La plaisanterie est finie

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La plaisanterie est finie


8 décembre 2002 — Cela ressemble à une quasi-déclaration de guerre. Cela concerne le programme F/A-22, dont nous présentons par ailleurs des éléments de la crise profonde qu'il traverse ; et cela constitue, selon notre interprétation, un message assez clair du Pentagone à l'industrie américaine (Lockheed Martin [LM] principalement, Boeing également). Le message dit, pour l'instant : il n'y aura pas un sou de plus dans le programme F/A-22 et tout dépassement de coût sera épongé par des crédits à l'intérieur de son enveloppe budgétaire, donc au détriment de la production. A notre avis, cela n'est qu'un début : si le programme F/A-22 n'est pas maîtrisé, — et nous ne voyons pas comment, dans les circonstances présentes, il pourrait l'être — les relations Pentagone-industrie (LM/Boeing) vont encore se tendre. L'affrontement ouvert n'est pas à exclure.

Voici les dernières pièces du dossier, un court article du 6 décembre de Defense News. (Nous proposons le texte, qui sera lu naturellement avec à l'esprit la mention habituelle : “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only”.)


« U.S. Contractors Warned F/A-22 Future Is “Fragile” — By Gail Kaufman

» The U.S. Air Force’s top acquisition official told reporters in Washington Dec. 6 that the future of the F/A-22 Raptor fighter is “more fragile” than many people believe, despite service’s commitment to keep the $43 billion program going.

» Marvin Sambur, assistant secretary of the Air Force for Acquisition warned prime contractor Lockheed Martin Corp., Bethesda, Md., and avionics integrator Boeing Co., Chicago, that any cost overruns will come from the program’s production budget, not from other service programs.

» “We are going to source this program completely within the F/A-22’s budget profile,” Sambur said. “We want to make sure we put pressure on ourselves to do everything we can to keep this program in tact. The total amount of money [for the program] will stay the same. Money allocated to buy aircraft will [be used] to fund the overrun.”

» Sambur’s comments come a month after the service announced a potential $690 million cost increase to the program. He said an independent panel commissioned to figure out if there was a cost overrun and, if so, why it occurred, said initial findings indicate that it will range from $700 million to $1 billion. The panel found that the cost increase is driven by schedule extensions that will extend development from March 2004 to November 2005. Those changes were caused by issues with avionics integration and some structural concerns about the plane’s fin buffet.

» Sambur said the Air Force is still on track to meet the initial test and evaluation phase set for next summer. »


Les nouvelles sont sérieuses. Elles se résument à trois points.

• Le programme F/A-22 est très mal en point. Pas question de l'abandonner pour l'instant mais pas question non plus d'accepter une augmentation du budget du programme.

• L'USAF cherche à se défausser sur son principal contractant. Jusqu'ici principale accusée, elle a désormais obtenu que l'équipe LM/Boeing soit chargée d'une part sérieuse de la responsabilité des erreurs de gestion.

• Cette orientation venant après la constitution et la mise en route d'une commission d'enquête, semble indiquer que des indications sont venues pour accréditer cette version. Dans tous les cas, le Pentagone semble l'accepter et se tourne vers l'industrie en lui disant : vous n'aurez pas un dollar de plus. Vous devrez construire le F/A-22 dans l'enveloppe conclue.

Cette attitude représente un tournant dans l'évolution du programme F/A-22, par ce fait qu'elle déclare officiellement qu'il y a un grave problème au sein de ce programme et que le principal de la faute pourrait être mis à charge de l'industrie. Le programme F/A-22 devient une polémique publique, déjà une “affaire”, plus très loin de ce qu'on désigne comme un, “scandale”.

[A cette lumière, nous interprétons désormais plutôt comme une décision liée à ce dossier, la décision que nous annoncions d'une manière fortuite dans notre Analyse consacrée à la crise du F/A-22. Nous indiquions des similitudes entre la crise du F/A-22 et celle du programme A-12, abandonné en 1991, et mentionnions de façon incidente que le Pentagone venait de décider, le 3 décembre, de commencer à récupérer les $2,3 milliards que la justice a ordonné aux deux contractants du programme A-12, General Dynamics et Boeing, de rembourser au Pentagone dans le cadre de la querelle née de cette crise. A la lumière des derniers éléments dont nous disposons, cette décision du Pentagone nous paraît désormais bien autre chose qu'une coïncidence bureaucratique ; nous l'interpréterions clairement comme un ajout substantiel ($2,3 milliards, ce n'est pas rien) au message d'avertissement lancé par le Pentagone, et cette interprétation nous paraît d'autant plus défendable que l'une des deux sociétés pénalisées (Boeing) est impliquée dans le F/A-22. Pour faire bref, le message du Pentagone devient : la plaisanterie est finie.]

Le prochain stade de la bagarre, — car celle-ci ne fait que commencer — porte sur le nombre de F/A-22 produit. Que fera le Pentagone si LM/Boeing disent : avec l'argent qu'on nous alloue, nous ne pouvons pas produire plus de 120, ou 80 F/A-22 ? L'USAF ne pourra accepter ce chiffre. Que se passerait-il alors ? Existe-t-il des clauses portant sur le nombre d'avions, ou sur le coût unitaire de l'avion ? (Une telle aventure survint en 1974-76 : la société Grumman, contraint par contrat de la Navy de produire le F-14 Tomcat selon le prix contractuellement fixé, annonça qu'elle perdait $2 millions par exemplaire produit et qu'elle devrait déposer son bilan autour du 100ème appareil produit d'une commande initiale de 350 unités. Grumman fut sauvé par une commande de 80 F-14A par le Shah d'Iran, en 1976, payée rubis sur l'ongle à plus de $1 milliard. Aujourd'hui, il n'y a pas d'acteur extérieur pour sauver le F/A-22, mais il n'y a pas non plus de prix fixé par contrat.)

Cette affaire représente un signe important de la dégradation des rapports entre le pentagone et l'industrie. Il y a déjà eu de tels événements témoignant de dégradations de cette sorte, — notamment, justement, lors de ce fameux scandale autour du A-12, en 1990-91. Cette fois, les circonstances générales sont plus difficiles, notamment la situation au Pentagone, très tendue, très chaotique. L'“affaire F/A-22”, si elle concrétise les dimensions potentielles qu'on lui devine, pourrait jouer un rôle complètement différent de celui que tint le “scandale A-12”, qui ne provoqua aucun choc majeur au sein du Pentagone. Il pourrait y avoir des effets généraux sur les relations entre l'industrie et le Pentagone et interférer sur d'autres programmes, voire sur la structure générale de l'industrie d'armement américaine.