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6 mai 2004 — Des signes sérieux sont relevés, concernant la possibilité que la Norvège quitte le programme d’avions de combat américain JSF. Ils sont d’autant plus convaincants qu’ils apparaissent dans un climat de malaise général dans le développement de ce programme de coopération. Outre la Norvège, l’Italie (surtout), les Pays-Bas, le Danemark, le Royaume-Uni, ont fait connaître plus ou moins bruyamment leur insatisfaction sur deux plans au moins : l’absence de transfert de technologies et la très grande faiblesse des contrats de Lockheed Martin vers les pays non-US coopérants.
Concernant la Norvège, il y a eu quelques signes dans les médias, avec des déclarations officielles. Nous signalons les trois suivants :
• Des déclarations de la présidente de la commission de défense du parlement norvégien à Defense News, le 26 avril, résumant les inquiétudes pour le programme du côté norvégien
« Norway wants to know by early June whether its defense industry will get a fair share of work in the Joint Strike Fighter (JSF) program, said Marit Nybakk, chairwoman of the defense committee in Norway’s Parliament.
» If JSF maker Lockheed Martin is unable to offer such assurances by June 9, when Norway’s parliament is expected to vote on the country’s long-term military plans, the country may pull out of the U.S.-led fighter program, Nybakk told Defense News on April 16. »
• Parallèlement, un article du 26 avril de Aviation Week & Space Technology (AW&ST) vient confirmer ces difficultés avec la Norvège, cette fois considérées du côté américain.
• Enfin, un article du 30 avril dans Defense Daily, reprenant les principales informations et y ajoutant quelques nouveaux éléments.
« A series of critical comments from a Norwegian official unhappy about the level of Norwegian participation in the multinational, multi-service Joint Strike Fighter (JSF) program managed by Lockheed Martin [LMT] while touting the JAS-39 Gripen produced by the Gripen International team of Sweden's Saab and Britain's BAE SYSTEMS came as a surprise even to the Gripen team.
» This was the first time since Norway chose to join the JSF program that an official from that country has “so clearly considered an alternative,” Gripen International spokesman Owe Wagermark told Defense Daily International in a telephone interview on Tuesday.
(...)
» This is not the first time Norwegian industrial participation in JSF has been targeted by critics. The Eurofighter consortium said last year it had awarded greater value in contracts to Norwegian industry even though Norway was investing considerably more in the systems development and demonstration (SDD) phase of the JSF program (Defense Daily, June 20).
» The Norwegian complaints echo similar concerns raised by the chairman and CEO of Italy's Finmeccanica, Pier Guarguaglini (Defense Daily, April 1). Italy is a Level II partner, investing $1 billion.
» Lockheed Martin told Defense Daily International that negotiations with Norwegian firms for additional contracts are ongoing.
» Teal Group analyst Richard Aboulafia told Defense Daily International that countries at the lower end of the partnership for JSF were probably trying to leverage the threat of leaving the program as a way to actually secure more contracts for their industrial base. The key here would be to distinguish between what these smaller partners were promised and what they thought they were promised when they signed on for the JSF SDD.
“No matter what, someone is going to be disappointed,“ Aboulafia said. »
Le point principal à retenir est qu’il s’agit bien d’une première dans le programme JSF. C’est la première fois qu’un pays envisage aussi clairement et officiellement de quitter ce programme. Cette intention va-t-elle être prévenue et contenue du côté US, par des concessions ? C’est fort improbable.
La question que se posent les Américains est de savoir si les Norvégiens bluffent. Mais ils se la posent plutôt pour la forme. Il est entendu pour eux que les Norvégiens bluffent, qu’ils annoncent leur départ possible pour obtenir des compensations, qu’ils n’obtiendront rien et qu’ils resteront de toutes les façons, — car comment peut-on imaginer l’avenir hors du programme JSF ? Les Américains peuvent-ils imaginer qu’un pays puisse décider de se retirer du JSF ? Non, jusqu’à ce que cela soit fait.
Voici ce que nous dit AW&ST là-dessus :
« While the U.S. model for participation in JSF is based on “global open competition,” this is viewed as more of a threat than an opportunity by some JSF parties. Smaller countries with niche defense aerospace companies have previously relied on industrial participation deals to provide workshare on big-ticket procurement items. What is being manifest in Norway in the tension between the defense ministry, industry and politicians is no less than a conflict between procurement models, argue both U.S. and European industry analysts.
» Italian officials are so piqued at the current situation that Lockheed Martin JSF representatives have been barred from visiting some air force offices. Prospective JSF customers — Denmark and the Netherlands — are also monitoring the situation in Norway.
» Pentagon officials confirm, but largely dismiss, the complaints. It remains to be seen to what extent the Norwegian position is merely posturing to try to leverage workshare. One senior Defense Dept. official points to the upcoming opportunities within the production program as a counter to the concerns. On the wider issue of European industrial worries, he anticipates: “We are going hear that [complaint] forever.”
» U.S. Air Force Chief of Staff John Jumper expressed regret about Norway's unhappiness regarding its share of potential JSF development and manufacturing, but said the program is doling out work only to companies providing the best systems at the best prices. Norwegian companies are not in that category as of yet, he said while speaking at the Aviation Week & Space Technology Maintenance Repair and Overhaul conference in Atlanta last week.
» He reiterated that joining the JSF development program does not guarantee any partner country a particular share of the program. Smaller nations' industries, however, wishing to bid for work, face disadvantages in terms of economies of scale and the ability to invest in infrastructure for JSF production. “You really have to ask what — at the industrial level — can Norway offer,” a U.S. industry analyst noted. »
Ces diverses phrases sont étonnantes de rudesse, de crudité, d’impudence, etc. Comment la Norvège a-t-elle pu s’engager à investir de l’argent dans le programme si, de toutes les façons, elle n’avait et n’a aucun espoir d’en avoir le moindre retour ? (« “You really have to ask what — at the industrial level — can Norway offer,” a U.S. industry analyst noted. ») Qui a promis quoi, et à qui ? Se promet-on quoi que ce soit dans ce genre de marché, ou bien signe-t-on les yeux fermés, après avoir vu un film-annonce en technicolor sur le JSF fabriqué par un programme d’ordinateur ?
Effectivement, nous sommes en plein univers de l’incommunicabilité. Répétons cette appréciation : « Teal Group analyst Richard Aboulafia told Defense Daily International that countries at the lower end of the partnership for JSF were probably trying to leverage the threat of leaving the program as a way to actually secure more contracts for their industrial base. The key here would be to distinguish between what these smaller partners were promised and what they thought they were promised when they signed on for the JSF SDD. » Et Aboulafia, expéditif, de conclure : « No matter what, someone is going to be disappointed » Il est peu utile de spéculer sur la question de savoir qui, des Norvégiens ou du Pentagone, sera ce “someone” qui sera désappointé.
… D’où notre idée que, si, par extraordinaire, le gouvernement norvégien n’avait pas été encore sérieux à propos de l’abandon du programme JSF (si ces déclarations menaçantes n’étaient que du bluff), il devrait très vite le devenir. Les Norvégiens vont se voir confirmer qu’ils n’auront rien de particulier à espérer dans ce programme et, effectivement, il y a de fortes chances qu’ils doivent en venir à un abandon du programme.
Cela est d’autant plus probable qu’un point nouveau est apparu : l’intérêt de la Norvège pour le Gripen suédois. La chose est considérée comme une surprise, dans tous les cas du côté industriel. Il n’est pas sûr que ce le soit du côté politique.
L’intérêt norvégien pour le Gripen est un acte politique. Il signifie que la Norvège tend à considérer les possibilités d’un rapprochement nordique, ici avec la Suède, alors que ces dernières années la Norvège restait ferme sur l’axe de l’OTAN tandis que la Suède passait de la neutralité à l’Europe. En un sens, ce rapprochement avec les Suédois serait, pour les Norvégiens, une façon indirecte de se rapprocher de l’Europe, surtout au niveau militaire et industriel de l’armement. Depuis leur participation importante à l’opération Artemis (juin-septembre 2003) et leur entrée à hauteur d’un coopérant de première grandeur dans le programme (franco-européen) UCAV, les Suédois se sont rapprochés de l’Europe, celle de l’armement et de la défense, notamment en nouant des liens nouveaux avec les Français. Cette connexion vaudrait alors pour les Norvégiens.
Cette évolution européenne des Norvégiens impliquerait un certain éloignement de leur ligne atlantiste et américaine. C’est alors de cette façon qu’il faudrait interpréter une éventuelle sortie de la Norvège hors du programme JSF. La question de la participation ou non au programme JSF deviendrait entièrement politique, ce qu’elle aurait dû être depuis longtemps d’ailleurs. Alors, nous verrions d’importants débats, — politiques, enfin, — s’engager dans les pays européens impliqués dans le programme JSF, notamment à l’occasion du choix d’un nouvel avion de combat.
(En effet, leur participation industrielle au programme JSF n’implique nullement que les coopérants internationaux acquièrent automatiquement l'avion pour leurs forces aériennes. L’automatisme de l’acquisition qui paraissait évident il y a deux ans l’est beaucoup moins aujourd’hui. D’abord parce que la question norvégienne pourrait justement poser le problème en termes politiques. Ensuite et surtout parce que ce que le JSF nous réserve de catastrophes en termes de délais et de prix d’achat en poussera plus d’un vers cette position révisionniste.)
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