “maladroite” – “Notre victoire est donc inévitable” .
» Il est facile de se moquer, mais on peut néanmoins y reconnaître une certaine substance (même si cette substance est une invention). La narrative est désormais la façon dont les élites occidentales imaginent le monde... »
Crooke développe la description de cette étrange appréciation en forme de narrative élaborée par soi-même, et la concurrence ainsi établie avec la fameuse “réalité”. A cet instant, Crooke développe naturellement le constat, auquel tout esprit de sagesse est conduit, que cette perception de la narrative va se fracasser sur les faits, sur les évènements, – bref, sur la déjà-nommée “réalité” qui suggérerait éventuellement la “vérité”. De cela, de ce moment fatal et cruel, les dirigeants de notre civilisation, bloc-BAO ou Occident-collectif, ont grand’peur, – car ils savent, malgré tout...
« La peur la plus profonde des dirigeants politiques occidentaux est que la narrative que nous proclamons vole en miettes ; ils savent qu’elle est factuellement fausse. Le pire est que notre époque a été rendue de plus en plus dangereusement dépendante de ce méta-mythe.
» Ils tremblent, non seulement face à une “Russie renforcée”, mais plutôt à la perspective que le nouvel ordre multipolaire dirigé par Poutine et Xi qui balaie le monde détruise le mythe [narrativiste] de la civilisation occidentale. »
En attendant ce moment de “vérité”, il nous faut observer qu’il est bien vrai que règne la narrative. La perception de l’importance de la narrative comme mesure de toutes choses et essence de toutes les choses qu’elle mesure, est, du côté antirusse, absolument installée au rang de référence ultime. Alexander Christoforou nous le fait remarquer en s’attardant avec quelques gloussements (« Man ! What a clown world ! ») sur un article de NBC du 4 août (voir la vidéo à 07’21”). Le titre suffit à notre bonheur, comme à celui de Christoforou :
« Is Ukraine’s counteroffensive failing? Kyiv and its supporters worry about losing control of the narrative. »
Vous comprenez donc ce dont il s’agit : on ne craint pas de perdre du terrain, de perdre des chars et des canons, de perdre des hommes et des femmes avec leurs chairs et leur sang ; non, on s’inquiète de perdre le « contrôle de la narrative » puisque, finalement, la narrative “dit le vrai”, – c’est-à-dire ce qu’il importe qu’on croit, qu’on voit et qu’on pense.
Peu après Christoforou, sur son propre programme, Mercouris s’arrête au même article (sa vidéo à partir de 04’25“) et s’attache à quelques réflexions dans le même sens que son compère : ces gens se fichent bien de perdre à partir du moment qu’ils gardent le contrôle d’une narrative qui doit nous faire croire qu’ils gagnent ! Mais y croient-ils vraiment, à leur narrative ? Oui ? Non ?
C’est là que l’on revient à Crooke qui nous avait affirmé, en toute bonne foi et selon le bon sens même, que les dirigeant craignent par-dessus tout que « la narrative vole en miettes » car, juge-t-il, « ils savent qu’elle est factuellement fausse »... Est-ce bien sûr ? Crooke revient sur le sujet le 31 juillet (le 1er août en français), cette fois essentiellement par le biais des frasques de Biden et des jugements impériaux de Jonathan Turley (certains que nous avons déjà cités).
L’affaire est beaucoup plus complexe et largement documentée par Turley, si bien que la réflexion d’Alastair Crooke peut progresser, – comme la nôtre, comme celle de tous les “dissidents” placés devant ce phénomène totalement extraordinaire et sublime lorsqu’il est étalé et affirmé à cette échelle, et pour des évènements d’une telle importance qu’elle engage la paix du monde et le sort de la civilisation....
« Biden : “Poutine a déjà perdu la guerre… Poutine a un vrai problème : comment va-t-il faire à partir de maintenant ? Que fait-il ?” Le secrétaire d’État Blinken répète à l’infini le même mantra : “La Russie a perdu”. Il en va de même pour le chef du MI6, et Bill Burns, le chef de la CIA, opine (avec des apartés narquois) à la Conférence d’Aspen sur la sécurité, que non seulement Poutine a «perdu», mais qu’en plus, Poutine ne parvient pas à garder la main sur un État russe en pleine fragmentation, qui entre dans une probable désintégration en spirale de la mort.
» Que se passe-t-il ? Certains suggèrent qu’un trouble psychique ou un ‘group-thinking’ s’est emparé de l’équipe de la Maison-Blanche, entraînant la formation d’une pseudo-réalité, coupée du monde, mais discrètement façonnée autour d’objectifs idéologiques plus larges.
» La répétition de narrative douteuses se transforme toutefois, pour le monde informé, en une apparente illusion occidentale, – le monde tel que le ‘Team Biden’ l’imagine, ou plus précisément, tel qu’il voudrait qu’il soit.
» Il est clair que cette répétition rigoureuse n’est pas une “coïncidence”. Un groupe de hauts fonctionnaires s’exprimant par écrit et de concert ne se fait pas d’illusions. Ils sont en train de mettre au point un nouveau récit. Le mantra “La Russie a perdu” définit la grande narrative qui a été décidée. C’est le prélude à un intense “jeu de blâme”. Le ‘Projet Ukraine’ “échoue parce que les Ukrainiens ne mettent pas en œuvre les doctrines reçues des formateurs de l’OTAN – mais malgré cela, la guerre a montré que Poutine a lui aussi ‘perdu’. La Russie aussi est affaiblie”.
» Il s’agit là d’un autre exemple de la fixation occidentale actuelle sur l’idée que les “narrative gagnent les guerres” et que les revers dans l’espace de bataille sont accessoires. Ce qui importe, c’est d’avoir un fil narrativiste unitaire articulé à travers le spectre, affirmant fermement que l’“épisode” ukrainien est désormais terminé et devrait être “clôturé” par l’exigence que nous “passions à autre chose”. »
...Suit le corps de l’article de Crooke, consacré aux divers scandales Biden, et notamment appuyé sur des puissants commentaires du professeur Turley, mettant en doute la capacité des médias de la presseSystème d’imposer ou plutôt de poursuivre en toute impunité cette narrative qui exonère la famille Biden de ses innombrables machinations.
« Rien de tout cela ne fonctionnera, bien sûr. Le public n’a plus confiance dans les médias. Le mouvement «Let’s Go, Brandon» est autant une moquerie à l’égard des médias – qu’une attaque contre Biden […] Les sondages montrent que le public ne “passe pas à autre chose” [que les allégations de Hunter] et qu’il considère désormais cette affaire comme un scandale majeur... Si les médias peuvent continuer à étouffer les preuves et les allégations au sein de leurs propres chambres d’écho, la vérité, comme l’eau, trouve toujours un moyen de s’échapper. » (Turley)
La conclusion d’Alastair Crooke est donc que les choses, “les évènements” avancent, quel que soit le barrage des médias, quelle que soit la narrative qu’on leur oppose.
« En effet, les “événements” avancent, avec ou sans les médias.
» Et c’est là que le bât blesse. Dans la mesure où Turley estime que l’affaire Biden constitue un putatif “site apocalyptique de destruction intérieure des Etats-Unis”, l’Occident est confronté à une défaite encore plus stratégique découlant de son projet ukrainien – car cette défaite ne concerne pas seulement le champ de bataille ukrainien... Elle a détruit le mythe de l’omnipotence de l’OTAN. Elle a fracassé la narrative de l’armement occidental “magique”. Elle a brisé l’image de la compétence occidentale.
» Les enjeux n’ont jamais été aussi importants. Pourtant, la classe dirigeante a-t-elle réfléchi à tout cela lorsqu’elle s’est lancée avec tant de légèreté dans ce “projet” malheureux sur l’Ukraine ? La possibilité d’un “échec” leur a-t-elle seulement effleuré l’esprit ? »
Ainsi, plus haut Crooke affirme à propos de la narrative affirmée par nos dirigeants : « « ils savent qu’elle est factuellement fausse ». Ici, il écrit, sous une forme qui sollicite une réponse négative et montre par conséquent qu’au contraire, les dirigeants croient à la narrative : « La possibilité d’un “échec” leur a-t-elle seulement effleuré l’esprit ? » L’auteur, le commentateur n’est pas en faute : tous, chez les commentateurs dissidents et indépendants, nous nous heurtons à la même colossale incertitude ; et nous pouvons très vite évoluer dans notre jugement...
Surtout, surtout en ce moment, cela ! Nous sommes à un point de rupture terrible ; alors que l’échec ukrainien est de plus en plus criant, évident, exigeant de la vérité ; alors que les présidentielles 2024 US arrivent au galop, – comment maintenir cette narrative d’une globale stupidité menteuse et d’une vulgarité aussi agressive ? Et d’autre part mais au contraire, comment l’abandonner, la trahir, la fouler aux pieds, alors que je crois pour mon compte, avec force en ce moment et de plus en plus de force, que cette incroyable bande de pieds-nickelés, cette bande zombifiée d’hallucinés titubants, y a cru elles, – et elle ne peut arriver à accepter autre chose que cette rêverie d’ivrogne de fortune !
« En effet, les “événements” avancent », écrit Alastair Crooke. Il parle des “évènements” comme nous le faisons, d’une façon hypothétique, symbolique, comme d’une parabole qui nous surmonte et nous emporte, complètement hors de notre capacité d’influence. Les crétins avec leurs gardes du corps, leurs 4x4 noires, leurs lunettes de soleil et leurs cornets de glace, n’y entendent rien, pas une seconde, pas un seul éclair. Ils balbutient la narrative, ils trouvent que Mister Z. est un bien beau gaillard, élégant, respirant la probité et la loyauté, et que le vieux Joe est une résurrection des Founding Fathers.
Ils y croient ferme, de plus en plus ferme, en suant l’angoisse inconsciente, la terreur dissimulée, la panique catastrophique de l’avancement des choses, et ainsi se réduisant, se décomposant sous nos yeux jusqu’à n’être plus qu’un souvenir enfui et enfoui, qu’un peu de sable efface... La tempête de la métahistoire, que voulez-vous, fait se lever la marée du soir !