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664Des sources industrielles européennes, de retour d’une visite à Washington, confirment l’état de panique peu ordinaire où se trouve plongée aujourd’hui l’industrie d’armement US, la branche industrielle du complexe militaro-industriel. Des chiffres extravagants circulent quant aux possibles réductions budgétaires, ou bien les effets des réductions plus raisonnables telles qu’elles sont officiellement envisagées sont décrits comme apocalyptiques.
Un certain nombre d’articles circulent à propos de l’attitude de l’industrie d’armement US dans ces nouvelles circonstances, ou plutôt dans les nouvelles circonstances établies par l’accord sur la dette du gouvernement tel qu’il a été établi début août. Il s’agit essentiellement du mécanisme de réductions automatiques établi avec la mise en place d’une commission du Congrès, dite Super Congress. (Voir le 8 août 2011.)
On jugera comme caractéristique de cet état d’esprit un texte de Dan Goure, du Lexington Institute, un auteur bien connu comme un classique et fort bien subventionné défenseur de l’industrie d’armement. Cet article est publié sur le site AOL.Defense.com, le 14 septembre 2011, marquant ainsi le désir de Goure (qui passe d’habitude par son site Early Warning) de lui donner une plus grande diffusion et une tonalité moins “marquée” (plus “objective”) pour mettre en évidence l’importance du problème qu’il expose.
«The defense industry has clearly decided looming budget cuts pose such a grave threat to its future that it must abandon its usual quiet, behind-the-scenes efforts to influence the American public and go national, using social media as well as its usual combination of education and money.
»Today, the Aerospace Industries Association [AIA] unveiled its new effort, Second to None, designed to convince lawmakers and voters that cutting funding to the Pentagon would hurt an already weakened industrial base, throw tens of thousands of Americans out of work in an already weakened economy and raise serious questions about the country's military strength. “American leadership in aerospace and defense is being threatened by forces in Congress and the administration,” says the top banner on the website. “Join us and act now before it's too late.”
»Boeing executive Vice President Jim Albaugh made the essential pitch. “We really were second to none in the 20th century. The question is, will be second to none in the 21st century,” he said at the press briefing to announce the new push. He pointed to the fact that the United States cannot put a man in orbit any more since the retirement of the Space Shuttle…»
La teneur de l’intervention de la puissante AIA est très largement étendue à la question existentielle de l’industrie aérospatiale US, de sa capacité à maintenir sa position de première du monde dans ce domaine. Cette question est d’ores et déjà posée, et les mesures de réduction budgétaires envisagées donneraient une réponse évidemment catastrophique, selon les conceptions de l’AIA. Goure développe implicitement l’argument par ce passage où il expose, tout aussi implicitement, et peut-être involontairement dans ce cas, que cette industrie est d’ores et déjà dans une crise profonde. (Les dernières réalisations de cette industrie, le 787 de Boeing et le F-35 de Lockheed Martin, au-delà de quoi aucun programme nouveau n’est envisagé, sont d’ores et déjà des programmes plongés dans une très profonde crise.)
«Albaugh also stressed the fragility of the industrial base several times, pointing to the troubled 787 Dreamliner, Boeing's new commercial plane, as a symptom of the problem. Boeing had not designed a new airplane for so long – the last one was the 777 in the mid-1990s – that it had lost the collective talent to do so, he said. At a time when the United States has no new fighters or bomber in the design stage – and precious few new starts for any type of weapon – the danger is that designers and engineers will leave the companies, taking with them the expertise that “cannot be taught in schools.”
»[I used the photo of the F-35 factory floor in Fort Worth to illustrate this story to show the industrial side of the business. Also, the F-35 is no longer in the design phase, leaving the country without an effort to design a new fighter. Air Force Secretary Mike Donley has said we will not invest in a sixth-generation fighter for some time.]»
Il y a certes dans cette mobilisation un aspect de relations publiques prompt à dramatiser le problème qui est ainsi présenté. Il n’empêche que les faits corroborent en bonne partie l’inquiétude exposée, qui est effectivement proche de la panique. Cette situation est présentée implicitement comme la conséquence des problèmes budgétaires, – ce qui est complètement irréel par rapport à l’argent massif dont ont disposé jusqu’ici le Pentagone et l’industrie aérospatiale US. Elle est aussi marquée, cette situation, – et c’est un aspect à la fois complètement fondamental et en général systématiquement dissimulé dans sa signification profonde, – par une infécondité grandissante sinon décisive de cette industrie à effectivement mener à leur terme ses programmes essentiels devant assurer sa base fondamentale de développement. Le 787 et le F-35 sont évidemment les cas éclatants et significatifs, sinon décisifs, mettant en évidence que cette crise est aussi et peut-être d'abord celle d’une situation où le système du technologisme lui-même se trouve sans doute, voire sans aucun doute, dans l’impasse décisive, – renvoyant, cela, à la crise générale du Système.
L’AIA et ses partisans passent bien entendu sous silence cet aspect pourtant fondamental du problème, – fondamental, parce qu’il s’agit bel et bien du fondement de cette industrie de l'avancement technologique et des capacités des USA à réellement se montrer encore capables de continuer le développement de leur activité fondamentale (la créativité et le technologisme). Nous voulons dire par là que la crise du technologisme pose bien entendu un problème de civilisation que l’AIA ne veut pas voir évoqué, et d’ailleurs pour la raison impérative qu’elle n’en est pas consciente, qu’elle est impuissante à en avoir la conscience ; cela, selon ce caractère spécifique de la psychologie de l’américanisme de l’indéfectibilité («…un caractère fondamental de la psychologie US: l’impossibilité de concevoir que les USA puissent connaître autre chose que la victoire»), qui est le complément inévitable de l’inculpabilité. Cette attitude psychologique, qui conduit au jugement absolument sophistique et inverti, est illustré implicitement par le texte de Goure et le passage cité ci-dessus. Goure avance implicitement les échecs de développement des derniers programmes aérospatiaux fondamentaux, comme argument pour alimenter la crainte d’une situation désastreuse à partir de décembre 2011 (décisions budgétaires) alors que ces programmes catastrophiques sont d’ores et déjà la preuve d’une situation désastreuse, sans aucun rapport avec la question budgétaire (qui ne s’est pas posée durant les dix dernières années), et complètement en rapport avec la crise des capacités industrielles créatrices US et le blocage du système du technologisme, jusqu’à son inversion en un système devenu autodestructeur.
Ces vérités dissimulées, écartées, sinon ignorées par l’esprit à partir de psychologies si complètement subverties par l’indéfectibilité et l’inculpabilité, alimentent par conséquence sophistique la panique budgétaire. Les problèmes budgétaires qui apparaissent et qui vont atteindre très vite un stade crucial, sont annexés comme explication centrale d’une situation d’ores et déjà en profonde, sinon catastrophique détérioration ; le passé déjà catastrophique est expliqué par l’avenir proche, d’ores et déjà décrit comme apocalyptique et comme la cause future de tout ce qui existe déjà. C’est le sophisme fondamental de l’inversion du jugement imposé par une psychologie subvertie, et par une situation de crise déjà avancée du Système et d’un de ses deux composants essentiels (le technologisme).
Cette situation totalement sophistique, dont tous ces esprits exubérants mais complètement emprisonnés et déformés par le Système sont à la fois les constructeurs intellectuels et les victimes psychologiques, – puisqu’ils construisent inconsciemment une telle situation sophistique dont ils deviennent prisonniers, – entraîne irrésistiblement à grossir le danger à venir dans les mois qui viennent, dans une vision d’apocalypse. La catastrophe budgétaire à venir doit être d’autant plus perçue et présentée comme catastrophique qu’elle doit expliquer la situation d’ores et déjà catastrophique de la capacité fondamentale de l’industrie. On pourrait même dire que cette obligation pousse inconsciemment l’AIAI et l’industrie de défense à presque favoriser cette situation catastrophique, à presque la souhaiter, pour être ainsi exonérées de la vérité catastrophique où elles se trouvent déjà. Ainsi sont inconsciemment entretenues les rumeurs les plus folles, notamment celles qui disent que la commission Super Congress pourrait rechercher non pas $1.500 milliards de réduction pour les prochaines 10 années dans les dépenses publiques, mais quelque chose allant jusqu’à $5.000 milliards ; et, à Washington, dans le climat actuel d’une situation incontrôlable et d'un désordre conséquent, les rumeurs de cette sorte suscitent des initiatives dans le même sens... On mesure alors la gravité de la situation, alors que ces hypothèses sont plutôt présentées comme illustrant un entraînement irrésistible du Système pour ces réductions, répondant à l’alarme générale sur la situation budgétaire US, qui serait encore plus grave qu’on ne dit. Ces attitudes où les excès de panique répondent aux excès de panique en s’alimentant mutuellement alimentent le risque de déclencher, ou d’accélérer s’il existe déjà, un mécanisme destructeur, pouvant aller à des mesures de réduction complètement incontrôlées, et à une situation de réduction des dépenses plongées en plein désordre, qui peuvent déstructurer décisivement plusieurs grands domaines du gouvernement et de l’industrie, – dont la défense, bien sûr. C'est une possibilité sérieuse où, une fois de plus, la dynamique de surpuissance du Système se tournerait définitivement vers une dynamique d’autodestruction.
Mis en ligne le 16 septembre 2011 à 05H36