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25 mars 2006 — Dans la situation internationale présente, le rapprochement stratégique Russie-Chine, une fois qu’il se noue comme on l’a vue faire cette semaine, est si complètement dans la nature des choses qu’il ne peut plus vraiment surprendre. Il a pourtant surpris, simplement parce que l’Occident se s’intéresse plus à la nature des choses.
Reprenons quelques notes de l’analyse du 22 mars de Martin Sieff, de UPI, citée par ailleurs dans notre texte F&C sur l’événement lui-même. Nous avons rassemblé les allusions ou observations en passant sur l’absence de Washington dans cette affaire : « Putin's visit did not even make the front page of the New York Times or the Washington Post Wednesday. However, it changed the global balance of power, said Ariel Cohen, fellow in Eurasia studies at the Heritage Foundation, a conservative Washington think tank. (...)
» While President George W. Bush focused on Iraq in his press conference Tuesday and U.S. policymakers hang tough against Iran on the issue of its nuclear program, Putin conducted far-reaching deals with billions of dollars to give the energy-hungry Chinese economy favorable access to Russia's oil and natural gas resources. He signed no less than dozens of contracts with Chinese state organizations and companies during his visit. (...)
» “The fact that Putin brought an entourage of no less than 800 officials with him to China shows the immense importance that Russia put on it,” said Ted Galen Carpenter, vice president in charge of foreign and defense studies at the Cato Institute, a libertarian Washington think tank. “The U.S. administration seems a bit disengaged about this development, perhaps a bit too disengaged,” Carpenter said. »
La position américaine sur cette affaire si importante est donc qu’il n’y en a pas vraiment. GW est occupé à autre chose et, avec lui, toute son administration. La politique extérieure US, aujourd’hui, hors quelques raids épisodiques hors du sujet, consiste à démontrer que tout ne va pas si mal en Irak. Les raids, lorsqu’ils concernent la Russie, impliquent en général des attaques contre diverses positions russes, notamment selon les questions des “valeurs”, dans les domaines favoris de la rhétorique occidentale : “valeurs morales” (démocratie et droits de l’homme) et “valeurs économiques” (libre marché, privatisation). (Il y a aussi un activisme militaire autour de la Russie, comme il y en a partout dans le monde où les Américains trouvent un quelconque intérêt stratégique ; on ne peut parler dans ce cas de “politique” mais de la routine militariste de Washington.)
Du côté européen (l’UE), le paysage est à peu près similaire, la routine militariste en moins bien sûr. Par exemple, il y a une politique russe de l’UE (l’Europe) un peu plus systématique que l’américaine, avec des structures spécifiques. Mais, comme l’américaine, et d’ailleurs dans les mêmes champs, cette “politique” européenne n’a rien de politique à proprement parler. Elle consiste d’une part à débattre des “valeurs” (morales) d’une façon critique à l’encontre de la Russie ; elle consiste d’autre part à réclamer la privatisation (on dit aussi la “transparence”) des structures énergétiques russes, tout en recherchant ostensiblement à définir une politique énergétique européenne qui consisterait à réduire la “dépendance” européenne de l’approvisionnement russe. Les institutions européennes ont été aussi surprises que l’administration GW du rapprochement Moscou-Pékin. Ce mot d’une source à la Commission illustre le constat : « Ils ont la gueule de bois à la Commission. Vu d’une façon objective, en fonction des ambitions et des intérêts qu’a constamment affichés la Commission, il n’y a pas d’autre conclusion que ceci : cet accord est une gifle pour elle. »
Le rapprochement Moscou-Pékin met en lumière les faiblesses rédhibitoires de la politique occidentale, pour cette fois mise sous un même label, telle qu’elle est développée aussi bien chez les Européens que chez les Américains. La politique occidentale n’est pas une diplomatie dans ce sens qu’elle n’est pas une démarche cherchant à fixer un terme commun, des relations communes, etc., en fonction des divers éléments disponibles des deux côtés. La politique occidentale est une politique de diktat dite avec plus ou moins de tact, de brutalité, de persuasion, de volonté pédagogique en général très prétentieuse, etc. Les Occidentaux partent de principes qui sont évidemment les leurs et qu’ils tiennent pour évidemment vertueux, et ils entendent que toute leur politique soit développée dans le sens de l’application le plus universelle possible de ces principes. On reconnaît la marque et l’influence de la politique américaniste, sans aucun doute. A cet égard, on peut dire que l’Europe, en tant que bloc institutionnel, s’est complètement “américanisée”.
Cette politique occidentale peut faire l’objet d’une approche violemment critique sur le fond (nous reconnaissons sans hésitation que nous ne nous en privons pas). Écartons-là pour ce cas et tenons-nous en à la question de sa seule efficacité, qui pourrait être une justification acceptable. Cette politique est-elle efficace?
L’affaire Moscou-Pékin, qui est l’occasion de cette courte analyse, montre au contraire qu’elle ne l’est en aucune façon. Cette absence d’efficacité conduit à constater les diverses faiblesses qui font de cette politique une calamité diplomatique. Ces faiblesses se manifestent de diverses façons.
• Il y a une absence quasi-totale de capacités prévisionnelles et, par conséquent, de la possibilité d’appréhender les événements pour les orienter en fonction de l’intérêt de cette politique. Le poids considérable des principes qui la conduisent suscite l’ignorance de la situation extérieure réelle par simple désintérêt pour cette situation extérieure (tant qu’elle n’est pas soumise aux principes qu’on veut lui imposer, cette situation est considérée de façon quasi inconsciente, presque par automatisme, comme étant sans intérêt ; elle n’est donc pas observée dans sa réalité). Cela conduit automatiquement à l’aveuglement sur les perspectives réelles.
• La puissance des “partenaires” potentiels qu’on va tenter de convertir par la pression semble justifier cette pression : on fait pression sur la Chine ou sur la Russie à cause de leur puissance respective (puissance de producteurs d’énergie, puissance d’immense marché pour les exportations occidentales, etc.). Le résultat est qu’on suscite effectivement la mise à jour de cette puissance dans le sens d’une prise de conscience mais dans un état d’exaspération, voire d’hostilité suscité par les pressions. L’on aboutit à des rassemblements des “partenaires” potentiels en adversaires potentiels ou en concurrents qui unissent leurs forces.
• La division à l’intérieur du camp occidental, derrière l’unanimisme imposé par des principes qui ne sont rien moins que des consignes terroristes, est une autre faiblesse considérable. Dans le cas européen, ce n’est pas le moindre des paradoxes, qui naît de la fausse perception que la politique communautaire (UE) représente une politique intégrée européenne, rassemblant les États-membres. Quand on considère les débats très violents à l’intérieur de l’UE sur le “patriotisme économique” (adversaire du libre marché et, dans une certaine mesure, de la privatisation), on mesure la fausseté de cette perception. Cette même division contradictoire apparaît dans certaines politiques nationales vis-à-vis de la Russie et de la Chine, qui peuvent être si différentes de la politique européenne quelles en sont parfois l’opposée. Ainsi, la politique occidentale appuyée sur des principes finit par susciter la discorde chez elle-même ; c’est le précepte de De Gaulle (« la discorde chez l’ennemi ») retourné contre soi.
Il est utile d’ajouter, en conclusion, que la vanité et le vice de cette politique sont directement la conséquence de l’approche virtualiste qui la conduit. Il s’agit d’une politique qui ignore la réalité par dogmatisme et entretient cette ignorance en fabriquant un monde où les “valeurs” qu’on a identifiées triomphent effectivement.
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