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61120 août 2006 — Un an après Katrina, il est frappant de constater combien le destin de La Nouvelle Orléans est parfaitement tracé selon le schéma destructeur et prédateur que le capitalisme américaniste porte au fond de lui-même. Les mêmes méthodes, les mêmes effets qu’en Irak et en Afghanistan ; la même destruction acharnée de ce qui est déjà détruit, achevant le travail de l’impréparation devant l’ouragan par une démarche de caricature morbide de reconstruction qui achève d’ôter son âme à la ville. Il y a là la confirmation qu’on se trouve devant un schéma général similaire. Le pillage des musées de Bagdad sous les yeux indifférents de G.I.’s et de leur secrétaire à la défense (« Stuff happens », selon Rumsfeld), la construction d’une piste d’atterrissage pour hélicos de l’U.S. Army sur un site archéologique mésopotamien autant que la plongée dans le désordre sanglant en Irak et en Afghanistan se retrouvent, dans l’esprit de la chose, dans le sort fait à La Nouvelle Orléans.
Un article de The Independent, qui fait rapport sur l’appréciation du groupe de surveillance CorpWatch, emploie effectivement l’analogie Irak-Afghanistan, à l’image du rapport du groupe lui-même.
« A year after Hurricane Katrina, the reconstruction of the devastated Gulf coast is being severely hampered by waste and inefficiency overseen by “disaster profiteers” who are making million of dollars, according to a watchdog group. The group claims the inefficiency — along with the companies' political connections — follows a pattern similar to what happened in Afghanistan and Iraq.
» With much of New Orleans still in ruins and its population half of what it was before the hurricane, a new report claims millions of dollars has been squandered by wasteful processes that have seen 90 per cent of the first wave of reconstruction contracts awarded to firms outside Louisiana, Mississippi and Alabama. Local firms have been frozen out while immigrant workers have been exploited and often unpaid.
» “One year after the disaster, the slow-motion rebuilding of the region looks identical to what has happened in Afghanistan and Iraq,” said Pratap Chatterjee, the director of Corpwatch. “The process of getting Katrina-stricken areas back on their feet is needlessly behind schedule, in part, due to the shunning of local business people in favour of politically connected corporations from elsewhere in the US that have used their clout to win lucrative no-bid contracts with little or no accountability.” »
La situation à La Nouvelle Orléans est si conforme au pire qu’on pouvait craindre qu’on a l’impression de lire une caricature de rapport faite par un groupe idéologiquement et férocement “engagé” contre le capitalisme. Mais l’idéologie n’est pas nécessaire dans cette occurrence. La Nouvelle Orléans est une “ville ouverte”, dans tous les sens de l’expression. Chacun y peut voir que la “reconstruction” devrait être à terme (c’est une prévision qu’on fait) un désastre pire que l’ouragan lui-même. Aux destructions réparées selon des modes sélectifs et dans un sens complètement américanisé, rubrique globalisation, s’ajoute la destruction mécanique, par effets induits, de la culture originelle, des traditions, etc. Le schéma de déstructuration de l’américanisation/globalisation est respecté comme un scénario d’Hollywood. Qu’il le soit aux USA mêmes est à la fois révélateur et prometteur.
Un long article de The Observer (« Gone with the wind », qu’il est nécessaire de lire), publié le 29 juin dernier, fixait bien les choses. Le chapeau de présentation disait : « Amid the debris and regret, Gary Younge finds a city losing its soul… »
Il est en effet question d’âme. La mort qu’apporte le capitalisme américaniste, — le capitalisme précisément de cette sorte prédatrice, — est quelque chose qui agresse effectivement la structure fondamentale et la spiritualité de la vie. Il n’est pas suffisant d’écrire que ce capitalisme tue, parce qu’on peut tuer par inadvertance, par inconscience, etc., et que l’Histoire est pleine de ces circonstances qui ressortent de la tragédie dont elle est faite. Il faut constater que cette forme morbide d’action mécaniste porte en elle quelque chose qui ressemble au goût d’une mort particulière, une mort stérile et niveleuse, une mort entropique qui semble capable de rendre effectivement infécond tout ce qu’elle touche, qui semble rendre inéluctables les effets prédateurs qu’elle engendre à terme.
Il y a là un phénomène bien plus qu’économique, certes. Nous sommes au niveau de l’agression par système et par fatalité, sans but autre que le nihilisme de la destruction, contre la psychologie qui est ainsi réduite et enchaînée, contre les structures de l’organisation du monde. Nous sommes dans le champ d’une attaque totale, — à l’image de la “guerre totale” — lancée mécaniquement contre tous les éléments constituants de la civilisation. Cette situation doit susciter des réflexions d’ordre spirituel sur la substance de ce phénomène dont les hommes, y compris les créatures médiocres qui le manipulent, semblent être les jouets.
Ce qu’écrivait en conclusion Younge le 29 juin doit nous faire sentir la profondeur de ce phénomène, combien il s’apparente à une évocation de la Fin des Temps. On y retrouve, derrière tous les clichés du postmodernisme clinquant, derrière le goût de l’apparence et de la tromperie type-village Potemkine, tous les ingrédients des catastrophes postmodernes.
« Were it not for the T-shirts, areas such as the French quarter, the Garden district and elsewhere uptown seem almost normal today. The fallen trees have been cleared, the graffiti threatening to shoot looters scrubbed off. On a Sunday morning at the Boulangerie on Magazine street — referred to mockingly as the “aisle of denial” — white and wealthy patrons enjoy croissants and creamy lattes. You could almost believe that Katrina, like Pam, was just a scare story to knock the city into shape.
» But if there has been one thing more amazing than how New Orleans has changed since Katrina, it is how much it has stayed the same — and how little the clean-up has achieved. The hurricane season has already begun, and it's an open question whether the city is any better prepared this year than it was last. Driving through the Lower Ninth after her return from North Carolina, Antoinette K-doe kept stopping the car and staring at the post-apocalyptic sight of the neighbourhood where she grew up. It looked as if Katrina had arrived just a week ago: whole houses had been washed off their moorings and into the road; cars had been washed into the houses; trees had been blown on to cars. And there they were still. “We're the richest country in the world,” K-doe said. “I don't understand how we can't fix this up.” In March alone, nine bodies and a skull were found among the city's rubble. It was only earlier this month that they finally resumed mail service to the handful of Lower Ninth residents who have returned. But the postman keeps finding addresses without houses and houses without doors. »
Il serait ironique et ce ne serait que plaisante justice que le premier anniversaire de Katrina, à la fin du mois, attire l’attention des moyens de communication sur ce qu’est devenue La Nouvelle Orléans. Il serait ironique que la chute dans les sondages de GW Bush commencée il y a un an avec Katrina, se poursuive et s’accélère cette année avec la reconstruction, pour le premier anniversaire de la catastrophe et à deux mois des élections générales aux USA. Après tout, il s’agit de frapper ces gens là où ils placent le plus précieux d’eux-mêmes.