La “nef des fous” s’amuse, — nous aussi, mais avec un sourire jaune

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Nous poursuivons de loin en loin notre enquête sur cette étrange “formidable époque”, avec auparavant dans le même registre notre mention d’un séminaire aux Bahamas. Cette fois, une aide grandiose nous vient de Johann Hari, qui a suivi une croisière organisée par The National Review, dont il a fait un long rapport dans The Independent, le 13 juillet.

Hari cite dans son titre la référence à “la nef des fous”, convenant parfaitement sans doute : «Ship of fools», avec ce sous-titre si révélateur : «The Iraq war has been an amazing success, global warming is just a myth – and as for Guantanamo Bay, it's practically a holiday camp... The annual cruise organised by the ‘National Review’, mouthpiece of right-wing America, is a parallel universe populated by straight-talking, gun-toting, God-fearing Republicans.»

Son long article nous présente effectivement un autre univers, un univers parallèle, lunatique, complètement habité par les plus extravagantes croyances. Ci-dessous, un extrait de l’article présentant un moment polémique des diverses interventions qui animèrent la croisière. Bien sûr, entendre Norman Podhoretz donner sa vision du monde, victoire en Irak comprise, constitue une expérience étonnante.

«A fracture-line in the lumbering certainty of American conservatism is opening right before my eyes. Following the break, Norman Podhoretz and William Buckley – two of the grand old men of the Grand Old Party – begin to feud. Podhoretz will not stop speaking – “I have lots of ex-friends on the left; it looks like I'm going to have some ex-friends on the right, too,” he rants –and Buckley says to the chair, “Just take the mike, there's no other way.” He says it with a smile, but with heavy eyes.

»Podhoretz and Buckley now inhabit opposite poles of post-September 11 American conservatism, and they stare at wholly different Iraqs. Podhoretz is the Brooklyn-born, street-fighting kid who travelled through a long phase of left-liberalism to a pugilistic belief in America's power to redeem the world, one bomb at a time. Today, he is a bristling grey ball of aggression, here to declare that the Iraq war has been “an amazing success.” He waves his fist and declaims: “There were WMD, and they were shipped to Syria ... This picture of a country in total chaos with no security is false. It has been a triumph. It couldn't have gone better.” He wants more wars, and fast. He is “certain” Bush will bomb Iran, and “thank God” for that.

»Buckley is an urbane old reactionary, drunk on doubts. He founded the National Review in 1955 – when conservatism was viewed in polite society as a mental affliction – and he has always been sceptical of appeals to “the people,” preferring the eternal top-down certainties of Catholicism. He united with Podhoretz in mutual hatred of Godless Communism, but, slouching into his eighties, he possesses a world view that is ill-suited for the fight to bring democracy to the Muslim world. He was a ghostly presence on the cruise at first, appearing only briefly to shake a few hands. But now he has emerged, and he is fighting.

»“Aren't you embarrassed by the absence of these weapons?” Buckley snaps at Podhoretz. He has just explained that he supported the war reluctantly, because Dick Cheney convinced him Saddam Hussein had WMD primed to be fired. “No,” Podhoretz replies. “As I say, they were shipped to Syria. During Gulf War I, the entire Iraqi air force was hidden in the deserts in Iran.” He says he is “heartbroken” by this “rise of defeatism on the right.” He adds, apropos of nothing, “There was nobody better than Don Rumsfeld. This defeatist talk only contributes to the impression we are losing, when I think we're winning.” The audience cheers Podhoretz. The nuanced doubts of Bill Buckley leave them confused. Doesn't he sound like the liberal media? Later, over dinner, a tablemate from Denver calls Buckley “a coward”. His wife nods and says, “Buckley's an old man,” tapping her head with her finger to suggest dementia.»

Encore a-t-on choisi l’un des passages les plus ordonnés. Ecouter les réflexions de quelques-uns des passagers de la croisière donne une impression bien plus forte de cet univers parallèle, et les proclamations de victoire en Irak de Podhoretz paraissent alors évidentes et raisonnables.

Certes, il s’agit de timbrés et de toqués, dira-t-on pour se rassurer. La référence antagoniste constante que fait l’auteur, souvent en citant des participants à la croisière, aux “libéraux” (“progressistes” dans l’imagerie politique US), tendrait à nous rassurer. En face de ces zinzins assoiffés de sangs divers et de couleurs différentes, il y a, se dit-on, des gens posés, humanistes, généreux et ainsi de suite. Si c’est parler ainsi des USA (et pas seulement des USA mais parler de toute notre époque sous influence des USA), on nous permettra de repousser cette impression un peu trop facile. Le New York Times (NYT) est bien aussi fautif que les toqués de la nef des fous, et même bien plus à notre avis, puisque prétendument éclairé par son statut de libéral, d’intellectuel, de grande conscience et d’esprit parfaitement équilibré. Le NYT n’a pas été moins hystérique que les participants de la croisière sur la nef des fous au moment où il ne fallait pas l’être, lorsque les guerres catastrophiques furent lancées. L’on sait bien que le NYT, avec les libéraux US, s’il dénonce certaines (pas toutes, tant s’en faut) bavures du régime et les pauvres d’esprit qui en applaudissent trop bruyamment les effets les plus pervers, n’en reste pas moins un pilier de ce même régime.

Tout compte fait, les timbrés de la nef des fous ne nous rassurent pas du tout, à être épinglés comme ils le sont et à sembler être isolés du reste comme des bêtes curieuses, ridicules et rétrogrades. La critique porte essentiellement sur leur style “droitier” de dire leur américanisme, pas sur leur américanisme. Ils disent crûment, sottement, aveuglément, ce que d’autres, plus grands esprits qu’eux, disent avec plus de mesure et de maestria. C’est leur style et l’absence de nuances de leurs discours qui les discréditent ; pour le reste, pour la substance des choses, ils sont moins isolés qu’on croit. Et puis enfin, Norman Podhoretz est un des conseillers de politique extérieure de Rudy Guliani, candidat très bien placé pour être le candidat républicain aux présidentielles; Podhoretz était de gauche (et même d’extrême-gauche) avant d’être de droite style-nef des fous; et Giuliani est étiqueté plutôt “modéré” chez les républicains. Alors, la messe est dite.


Mis en ligne le 18 juillet 2007 à 13H44