La NSA, une menace contre l’économie US

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La NSA, une menace contre l’économie US

C’est en juillet 2013 (voir le 12 juillet 2013) qu’était apparue pour la première fois les préoccupations très sérieuses de l’industrie US de l’internet (Google, Facebook, Yahoo, etc.) devant les conséquences de la crise Snowden/NSA du point de vue de leurs positions commerciales et de leurs positions quasiment monopolistiques du domaine. Quinze mois plus tard, on a la confirmation qu’il ne s’agit nullement d’un feu de paille, mais bien d’une préoccupation complètement fondée dans la structure même des positions et des activités des uns et des autres. La menace que la crise a fait naître est passée nettement du stade conjoncturel au stade structurel, notamment pour la raison assez simple que divers pays étrangers prennent ou devraient prendre des mesures et des décisions pour ne plus avoir à passer par le réseau US désormais soupçonné d’être un réseau direct d’alimentation de la NSA en données de toutes sortes récoltées sur l’interne. (La Brésilienne Rousseff, qui se bat actuellement pour sa réélection, fut la première, en septembre 2013, à envisager et à lancer une riposte nationale à la mainmise US sur les données confidentielles d’internet.)

C’est au cours d’un séminaire qui vient d’avoir lieu à Palo Alto, en Californie, qu’on a pu mesurer l’extrême inquiétude des grands patrons de l’industrie US de l’internet. Le séminaire était organisé par le sénateur de l’Oregon Carl Wyden, qui fait partie de la commissions sénatoriale du renseignement et tente d’organiser au Sénat une opposition efficace contre l’action de la NSA. Associated Press (AP) a fait un rapport sur ce évènement, le 8 octobre 2014.

«Google Chairman Eric Schmidt and other Silicon Valley executives say controversial government spying programs are undercutting the Internet economy and want Congress to step up stalled reform. “We're going to end up breaking the Internet,” warned Google Inc.'s Schmidt during a public forum Wednesday convened by U.S. Sen. Ron Wyden, D-Ore., who has been an outspoken critic of electronic data-gathering by the National Security Agency. Schmidt and executives from Facebook Inc, Microsoft Corp. and other firms say revelations of extensive NSA surveillance are prompting governments in Europe and elsewhere to consider laws requiring that their citizens' online data be stored within their national borders.

»Rules like that would drive up costs and create technical obstacles to the way the Internet currently operates, making it “profoundly difficult in terms of our ability to deliver services,” said Facebook general counsel Colin Stretch. Brad Smith, general counsel for Microsoft, said some European customers are worried their data will be more vulnerable to U.S. government snooping, although he declined to give specific examples. “The reality is this is a real problem for American tech companies,” said Smith. “If trust falls, then the prospects for business are hurt.”

»Wyden, a member of the Senate Intelligence Committee and chairman of the Finance Committee, convened the roundtable in the Palo Alto High School gym...w [...] He said he will take the executives' message back to Washington, where bills to curb surveillance have stalled. Prospects for passing a reform bill this fall are shrinking, Wyden told The Associated Press. “I'm going to my best to use this. What I'm going to do is say there's a clear and present danger to the Internet economy,” Wyden said. [...} “When the actions of a foreign government threaten red-white-and-blue jobs, Washington gets up at arms. But, even today, almost no one in Washington is talking about how overly broad surveillance is hurting the U.S. economy,” he said in opening remarks.»

Russia Today (RT) publie une nouvelle également sur cet événement et ce qu’il nous dit des inquiétudes de l’industrie US de l’internet, le 9 octobre 2014. On y trouve notamment des appréciations plus larges sur l’étendue des dommages que la crise Snowden/NSA cause d’ores et déjà causé et pourrait causer encore à l’économie US... «Last year, a report highlighted by Bloomberg suggested that NSA surveillance could cost the US up to $180 billion in global technology sales by 2016. Another said American companies could risk $35 billion a year if foreign customers decide to look elsewhere for similar services. “Customers buy products and services based on a company’s reputation, and the NSA has single-handedly tarnished the reputation of the entire U.S. tech industry,” said analyst Daniel Castro to the website. “I suspect many foreign customers are going to be shopping elsewhere for their hardware and software.”

»Meanwhile, there’s no guarantee that Wyden’s plan to push Congress will work – at least not this year. In September, it was reported that Congress may not take up the USA Freedom Act reform bill until after the midterm elections. Even then, it’s possible that action will be delayed until 2015...»

Nous parlons plus haut du fait que la menace “que la crise a fait naître est passée nettement du stade conjoncturel au stade structurel”, – et nous parlons bien entendu de la principale menace interne aux USA, c’est-à-dire la menace contre l’industrie de l’internet. (Il s’agit d’une affirmation d’un réalisme que les circonstances rendent cynique : il faut bien constater que, dans les circonstances actuelles où les USA sont devenues complètement une créature du Système, les questions de droit civique, – l’espionnage, les écoutes illégales, etc., – sont totalement accessoires pour le pouvoir en place et ne suffisent certainement pas à déclencher une action quelconque, éventuellement à l’encontre de la NSA. Par contre, les menaces contre l’industrie de l’internet, ou encore le corporate power, sont d’une importance considérable pour ce même pouvoir. Elles constituent une attaque contre un des piliers du Système.) Le climat constaté à ce séminaire montre que cette menace est désormais ressentie comme un risque majeur pour cette industrie. Les premières protestations des Google, Facebook, etc., de l’été et de l’automne 2013, pouvaient éventuellement être considérées comme des réactions de façade, nécessitées par la pression de la crise alors en pleine déflagration il y a plus d’un an, et promises à ce dissiper (il s’agissait alors de l’hypothèse conjoncturelle). Aujourd’hui, quinze mois après le déclenchement de cet aspect de la crise, cette appréciation ne tient plus. Il s’agit bien d’une situation structurelle, dont en plus l’évolution est incontrôlable dans la mesure où elle dépend de pays étrangers et de leurs comportements. Désormais, il est clair que la crise Snowden/NSA a fait effectivement naître une menace structurelle extrêmement préoccupante contre la puissante industrie US de l’internet. Lorsque le patron de Google, Eric Schmidt, dit «We're going to end up breaking the Internet», il parle en américaniste et signifie principalement que les activités de la NSA vont finir par indirectement pulvériser le monopole puissant que l’industrie US exerçait et exerce encore sur l’internet.

Il s’agit d’un acquis considérable de cette crise, quelque chose qui ne pourra pas être dissipé simplement par l’usure du temps et le désintérêt du système de la communication, comme on en a souvent l’impression dans nombre de crises. La crise Snowden/NSA a véritablement porté un coup terrible à la puissance US et l’on peut effectivement émettre ce paradoxe, comme le fait le sénateur Wyden, que l’activité de la NSA est un danger terrible pour l’économie US, qu’il s’agit véritablement d’une agression contre la sécurité nationale, vues l’importance économique et technologique du secteur concerné, et l’importance stratégique de l’outil (internet) sur lequel s’exerce cette puissance... («What I'm going to do is say there's a clear and present danger to the Internet economy,” [...] “When the actions of a foreign government threaten red-white-and-blue jobs, Washington gets up at arms. But, even today, almost no one in Washington is talking about how overly broad surveillance is hurting the U.S. economy”...»)

On comprend bien entendu l’importance grandissante du dilemme puisque la NSA est elle-même un composant essentiel de la sécurité nationale, et ainsi cet artefact de sécurité nationale produisant des effets indirects mais indubitables qui mettent en péril un autre composant essentiel de la sécurité nationale. Qui plus est, pour bien faire mesurer l’importance du cas, la paralysie et l’impuissance totales du pouvoir à Washington, l’indécision chronique d’un président qui ne déteste rien de plus que de prendre partie dans une querelle de cette sorte, semblent complètement interdire la possibilité d’une réforme telle de la NSA que le courant de déstructuration et de dissolution de l’industrie US puisse être détourné... (Dans tous les cas, pas de débat envisageable au Congrès avant la mi-2015, et encore, si l’on est optimiste.) On peut difficilement trouver d’exemple plus frappant de l’équation surpuissance-autodestruction du Système.

D’autre part, cette situation montre également qu’aujourd’hui les crises, une fois lancées et qui semblent accomplies, et même lorsqu’elles ne bénéficient plus de l’appui et de l’illumination du système de la communication, poursuivent leur chemin déstructurant et dissolvant. Il y a maintenant près de dix mois que la crise Snowden/NSA ne tient plus la vedette, remplacée par d’autres dans d’autres domaines, notamment la crise ukrainienne et la crise générale du Moyen-Orient dans ses diverses composantes (notamment la composante ISIS, depuis le mois de juin). Pourtant, Snowden/NSA se poursuit dans ses effets les plus ravageurs. Elle est effectivement, elle aussi d’une façon générale, passée du stade conjoncturel (éclatement de la crise, effet d’annonce, premières péripéties spectaculaires, gros soutien de la presse, y compris la presse-Système, etc.) au stade structurel, comme on le voit avec le séminaire dont il est ici question. On peut alors se poser la question, – avec une possible sinon probable réponse affirmative, – de savoir si les crises, qui apparaissent nécessairement comme conjoncturelle (caractère de brièveté d’une crise, par définition) ne se constituent pas en fait, dès l’origine, selon un schéma structurel dissimulé impliquant qu’elles ne seront pas résolues tant que le problème central (celui du Système) ne le sera pas. Ainsi les crises actuelles, se produisant dans la situation singulière que nous connaissons, servent-elles finalement à révéler des situations structurelles dissimulés à la fois déséquilibrées et déstabilisées, et qui, une fois apparues au grand jour, ne peuvent plus être résolues par elles-mêmes, dans le seul domaine où elles ont éclaté. Ainsi les crises sectorielles contribuent-elles au renforcement de la grande crise centrale d’effondrement du Système.


Mis en ligne le 9 octobre 2014 à 13H33