La plus grave crise entre Washington et Israël depuis Suez-1956?

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La grande peur qui parcourt Washington aujourd’hui, nous dit le généralement-très-bien-informé Arnaud de Borchgrave, dans le Washington Times du 1er juin 2009, c’est la question du nucléaire terroriste… «Nuclear terrorism, unthinkable during the Cold War, has become the most immediate fear of the experts.»

L’analyse de Borchgrave concerne la question nucléaire en général, par rapport au terrorisme, c’est-à-dire la question nucléaire en connexion avec la Corée du Nord, le Pakistan, l’Iran, et la façon dont Al Qaïda pourrait obtenir des armes nucléaires. C’est une vaste et inquiétante situation, bien plus grave, bien plus tendue que celles que connut Borchgrave durant la Guerre froide, selon ce même Borchgrave. L’imbroglio est général, les paroles des experts sont effrayantes.

Mais c’est la fin de l’article de Borchgrave qui nous intéresse surtout. Elle vient un peu à la façon d’un contrepied, ou d’une conclusion rajoutée.

«…Shortly after the clerics kicked out the late shah's pro-Western monarchy in early 1979, the supreme leader Ayatollah (“Sign of God”) Ruhollah Khomeini gave his benediction to a nuclear-weapons future. The shah told this reporter that Iran one day would be a full-fledged nuclear power, and when he went into exile, Iran had 10 nuclear reactors on order – five from the United States and five from Western Europe.

»Iran's nukes also are pulling apart the Obama administration and Israel's new government under Prime Minister Benjamin Netanyahu. For the first time since 1956, when President Eisenhower ordered Israel, France and Britain to cease their occupation of the Suez Canal, U.S. and Israeli strategic interests are no longer seen as one and the same.

»For Israel, Jewish settlements in the West Bank have nothing to do with Iran's secret nuclear-weapons program. A majority of Israelis say Iran's coming nuclear attractions constitute an existential crisis for the survival of the Jewish state. For President Obama, Israel's creeping annexation of the West Bank and East Jerusalem is making a Palestinian state impossible, which, in turn, leads to what Jordan's King Abdullah II predicts will be another war in 2010.

»Israel's new Strategic Affairs Minister Moshe Ya'alon minced no words: “Settlement construction will not be halted” and “Israel will not allow the United States to dictate its policy.” Mr. Netanyahu's new team is also confident Congress would never allow Mr. Obama to make aid to Israel conditional on a settlement freeze, let alone dismantling 160 major colonies that house about 300,000 Jews.»

Cette mention de “la plus grave crise” entre Israël et les Etats-Unis depuis 1956 (la crise de Suez) est particulièrement intéressante. Cette situation n’est pas démentie, tant s’en faut, par une déclaration d’Obama, avant son départ pour le Moyen-Orient, faite dans une interview à la radio NPR, ce 1er juin 2009. Il y a essentiellement ce passage où Obama réaffirme les “relations spéciales” entre les USA et Israël, mais pour mieux mettre en évidence qu’Israël doit modifier son comportement. L’observation que “la direction actuelle, la trajectoire actuelle, dans la région, est profondément négatives, non seulement pour les intérêts d’ Israël mais aussi pour les intérêts des USA” est particulièrement remarquable, bien qu’elle soit exprimée dans des termes relativement ambigus. Dans le contexte où la phrase est dite, le jugement représente sans aucun doute une appréciation critique extrêmement ferme de la politique israélienne; l’appréciation selon laquelle le fait d’être de très bons amis implique qu’on doit “être honnêtes” entre soi est assez clair à cet égard; c’est la formule habituelle pour évoquer une critique extrêmement ferme.

«The president also suggested that the United States' special relationship with Israel requires some tough love. “Part of being a good friend is being honest,” Obama said. “And I think there have been times where we are not as honest as we should be about the fact that the current direction, the current trajectory, in the region is profoundly negative, not only for Israeli interests but also U.S. interests. And that's part of a new dialogue that I'd like to see encouraged in the region.”»

L’aspect le plus remarquable de l’analyse de Borchgrave est qu’elle est faite à propos de l’Iran plus qu’à propos du problème palestinien spécifiquement, et du désaccord précis actuel sur les implantations. La remarque est extrêmement impressionnante puisqu’elle parle du plus grave désaccord stratégique entre les USA et Israël depuis la plus grave crise entre les deux pays, celle de Suez en 1956 («For the first time since 1956, when President Eisenhower ordered Israel, France and Britain to cease their occupation of the Suez Canal, U.S. and Israeli strategic interests are no longer seen as one and the same.»). La situation actuelle semblerait donc s’orienter vers la catégorie de “la plus grave crise” dans les relations entre les deux pays.

La remarque de Borchgrave semble indiquer un basculement des priorités stratégiques des USA, et c’est alors de ce point de vue qu’elle peut être lue à la lumière du reste de son texte. Elle semble indiquer que la crainte panique des stratèges US devant les risques de prolifération nucléaire vers des groupes terroristes nécessite de toute urgence un arrangement avec les pays de la zone critique (“l’arc de crise” du Moyen-Orient et du sous-continent indien) disposant ou devant disposer de l’arme nucléaire. L’Iran est l’un de ces pays. De ce point de vue, tout le reste est subordonné à cette recherche d’un accord, ce qui est évidemment une démarche inverse de l’approche israélienne qui recherche la destruction du potentiel iranien. Les USA semblent avoir conclu que la situation au Moyen-Orient doit être stabilisée par un arrangement et non plus par des pressions de menace d’usage de la force. Cela implique effectivement un arrangement avec l’Iran, une intégration de l’Iran dans un nouvel équilibre dans la région, éventuellement avec l’idée d’une zone dénucléarisée impliquant la “mise au pas” d'Israël dans ce domaine fondamental. Tout cela se fait au détriment des “relations spéciales” avec Israël, qui deviennent secondaires et doivent se soumettre à la logique de la première démarche. Le problème palestinien doit alors être réglé, moins pour lui-même que pour permettre ce réarrangement général, et les intérêts d’Israël deviennent eux-mêmes secondaires.

Si c’est bien l’orientation prise, qui est alors fondamentale, on se trouve devant la perspective d'un affrontement également fondamental entre l’administration Obama et la force d’influence israélienne à Washington. C’est le sens du dernier paragraphe de Borchgrave. Il faut alors noter que cette force d’influence israélienne serait placée elle-même devant une situation inédite, car cette force n’existait pas en tant que telle en 1956, qui est la référence donnée par Borchgrave. Il ne s’agit plus d’influer sur des aménagements secondaires dans le cadre d’une stratégie générale où l’accord existe (entre USA et Israël), mais bien de l’attaque, pour la modifier, d’une nouvelle orientation stratégique essentielle de la politique des USA.


Mis en ligne le 2 juin 2009 à 06H24