La nécessité du facteur psychologique

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 4 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 412

La nécessité du facteur psychologique

La crise ukrainienne est très probablement devenue, selon nous on l’a vu, la “crise haute ultime” (voir le 24 mars 2014). Elle est très rapidement passée du niveau régional (l’Ukraine, la Crimée) au niveau le plus haut, avec une sorte de globalisation qui la conduit à s’opérationnaliser dans divers domaines, chacun au niveau le plus haut également. Aujourd’hui, elle est essentiellement, et on dirait à certains moments exclusivement, une crise générale du bloc BAO contre la Russie, mais avec une interprétation symbolique et opérationnelle d’une considérable puissance : le bloc BAO en tant que représentant opérationnel et symbolique, et représentant enthousiaste, du Système ; la Russie en tant que représentant opérationnel et symbolique, et représentant réticent de l’antiSystème. La différence entre “représentant enthousiaste” et “représentant réticent” fait la différence entre un bloc BAO plus offensif dans le champ du système de la communication, que la Russie beaucoup plus sur la réserve, avec une position de résistance et en recherche d’accommodement (sans pour autant envisager de céder une seconde sur la Crimée).

Cette interprétation “enthousiaste-réticent”/“offensif-résistance” déjà complexe, le devient encore plus lorsqu’il apparaît que les deux attitudes concernent des objets différents. L’“enthousiasme” offensif du bloc BAO recouvre en vérité une anxiété profonde qui concerne l’état réel du Système : l’affirmation de la puissance et de la justesse du Système est d’autant plus forte que cette puissance et cette justesse sont affreusement menacées par l’évolution propre, l’évolution intérieure du Système avec la perception inconsciente d’une tendance autodestructrice. La “réticence” de la Russie, plus axée sur une résistance défensive, tient à ce que ce pays défend des actes et des situations d’une réalité nationale qu’il juge intangibles, mais qu’il craint que cette défense irréfragable provoque des effets d’excitation et de fureur incontrôlés chez son partenaire-adversaire. Cela signifie que la Russie ne reculera pas, qu’elle ne peut pas reculer, mais qu’elle tente de faire de cette position intangible une position raisonnable et la moins provocatrice possible, – exercice particulièrement difficile. (Il est caractéristique que, même dans ses critiques et ses attaques contre le bloc BAO Poutine continue à parler de “partenaires”, simplement en observant que ces “partenaires” se fourvoient.)

Les événements très rapides et puissants ont empêché que l’on s’attache particulièrement à la dimension psychologique, alors qu’il apparaît évidemment qu’elle est absolument essentielle comme dans toutes les crises aujourd’hui, avec un système de la communication omniprésent et d’un effet fondamental ; d’autant plus “absolument essentielle” que cette crise est devenue ce que nous-même en faisons, la “crise haute ultime”. Il est temps de réparer cette faiblesse, alors que nous avons tenu depuis longtemps que la dimension psychologique est fondamentale.

Dans l’affrontement qu’on décrit ici, il y a bien l’affrontement classique, et lui aussi fondamental, du Système contre l’antiSystème, – et cet affrontement classique est beaucoup plus intéressant et beaucoup plus nécessaire à considérer que l’affrontement pseudo-géopolitique (bloc BAO versus Russie). Les références psychologiques sont alors naturelles, et déjà dites moins fois, et cette fois plus fortes que jamais : le Système (le bloc BAO) manifeste une psychologie offensive, débridée, furieuse, etc., parce que plongé dans une pathologie schizophrénique, entre la surpuissance du Système et la tendance à l’autodestruction que produit simultanément cette surpuissance. L’antiSystème (la Russie) est sur une ligne beaucoup plus modérée, beaucoup plus manœuvrière comme on l’a vu, parce que la Russie raisonne aussi et principalement en termes géopolitiques, et qu’elle a énormément de difficultés, voire de réticence, à endosser le rôle de l’antiSystème. D’une certaine façon, la Russie est autant plongée dans une complexité contradictoire que le bloc BAO, mais non par la pathologie qui implique l’inconscience de la chose, mais par l’extrême difficulté de réconcilier deux termes qui se contredisent. Son analyse géopolitique n’est pas antiSystème en soi, elle est réaliste selon les données existantes qui renvoient toutes au Système ; sa position antiSystème qui lui est imposée, elle, est nécessairement une mise en cause du Système.

Quoi qu’il en soit, le cas le plus important et le plus intéressant est celui du bloc BAO parce qu’il s’agit d’une pathologie, donc d’une attitude éventuellement contradictoire qui n’est pas consciemment réalisée. C’est donc la position du Système (du bloc BAO) qui doit nous intéresser en absolue priorité. Nous avons déjà esquissé un aspect (alors qu’il y en a beaucoup d’autres) de la pathologie-Système du bloc BAO, dans notre texte sur la Guerre froide (voir le 20 mars 2014), qui est celui de l’interprétation de l’expression “Guerre froide”, dont la modification a constitué une des causes sémantiques de la russophobie actuelle, – mais une cause sémantique, c’est-à-dire tentant de fournir un socle pseudo-rationnel (parmi d’autres) à la pathologie de la psychologie suscitée par les exigences du Système ... D’où cette citation, concernant la modification que les neocons en tant que matériel humain du Système, ont introduit dans les années 1970 :

«Il n’empêche, cette intervention des neocons signalait effectivement la sémantique faussaire à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui avec l’idée d’une “néo-Guerre froide”, ou encore du constat à-la-McCain que “la Guerre froide n’a jamais cessé”. Cette “opération sémantique” comme on pourrait désigner la chose, est d’une importance capitale, parce qu’elle recèle peut-être la cause profonde de la tendance antirusse qui s’est installée au cœur des troupes du Système, qui a la force d’un emportement hystérique exerçant son empire sur une psychologie malade et impuissante à recueillir les signes de la vérité de la situation du monde. Cette tendance antirusse s’est manifestée d’une façon opérationnelle de deux façons depuis la fin de la Guerre froide : la mise à l’encan de la Russie avec Eltsine par le capitalisme sauvage, la dénonciation de la Russie “néo-impérialiste” et dictatoriale avec Poutine, avec une poussée concomitante constante vers la Russie (OTAN et UE).»

D’une façon beaucoup plus générale, nous citons ici un commentaire à un texte d’Orlov (voir ClubOrlov, le 18 mars 2014, «La folie du président Poutine»). Il s’agit d’une observation générale de ce que nous nommons la psychologie-Système du bloc BAO, par un lecteur (Stanislav Datskovskiy) citant un nommé “Brian”, “ an American fellow who actually gets it»...

«In light of likely near future developments, Vladimir Putin is now wise to secure the ‘borderland’ to protect the ‘heartland’. Throughout the west there is a sublimated rage against social and economic conditions which find occasional and diverse expression. Russophobia is the latest, most powerful expression of this atavism to date, and this should be no surprise to anyone paying attention. Russia is unfortunately populated by people who have no corresponding culturally protected groups in the west. No westerner has been raised to speak only kindly of all things Russian. As such Russia and its expressions face the full force of the contempt of the Western elite and rabble alike.

»Psychiatric insight is useful to bring to bear on this crisis because it suggests those fears which give rise to projection and anger will only multiply themselves as the power relations which are there origin devolve and degenerate into ever greater coarseness and brutality. This outcome seems inevitable as western macro bankruptcy looms. Here, I think, I need not convince anyone of the likelihood of western economic collapse. But here it is useful to consider how that collapse may give rise to a fascistic, lunatic lunge at the Russian heartland.»

“Brian” parle d’une “a sublimated rage” s’exerçant contre la Russie, parce que ce pays représente un “modèle” social et culturel, voire spirituel, qui s’oppose à celui du Système, d’une façon naturelle, simplement en étant. Cette réalité russe qui est un déni du Système suscite “ those fears which give rise to projection and anger” (“ces peurs” étant celle du Système dans sa surpuissance se heurtant à une Russie antiSystème par le fait, sans nécessité de volonté, simplement en étant, et craignant que cette résistance accentue la production d’autodestruction qu’implique sa propre surpuissance). Ces attitudes-Système du bloc BAO suscitent un comportement qui se rapproche du “trouble obsessionnel-compulsif” (TOC) bien caractérisé par les diverses interventions d’Obama durant son séjour européen cette semaine, et qui développent d’extraordinaires contradictions impliquant obsession et compulsion pour lutter contre l’obsession ... Au départ de son séjour (à La Haye), Obama règle son compte à la Russie : “puissance régionale”, sans intérêt, négligeable, etc. («“Russia is a regional power that is threatening some of its immediate neighbours, not out of strength but out of weakness,” the president said. The US also has influence over its neighbours, he added, but: “We generally don't need to invade them in order to have a strong cooperative relationship with them.”») Le reste de son temps a été consacré à des discours grandiloquents, menaçants, emporté, sur la paix du monde, la morale du monde, foulés aux pieds par la Russie, l’assurance dix fois répétée qu’on n’interviendrait pas malgré la fourberie de la Russie qui secouait toute la civilisation, – tout cela à propos de la Russie ; une “puissance régionale” vaut-elle tant d’attentions, de mise en frais, de coups de semonce et de descriptions apocalyptiques ? On retrouve là l’obsession de la russophobie qui est l’obsession d’une puissance concurrente et d’un “modèle” antiSystème, et la compulsion consistant à réduire l’objet de cette obsession à quelque chose de négligeable pour contrecarrer l’anxiété de la russophobie. Une parlementaire russe a observé (le 26 mars 2014, sur Russia Today) qu’il ne fallait pas trop s’attarder au sérieux d’un jugement à émettre sur les sorties d’Obama  : «“Such statements are manifestations of not even panic, but agony, and the refusal to acknowledge the mistakes made in Ukraine,” the head of the Upper Chamber of the Russian Parliament, Valentina Matviyenko, was quoted as saying by the RIA Novosti news agency. She also called upon journalists not to take such words too seriously.»)

Certes, cette chose est à ne pas prendre au sérieux, – mais tout de même dite, et par le POTUS lui-même. Ce qu’a dit Obama, lorsqu’il a semoncé la Russie en montrant en exemple les USA qui, parce qu’ils sont si puissants (sous-entendus : et donc si sages) préfèrent la voie diplomatique que l’intervention militaire pour traiter avec ses voisins («We generally don't need to invade them ») a dû résonner un peu lourd dans l’arrière-cour des USA, tous ces pays d’Amérique Latine en butte à des interventions US incessantes depuis deux siècles, sous la haute autorité de la doctrine de Monroe, jusqu’à celle de Panama en décembre 1989, la plus surréaliste, baptisée Just Cause et caricaturée Just Because parce qu’au Pentagone lorsqu’on s’informait de la cause, “pourquoi cette intervention ?”, on recevait cette réponse “Simplement parce que...”. On n’insistera pas nécessairement sur les performances interventionnistes des USA depuis 2001, – et ce sont des “voisins”, même l’Irak, et l’Afghanistan, puisque les USA c’est le monde, – mais on les a à l’esprit. Tout cela, rassemblé en quelque mots d’un Obama suffisant et arrogant, image invertie de l’Obama de 2009 qui reconnaissait l’infamie de l’intervention US en 1953 en Iran (voir le 5 juin 2009), constitue un acte de propagande non pas stupéfiant, non pas extraordinaire, mais plutôt dissolvant, comme l’on dirait “intellectuellement dissolvant” parce qu’il dissout l’esprit, – exactement comme un acte intellectuel qui serait une charogne dans le processus de dissolution de la décomposition voulant se faire prendre pour une Idée. Le fumet de cette puanteur de la dissolution a attiré qui il devait, et le discours a été correctement applaudi et transcrit par les dirigeants-Système et les pisse-copie-Système.

Faut-il pour autant attaquer furieusement BHO comme source de la chose ? On se tromperait. BHO s’avère finalement être une créature de communication, c’est-à-dire un non-être lorsqu’il s’agit d’agir intellectuellement, indifférent à la politique et à l’histoire, attentif à la seule représentation où il excelle, – c’est-à-dire qu’il croit à ce qu’il dit mais ne comprend rien à ce qu’il dit, et d’ailleurs il s’en fout royalement. Idem pour ceux qui écrivent ses discours, ceux qui le conseillent, etc., qui font leur travail avec sincérité, qui est celui de la représentation d’une narrative, pas de la vérification de sa véracité, – évidemment nulle par définition. Alors, sur qui faire porter la responsabilité du fondement d’une telle puanteur de décomposition intellectuelle ?

... Le Système certes, et ainsi en revenons-nous à notre grand Mystère, le Système qui impose sa loi et ses consignes, et suscite tant de troubles et de pathologies dans ces psychologies fragiles qui s’exécutent. Nous connaissons le Système, nous l’identifions, mais il reste à explorer avec ténacité et ardeur sa forme d’autonomie, sa réelle substance, voire son essence qui serait une contre-essence conduisant la Chute de lui-même et de notre contre-civilisation en même temps, et au-delà sa véritable origine constitutionnelle. Cette exploration doit se poursuivre sans trêve, particulièrement dans cette période qui a pris toute son ampleur avec l’affaire ukrainienne. Dans ces circonstances où les psychologies affaiblies sont prisonnières de leur obligation de servir de sas de transmission vers l’esprit d’une réalité subvertie qui se fait passer pour la vérité du monde, et avec une puissance jamais atteinte dans cette crise-là, on voit moins que jamais la possibilité d’une issue de compromis, rationnelle et acceptable, pour reporter le moment historique du grand choc. Au contraire, entre ces psychologies bloquées comme elles le sont de plus, on se trouve avec la Russie devant l’évidence de la finalité de l’affrontement... («[...L]a Russie telle qu’elle se place dans la crise ukrainienne, et elle qui est le vrai foyer de la crise ukrainienne, apparaît comme le terme d’une période, la fin d’une dynamique, l’épuisement d’un projet ou d’un programme. C’est-à-dire qu’il n’y a rien au-delà de la Russie et qu’autour d’elle, avec elle, et encore plus selon la réaction extrêmement ferme qu’elle a montrée, on se trouve au terme d’une période politique fondamentale et à l’instant historique, dans la circonstance quasi-métahistorique de l’affrontement fondamental» [le 24 mars 2014].) Bien sûr, l’affrontement fondamental, quoi qu’en veuillent et qu’en réalisent les uns et les autres, entre Système antiSystème...


Mis en ligne le 27 mars 2014 à 10H36

Donations

Nous avons récolté 2305 € sur 3000 €

faites un don