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1332Les Britanniques ont été complètement absents dans la première phase de la crise géorgienne. (Pour le rappel des “phases”, voir notre F&C de ce jour). Puis, lorsque nous fîmes notre entrée dans la phase, deuxième de la série, que nous désignons comme celle du “désarroi schizophrénique”, où l’anathème à partir d'Evere prit le pas sur la négociation à Moscou et à Tbilissi, les Britanniques “intervinrent”. Alors, puisqu'il s'agissait de jeter de l’huile sur le feu en paroles, de promettre appui moral et leçon de bonne justice internationale, de proclamer les grands principes, sans autre intention d’intervenir avec on ne sait quoi, ils s’imposèrent bien plus que les autres. L’on vit et entendit Milibrand à Kiev comme s'il était encore à Evere et l’on lut des articles du Premier ministre Gordon Brown comme s'il s'agissait de Winston Churchill. La courbe d’absence et de présence du Royaume-Uni suit parfaitement les consignes assurées de l’irresponsabilité. Cela éveille, chez nous, des souvenirs.
Mais passons la plume à Tocqueville…
En septembre 1849, une crise éclata entre l’Autriche et le Piémont, la première menaçant à nouveau d’envahir le second. La France intervint et s’entremit, avertissant par ailleurs l’Autriche qui avait une forte responsabilité dans l’affaire qu’elle, la France, n’accepterait pas un conflit qui secouerait à nouveau l’Europe déjà mise à mal par les remous de 1848. La France réussit à imposer un compromis. Dans l’entre temps, elle avait sollicité l’aide de l’Angleterre pour imposer la négociation. Sur instruction de Tocqueville, alors ministre des affaires étrangères, l’ambassadeur Drouyn de Lhyus alla voir lord Palmerston et lui exposa l’affaire. L’ambassadeur rapporta à Tocqueville que Palmerston l’avait écouté «avec les signes les plus vifs d’assentiment», – mais, lorsqu’il en vint à la demande d’aide dans la négociation et au cas où la France devrait s’opposer à l’Autriche, il s’entendit répondre : «Le gouvernement britannique, dont l’intérêt dans cette affaire n’est pas égal au vôtre, ne prêtera au gouvernement piémontais qu’une assistance diplomatique et un appui moral.». Et Tocqueville de commenter (toutes ces citations extraites des Souvenirs du ministre des affaires étrangères du président Louis Napoléon Bonaparte, et auteur par ailleurs de La démocratie en Amérique):
«L’Angleterre, à l’abri de la maladie révolutionnaire des peuples par la sagesse de ses lois et la force de ses anciennes meurs, de la colère des princes par sa puissance et son isolement au milieu de nous, joue volontiers, dans les affaires intérieures du continent, le rôle d’avocat de la liberté et de la justice. Elle aime à censurer et même à insulter les forts, à justifier et à encourager les faibles, mais il semble qu’il ne s’agisse pour elle que de prendre un bon air et de discuter une théorie honnête. Ses protégés viennent-ils à avoir besoin d’elle, elle leur offre son appui moral.»
Tout en laissant percer son agacement d’une telle attitude, Tocqueville n’en reconnaît pas moins ses avantages («J’ajoute, pour terminer sur ce chapitre, que cela lui réussit fort bien»). Mais ce dernier constat date de 1849, époque où, comme chacun sait, et notamment les admirateurs inconditionnels de cette nation, l’Angleterre possédait un vaste empire outre-mer qui suffisait largement à ses intérêts et à sa gloire. Le fait est que ce n’est plus le cas aujourd’hui, tant s’en faut, et que c’est même le contraire puisque, lorsqu’il lui vient une poussée de nostalgie d’empire, l’Angleterre se laisse entraîner dans de catastrophiques aventures qui se nomment Irak et Afghanistan.
Ainsi, ce qui pouvait apparaître hier comme une habileté fort agaçante mais néanmoins avantageuse, devient aujourd’hui un réflexe archaïque marqué par l'absence d'imagination, l’aveuglement et une fausse et vaniteuse illusion d'habileté. La “politique” que décrit Tocqueville est celle de l’“isolationnisme” britannique (par rapport à l’Europe), une politique bien plus constante qu’il n’y paraît dans l’histoire et qui fut souvent camouflée sous des appréciations admiratives sur les capacités britanniques à manipuler la situation en Europe sans s’y engager. Cette “politique” fut en partie responsable de la série des catastrophes européennes commençant en 1870, lorsque l’Angleterre se désintéressa du conflit franco-prussien qui menait inévitablement à un bouleversement des équilibres continentaux. Encore pouvait-on comprendre un tel choix en 1870, toujours en référence à l’Empire. Aujourd’hui, la politique de Gordon Brown est effectivement “isolationniste”, beaucoup plus même que celle de Tony Blair, qui balançait l’alignement sur les USA par un engagement européen notable, particulièrement avant 9/11. Il est probable que Blair aurait fait beaucoup mieux que Brown aujourd’hui, notamment avec son goût des “coups” diplomatiques qui l’aurait poussé à rechercher une percée du côté de la Russie, au côté de Sarkozy, pour débloquer la crise. Avec Brown, nous avons une position arrêtée, entêtée, sur une position dialectiquement maximaliste et moralisatrice sans réelle influence ni le moindre aspect constructif, appuyée sur une force militaire disséminée ailleurs dans le monde, dans ce qui n’est plus l’Empire, ou fracassée par les aventures qu’on sait.
Mis en ligne le 2 septembre 2008 à 15H06