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136819 octobre 2004 — L’article que Le Los Angeles Times a publié le 17 octobre sur les conditions de l’entrée de la Pologne dans la ‘coalition’ pour l’Irak est révélateur des méthodes américaines dans sa façon de traiter avec ses alliés, et notamment les pays anciennement communistes. Le ‘marché’ passé entre les USA et la Pologne, principalement par le canal du contrat d’achat de 48 F-16 par la Pologne, montre quelques caractéristiques fondamentales de l’actuelle ‘diplomatie’ américaine. Selon le consultant en questions de défense Gregory Filipowicz, cité dans l’article, « Lockheed didn't win the contract, the U.S. government did, with pressure and support coming from the very highest levels. They created a program that, politically and economically, was very hard to say no to »
« …the record shows that early last year, the United States brought the full force of its powerful economy to bear on prospective military allies, offering more than $4 billion in an unsuccessful attempt to gain the allegiance of Turkey and helping to negotiate Poland's $3.5 billion purchase of 48 F-16 fighter planes from Bethesda-based Lockheed Martin Corp.
» The Polish deal also included more than $6 billion in U.S. business investment that Lockheed promised to channel into Poland, an economic ''offset'' that caused Polish officials to call the purchase ''the deal of the century.'' »
Les caractères de ces actions ‘diplomatiques’ américaines sont de plusieurs ordres :
• Tout acte diplomatique est appuyé sur des incitations ‘sonnantes et trébuchantes’, c’est-à-dire qu’un acte diplomatique n’est pas perçu pour sa valeur politique propre mais qu’il est présenté littéralement comme un service que les USA entendent acquérir.
• La corruption est générale et se fait à visages découverts. Elle est à la fois globale, comme il est exposé dans l’article, et individuelle, au niveau des personnes pouvant peser sur la décision. Dans ce cas, la commande du F-16 n’a pas été présentée comme une vente mais comme un outil permettant d’obtenir une décision diplomatique.
• Les marchés d’armement sont plus que jamais l’outil idéal de cette sorte d’actions à finalité politique. La connexion entre le secteur privé, qui peut effectivement dégager des sommes pour la corruption générale et individuelle, et le gouvernement, qui oriente l’action en fonction des résultats diplomatiques attendus, est une situation normale et admise dans le cas des commandes d’armements, une situation qui ne contrarie pas les sacro-saintes ‘règles’ du secteur privé et du soi-disant ‘non-interventionnisme’ public aux USA. Plus précisément, dans ce cas, on comprend l’intérêt des connexions individuelles entre le gouvernement et les groupes de pression idéologiques d’une part, l’industrie de l’autre : c’est le cas de Bruce P. Jackson et de Tom Donnelly, qui viennent de Lockheed Martin et qui sont aujourd’hui très actifs au sein du groupe néo-conservateur, en même temps qu’ils jouent un rôle fondamental d’influence dans les anciens pays communistes. Dans tous les cas, l’affaire doit faire mesurer l’importance de la production d’armements comme moyen d’influence politique, et il s’agit évidemment là d’une leçon pour l’Europe ; confiner ces types d’armement au domaine militaire et commercial d’une part, au domaine éthique d’autre part, est une démarche absurde. La vente d’armements avancés est bel et bien un phénomène politique de première importance, qui conditionne la puissance politique.
• Ces marchés n’impliquent aucune loyauté, ni même le respect des clauses. Aujourd’hui, on sait que nombre de promesses US ne sont pas rencontrées et que les Polonais annoncent qu’ils vont retirer certaines troupes d’Irak : la simultanéité des deux annonces confirme le lien entre les deux décisions autant que cette absence de respect des clauses des contrats sinon comme moyens de pression et de chantage, autant que le cynisme avec lequel s’effectuent ces transactions.
« Poland's allegiance seemed shakier Friday, when Prime Minister Marek Belka said that his country will start withdrawing its troops - the fourth-largest contingent in Iraq - early next year.
» The announcement came weeks after Polish officials complained that the F-16 deal is not producing as much U.S. investment as they anticipated, though they have long denied any relationship between the deal and the troops. »
• Il serait faux de croire que ces pratiques n’ont pas d’adversaires dans l’establishment washingtonien. L’article note ceci à ce propos, résumant une opposition qui vient aussi bien de la gauche internationaliste que de la droite éventuellement néo-isolationniste : « Although perhaps not rising to meet Kerry's contention before the war that the United States formed a ''coalition of the bribed, the coerced, the bought and the extorted'' in Iraq, the type of economic incentives won by Poland were called ''economic bribes'' this year by Rep. Duncan Hunter of California, the Republican chairman of the House Armed Services Committee. »
Ces révélations justifient a posteriori le jugement sévère qui avait été porté à l’époque sur la commande polonaise, notamment par les Français. Elles montrent que les dirigeants polonais, pour la plupart anciens communistes reconvertis, comprennent parfaitement les méthodes en cours avec les Américains comme une duplication des méthodes entre les Polonais et les Soviétiques du temps du Pacte de Varsovie. Elles font s’interroger sur l’absence de débat pour l’entrée immédiate dans l’UE de ces pays de l’Est, comparé au débat intense en cours pour l’entrée de la Turquie dans les années 2012-2015. En termes de moralité politique, de courage politique, de loyauté communautaire, etc, des pays tels que la Pologne sont bien plus dangereux pour l’UE que la Turquie ; non parce qu’ils sont des ‘agents des Américains’, (ce qu’ils ne sont pas en réalité puisqu’ils ne sont que des ‘clients’), mais parce que leurs dirigeants sont totalement corrompus et incapables de représenter de manière acceptable leurs populations (majoritairement contre l’engagement en Irak) au sein de l’UE. Ce n’est pas le cas de la Turquie, en général mise en accusation pour son manque de démocratie, contrairement à la Pologne ; la Turquie a respecté la décision de son Parlement et refusé l’‘aide’ de $4 milliards des Américains pour forcer l’autorisation de passage par la Turquie des forces US vers l’Irak en février 2003.