La noosphère (II) : Mythologies athées

Les Carnets de Dimitri Orlov

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La noosphère (II) : Mythologies athées

En dépit de leur grande diversité, les mythes qui servent d’éléments fondateurs à la noosphère peuvent tous être classés dans des catégories identifiées par un membre de l’ensemble suivant : {NULL, 0, 1, 2, 3}. Ces identificateurs indiquent les mythologies athées, polythéistes, monistes, dualistes et trinitaires. Ces nombres n’obéissent pas aux lois de l’arithmétique mais se comportent de la manière suivante, contre-intuitive et non évidente :

• Athée : NULL est NULL

• Polythéiste : 0 = ∞

• Moniste : 1≠1

• Dualiste : 1+1=1

• Trinitaire : 1+1+1=1

Comme promis, nous allons maintenant nous pencher sur chacune d’entre elles. Le volet de cette semaine portera sur les mythologies athées.

NULL est NULL est NULL. NULL est différent de zéro qui signifie lui qu’il n’y a rien ; NULL signifie que nous ne savons pas ce qu’il y a et que nous ne nous en soucions pas. NULL n’est égal à rien, pas même à lui-même, puisqu’il n’y a pas de base de comparaison ; par conséquent, tout ce que l’on peut dire à son sujet est qu’il est NULL, une tautologie. Il y a une variété presque illimitée d’adeptes de NULL, tout comme il y a une variété presque illimitée de poteries cassées dans les décharges du monde, mais un exemple particulièrement omniprésent est l’Homo trivialis : le cas dégénéré d’un Homo sapiens non-sapiens, un homme qui ne se préoccupe de rien de plus noble qu’un ventre plein, une libido satisfaite et un endroit chaud et sec pour dormir. Le spécimen typique de l’Homo trivialis est un consommateur satisfait de bière, de féculents, d’aliments gras et de sports télévisés. Il peut aussi s’agir d’une femme, dont les préoccupations sont centrées sur ses cheveux, ses ongles et ses chaussures, avec en prime des seins, des lèvres et des fesses améliorés par la chirurgie.

Parmi les adeptes de NULL, on trouve également les serviteurs enthousiastes de la technosphère. Ce sont les technophiles qui considèrent tout ce qui dépasse une conception purement mécaniste de l’univers comme une superstition de base à ridiculiser, alors que sa propre idolâtrie et fétichisation de la technologie n’est pas du tout ridicule, remarquez ! Plusieurs générations d’auteurs de science-fiction ont construit un univers technosphérique entier que vous pouvez traverser à bord du bon petit vaisseau spatial Spinal Tap qui fait Warp 11 (mais seulement dans votre imagination juvénile) (*). En réalité, l’homme n’a jamais sorti la tête de l’orbite terrestre basse, malgré toutes les absurdités de la mission Apollo, et ne le fera probablement jamais. Il s’avère maintenant que les Américains ne peuvent pas retourner sur la Lune parce qu’ils n’ont pas de combinaisons spatiales. Ces merveilleuses combinaisons spatiales qu’ils utilisaient pour s’ébattre sur la Lune ont été rongées par des rats de l’espace et ils ne peuvent pas en fabriquer de nouvelles parce qu’ils ont perdu le plan que leur chien a mangé. Tout cela est très crédible, bien sûr, mais seulement si vous êtes aussi crédule qu’un enfant.

Parmi la population adulte, il y a aussi un certain nombre de rationalistes philosophiques. Ils sont convaincus qu’une entité dont l’existence ne peut être prouvée (documentée, attestée, pesée, mesurée, obligée de faire pipi dans un gobelet, interviewée par une caméra, traînée devant un tribunal pour témoigner, etc.) n’existe pas. Cette position est particulièrement drôle si on l’aborde du point de vue d’une divinité : si j’étais Dieu (ce que, soit dit en passant, je ne suis pas ; il s’agit purement d’une expérience de pensée), alors pourquoi condescendrais-je à me laisser tripoter de la sorte ? En tant que Dieu, je serais bien disposé à l’égard de ceux qui croient en moi et me vénèrent, peut-être même me montrerais-je à eux, mais uniquement de manière purement mystique et éthérée afin de ne pas banaliser ma nature divine. J’ignorerais surtout ceux qui ne croient pas en moi et ne m’adorent pas, tant qu’ils laissent mes vrais croyants tranquilles. Je frapperais avec une grande force et une furieuse colère ceux qui tentent d’empoisonner et de détruire Mes frères. Cette partie-là, Ezéchiel [25:17] l’a bien comprise. Ils ne sauront pas que Mon nom est le Seigneur quand J’exercerai Ma vengeance sur eux ; plutôt, ils ne sauront pas ce qui les a frappés et appelleront simplement cela un “acte de Dieu” (en Qui ils ne croient pas). J’ai fini de parler en tant que Dieu maintenant, aussi amusant que cela puisse être.

Du point de vue de la technosphère, ce sont tous des clients idéaux : soit ils sont indifférents, obéissants et faciles à manipuler, sans programme propre, soit ce sont des gardiens zélés de la technosphère qui souhaitent tout technologiser et qui monteraient volontiers dans une capsule spatiale pour être envoyés dans le vide sans fin de l’espace juste pour la plus grande gloire de la chose.

Les adeptes passionnés et zélés de NULL sont les plus fidèles serviteurs de la technosphère. Leur insistance sur le fait que tout doit avoir une base rationnelle est très utile pour élargir le champ d’action de la technosphère et renforcer sa capacité à exercer un contrôle total sur l’humanité. Bien entendu, une approche rationnelle est souvent utile, notamment lorsqu’il s’agit de décider de la quantité d’eau à mettre dans un réacteur nucléaire pour l’empêcher de fondre. Mais elle n’est ni nécessaire ni suffisante pour trouver le sens de la vie ; au contraire, elle est très utile pour le détruire. L’objectif à long terme de la technosphère est donc de conduire l’ensemble de l’humanité vers l’état NULL.

Note

(*) Assemblage du vaisseau Enterprise de Star Trek, qui passait en distorsion/warp 10 (très rapide), et le groupe de rock fictif Spinal Tap, dont les amplificateurs pouvaient être réglés sur 11 (très fort).

 

Le 23 aout 2021, Club Orlov, – traduction du Sakerfrancophone