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289127 septembre 2021 – Il est de bon ton d’aujourd’hui saluer Frau Merkel. Saluons, mais n’en restons pas là. Comme c’est ici souvent l’ouvrage, je choisis une tangente qui, à mon sens, “fait sens”, mais sens un petit peu ironique et instructif.
Je me reporte au dimanche 19 septembre 2021, sur LCI, dans l’émission ‘Lenglet déchiffre’ de 16H00-17H00. François Lenglet reçoit Alain Minc pour son livre certainement original, ‘Ma vie avec Marx’. Vous savez bien, Minc c’est ‘Le Cercle de la Raison’, cette horde de “sachants” qui influencent, qui susurrent et chuchotent, qui tranchent avec un aplomb jamais mis en défaut, qui éminence-grisent et nous fourguent des Emmanuel-Macron clef en main et sur porte ; on dit en effet et volontiers qu’Emmanuel est l’enfant naturel du Cercle, les deux parents étant Minc et Attali, le second récemment allumé par le probable futur-candidat à la présidence, Mr. Z. Cette fois, ce fut le tour de Minc, si l’on veut par Merkel interposée, ce qui permet d’intervenir d’une manière exotique pour saluer la lourde chancelière bottée de seize années de bons et loyaux services, où jamais elle ne dépassa la ligne rouge.
Donc, vers la 28ème minute de l’émission (je dirais, pour faire le malin, à partir de 27’57), Lenglet change brusquement de sujet, avec une phrase : « Vous l’avez évoqué au détour d’une phrase, c’est bientôt l’élection allemande le 26 septembre, Angela Merkel a dit qu’elle ne se représenterait pas...».
Quelques secondes de bla-bla, on attend l’inratable panégyrique de Merkel par le professeur Minc, – eh bien pas du tout ! C’est Lenglet qui poursuit, il prend les commandes, il développe son réquisitoire devant un Minc cloué raide. (Il me semble bien que c’était machiné à l’avance , puisque la bande-annonce du bas de l’image, la ‘punchline’ comme ils disent, proclame : « Merkel, une Chirac allemande », alors qu’on est encore loin – de quelques minutes, –de l’audacieuse et effrontée comparaison faite par Lenglet, – “saperlipopette !”.)
Je prends ici le dialogue, écrasant de la part de Lenglet, à peu près du mot à mot sous cette forme parlée qui restitue tout le pétillement de la séquence ; plutôt schnaps que champagne, disons ; beaucoup de trois points..., pour indiquer qu’on ratisse un peu mais assez proche de l’intervention. Bilan merkelien selon Lenglet, avec un Minc désespéré, d’abord KO, se relevant, titubant, pour tenter d’accrocher tout de même quelques lauriers à l’opulente chevelure de la chancelière.
Pour cela (les lauriers), j’avertis par avance : il a le bon réflexe, Minc. Il parvient, changeant de sujet en urgence, à placer que tout ça, disons les reproches qu’on peut faire à Merkel (la logique n’est pas évidente, mais bon...) c’est la faute à Poutine d’une certaine façon, c’est-à-dire d’une façon absolument certaine ; c’est-à-dire d’un “Poutine-agressif” qui partout sème désordre et désolation, et qu’on aurait préféré que la Russie poursuive sous le doux magistère d’un Eltsine-II dont la présidence fut si glorieuse et grandiose, « mollassonne, médiocre et sympathique ». Minc emploie ces mots extraordinaires de contradiction perverse pour définir et saluer presqu’avec jubilation la période la plus épouvantable et la plus cruelle de néantisation qu’ait vécue la Russie relevant du communisme, mise en coupe réglée par les cow-boys-gangsters américanistes, plongée dans la misère, l’injustice et l’humiliation, cela sous le regard retenue de l’Allemagne qui avait (avec ses alliés de l’OTAN) promis à Gorbatchev une attention aimable et sans la moindre ingérence, pour le remercier d’avoir facilité la réunification en lâchant complètement la RDA et le Pacte de Varsovie...
(Le jugement [?] de Minc sur “Poutine-agressif” comme empêcheur d’un rapprochement Allemagne-Russie est d’autant plus exotique que les relations entre la chancelière et le président furent extrêmement cordiale, avec Poutine parlant l’allemand aussi bien qu’il parle russe ; mais je crois que Minc, qui n’a pas encore terminé ses humanités, ignore l’existence de la CIA & Compagnie, il n’est pas encore arrivé à ce chapitre.)
Ces gens-là, – je veux dire du genre de Minc, qui n’est certes pas foncièrement mauvais, qui aime beaucoup le genre humain, qui a le regard humaniste jusqu’à l’humanitarisme-capitalistique, – n’aiment rien tant que croire absolument à la narrative enrobée dans le simulacre qu’ils développent sans en rien entendre, en suivant la voie obligée du déterminisme-narrativiste comme on suit les pointillés. C’est une belle leçon sur l’autorité et la culture de nos élites, leur façon qu’ils ont d’afficher glorieusement leur ‘servilité volontaire’ à la narrative que le Système produit pour tous les mettre aux pas cadencés. Eux dont on fait des bergers-geôliers des foules abêties, ils sont en vérité bien plus les moutons en troupeau bêlant des chimères que dispense le Système. Par ailleurs, Merkel, d’une famille d’apparatchiks confortables du Parti (SED en RDA), et dont la CIA sait évidemment à partir des archives adéquates si elle fut lors de ses études universitaires une indicatrice de la Stasi, suivait la même attitude de pensée bienveillante pour le parrainage américaniste, sous l’oreille attentive de la NSA et de la CIA qu’elle acceptait avec l’enjouement rassurant de l’approbation obéissante qu’offre la servilité à tous ses adhérents.
Mais voyons Lenglet en mode-artilleur.
– ... 16 ans ...... Elle s’en va, elle a presque égalé le record de son mentor, Helmut Kohl, qui avait dépassé de peu les 16 ans ... Vous dites dans votre bouquin “Angela Merkel, notre patronne” ...Au fond, quand on regarde son bilan ...
» Sortie du nucléaire brutale, catastrophe qui se traduit par une augmentation des émissions de carbonne dramatique ; les migrants : opération profitable pour l’Allemagne parce qu’elle l’a très bien gérée, mais ça a créé un appel d’air considérable, ça a au contraire avivé la crise des migrants pour l’Europe du sud, la Grèce l’Italie... La gestion de la crise macroéconomique, vous avez dit quelques mots tout à l’heure ... La crise de 2008, elle ne comprend pas ce qui se passe, et c’est Sarkozy qui lui explique que le système bancaire est à la veille d’exploser. Elle ne veut pas l’entendre, elle rentre chez elle pour découvrir que les banques sont en train de s’effondrer , elle se décide... La gestion de la crise grecque, catastrophe là aussi, elle ne voit pas ...– Qui d’ailleurs l’arrête dans la crise grecque ... François Hollande...
– Alors, François Hollande, qui finalement parvient à trouver ... Tout ça pour dire que le bilan... le bilan de Merkel, saperlipopette, c’est pas si brillant, c’est Chirac !
– Attendez, est-ce que j’ai dit “notre grande patronne”, j’ai dit “notre patronne” ... C’est pas pareil, “notre patronne” parce que dans la sphère économique, y a rien à faire, le cœur économique de l’Europe bat en Allemagne...
» Alors, vous avez raison ... Gerhardt Schroeder avait réformé l’Allemagne infiniment plus et Merkel a vécu sur l’acquis de Schroeder...– Elle en a profité !
– ... De la même manière que Tony Blair a vécu sur l’acquis de Thatcher...
» Ce dont je suis reconnaissant infiniment si vous voulez, à la chandelière, c’est que elle a gardé l’Europe à l’Ouest, l’Allemagne à l’Ouest pardon. On sait très bien que le produit de l’Histoire fait qu’il y a nécessairement une incertitude sur la positionnement de l’Allemagne
» Je pense qu’elle a été prodigieusement aidé pour faire cela par l’agressivité de Poutine, et que si on en était resté dans une période type Eltsine, d’une Russie mollassonne, médiocre et sympathique, elle serait probablement restée au centre..– On pourrait vous objecter qu’elle met l’Allemagne dans les mains de Poutine avec NordStream 2 !
– Non mais ... Non ...
– Aujourd’hui, l’Allemagne devient totalement dépendante de la Russie pour le gaz !
– Non mais ... Mais de toutes les façons, on sait très bien qu’il y a un lien [avec la Russie], psychologique, économique historique... »
... Et puis l’on diverge avec empressement (je parle de Minc) sur les vertus de Merkel du point de vue du théorique, sans grand intérêt, sans grande précision (situation de l’euro, éviter l’explosion du marché unique à l’occasion du Covid, etc., que des banalités théoriques et distordues pour s’accorder à la vision du point de vue, avec un Macron ‘formidablement volontariste’) ; bref l’on botte en touche (Minc, toujours, excellent demi-de-mêlée) vers un territoire plus sécurisé.
Il ressort de tout cela, après tout, que lorsque Minc décrit la Russie idéale de Eltsine, on dirait qu’il parle de Merkel selon son cœur : “mollassonne, médiocre, sympathique”, et qu’il parle de l’Europe nécessairement. Il en oublie, parlant de l’Allemagne historique et prussienne-postmoderne, la brutalité, le mépris pour les faibles et la servilité pour les forts, enfin cet immense affectivisme, cette bienpensance sans bornes marmonnée sur un ton cassant, sans réplique, avec des ministres du budget choisis sur le modèle Panzer, pour achever le travail modèle-Guderian.
Ainsi Merkel est-elle l’idole, – “la patronne” de l’UE comme d’autres parleraient d’un clandé, – des gens de la catégorie des Minc, pour cette fois piégé par un Lenglet qui entendait dire son fait à Merkel et à Minc réunis. Merkel a signé la disparition de la France comme acteur majeur de l’Europe, embrassant les présidents successifs et de plus en plus insignifiants comme on étouffe un sans-papier de plus en plus étique. Elle a fait l’UE selon ses conceptions, qui agréaient aussi bien au messager-en-chef du Système qu’est Washington D.C., qu’à la bureaucratie absolument irresponsable de Bruxelles et de la BCE. Avec elle, l’Europe est devenue en pleine lumière ce qu’elle était dès l’origine : un monstre, objet de détestation absolue des peuples, destinée à s’effondrer en poussières infâmes et puantes dans les poubelles de l’Histoire.
Alors, je retiendrais le “en pleine lumière”. Merkel mérite bien de la formule surpuissance-autodestruction du Système, parce qu’elle a accéléré et “mis en lumière” la première pour mieux nous rapprocher de la seconde. Qu’elle en soit remerciée : ses mornes presque-16 années ont marqué un progrès considérable dans la déconstruction aveugle de la dynamique de surpuissance et dans la construction paradoxale de la dynamique-pervertie de l’autodestruction, démontrant ainsi combien nous sommes dans l’époque de l’inversion de tout (la vertu doit être trouvée dans une certaine forme de perversion lorsqu’il s’agit de pervertir un phénomène pervers).
Ainsi PhG arriva-t-il à pseudo-philosophe à propos d’Angela Merkel, pour mieux la débarrasser de son masque-Covid. Tout arrive, « même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique »... Je parle du départ de Merkel.