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728Il faut bien vivre, y compris les croisés, les “believers”. Tony Blair est l’homme qui nous dit avec passion «I believed in it. I believed in it then, I believe in it now.» ; l’homme qui se raconte et se vit comme le croisé d’une bataille ultime de la civilisatioon («The enemy that we are fighting I am afraid has learnt . . . that our stomach for this fight is limited and I believe they think they can wait us out.»). C’est aussi le parfait organisateur de sa vie post-Downing Street, dont on dit qu’il pourrait bien ramasser autant d’argent que Bill Clinton a su en rassembler pour lui-même.
L’article de The Independent d’aujourd’hui renvoie comme on cligne de l’œil, complice, à celui du Times où Tony Blair nous ouvrait son âme. (La proximité des deux est-elle due au hasard? Well…) Cette fois, il nous ouvre son compte en banque (non, ses comptes en banque, il est homme à s’organiser avec prévoyance de ce côté). C’est «The Blair Rich Project», où il est intensément, avec fièvre et passion, question de fric. La très récente nouvelle d’une conférence donnée en Chine, d’une platitude confondante, payée £237.000 pour 20 minutes, en porte un sobre témoignage («…lucrative returns Mr Blair is beginning to garner. The reported £237,000 for a 20-minute speech before an audience of faintly bored Chinese entrepreneurs in Guangdong province a week before was only the latest in a series of fruitful additions to the Blair bank balance.»)
L’organisation Blair & Fric Corp. marche le tonnerre du Très-Haut. Le pauvre croisé-PM vient d’un salaire annuel de £186.429 (+ frais). Désormais, on cause “Big Money”…
«Experts predict that Mr Blair, with a family and several homes to support, could easily rake in £3m by devoting barely 50 nights a year to dispensing his wisdom to wealthy audiences of business people around the world. This before he gets around to his long-awaited memoirs – for which he is being paid at least £4.5m.
»The controversial speech for Guangdong Guangda Group earlier this month was not the first example of Mr Blair dancing for dollars on the world stage; it was, in fact, the third engagement of a whistle-stop tour of China organised by his new handlers. It is barely two months since the outgoing leader signed up with the Washington Speakers Bureau (WSB), but he has already criss-crossed North America for a series of speaking engagements.
»He is not the first ex-prime minister to mine the rubber-chicken circuit. John Major constructed a lucrative second career, travelling the world delivering speeches to paymasters keen to hear his views on “The Changing World”, “Global Terrorism” and county cricket.
»Mr Blair, however, comes with an even greater reputation, and he is aware of the need to capitalise on his marketability before he becomes an old story. While WSB can claim exclusive rights to a host of global figures, including former US secretaries of state Colin Powell and Madeleine Albright, and ex-chairman of the Federal Reserve Alan Greenspan, Tony Blair's is the first face to appear on the bureau's website.
»Potential customers wondering about the price on his head are advised ''Fee Code: Contact WSB”, but industry insiders expect him to command at least £75,000 a time.»
Le croisé est parfaitement américanisé, – et ceci explique cela, dans un temps où le pro-américanisme n’existe plus vraiment. On est américanisé, ou disons “International American Citizen”, ou bien l’on est dans les ténèbres extérieurs, “Non-American” (pour ne pas dire, horreur “Un-American” et, par conséquent, anti-américaniste, – dito pauvre mec au propre et au figuré). Le croisé-Blair l’est tellement qu’il est promis à faire aussi bien qu’un autre croisé professionnel, le “must du must” de l’exploitation-fric de soi-même : «Blair is the most attractive speaker to hit the circuit since Bill Clinton. His passage to China was littered with high-profile engagements, starting with the “loss leaders” of charity appearances in aid of the Clinton Global Initiative conference and a Catholic fundraiser, both in New York.»
Faut-il en faire des gorges sarcastiques dans le sens bien continental et cartésien de la critique par dérision? On peut y songer mais il est d’un plus grand intérêt de comprendre. Devenu citoyen américainiste international, Blair est complètement conforme. Pour lui, l’argent n’est pas un pêché, et la “prostitution de son image” (comme l’acteur Mel Gibson dit sarcastiquement de l’exploitation de la notoriété à laquelle il sacrifie lui-même avec une certaine amertume – mais Gibson est catholique pur et dur) n’est l’objet de cas de conscience et de remords que pour ceux qui appartiennent à l’extérieur du monde, par exemple ceux qui sont de culture latine. Ainsi parle-t-on de cet activisme-fric de Blair avec la délicatesse qui sied, comme d’une “culture différente” (on dit cela aussi des méthodes d’interrogation de Guantanamo).
Il s’agit de l’extrémité de l’individualisme américaniste, l’individu acquis à toutes les valeurs de la chose, qui établit avec une minutie d’horloger un équilibre presque parfait entre un moralisme exacerbé et intransigeant et une exploitation-fric de la notoriété sans le moindre frein. Pourquoi pas? Disent les esprits forts, pleins de leur réalisme cartésien (quoique cela aussi devienne également dangereux, le réalisme). Pourquoi pas? La réponse est simple: parce que, si vous avez quelques individus-individualistes s’abîmant avec délice dans la vanité de leur notoriété et leur goût du confort satisfaits, vous avez aussi le monde tel qu’il est. A ce moment, il vous naît un sentiment de suspicion, un malaise un peu gênant pour tout dire, à voir le croisé entrer en transes et proclamer avec passion: «I believed in it. I believed in it then, I believe in it now», – avec le million de morts irakiens en arrière-plan ou en sautoir de son
Mis en ligne le 18 novembre 2007 à 07H31