La pompeuse banalité mensongère de notre époque : le cas des images historiques

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Les Américains se déchirent pour savoir si le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony Snow, devait comparer la guerre en Irak à la Deuxième Guerre mondiale. Mais non, bien plus encore que la Deuxième Guerre mondiale, Snow a comparé la période actuelle à la bataille des Ardennes. Le service de la com’ de la Maison-Blanche, qui fait office d’archiviste, d’historien et de metteur en scène des affaires du monde, se pique de subtilité dans la connaissance… L’habileté est que la bataille des Ardennes ne fut qu’un revers temporaire et qu’en Irak c’est de même. Comme chacun sait, le bordel actuel en Irak est de la même eau et la vérité à la Steven Spielberg (Saving Private Ryan) finira par triompher.

Polémique rageuse aux USA, donc, avec édito du Boston Globe et mise au point furieuse (du 19 juin) de l’excellent spécialiste de l’Irak Juan Cole.

Mais c’est trop tard. Entre-temps, le service de la com’, fouillant dans ses plantureuses archives de la connaissance du monde, a sorti une autre analogie historique et l’a passée au héraut de service. GW Bush, en villégiature de quelques heures à Budapest, vient de proclamer que la guerre en Irak, c’est un remake de l’héroïque soulèvement de Budapest en octobre 1956 contre l’Armée Rouge. (Curieusement, si l'on comprend bien en poussant l'image au terme triomphant de sa logique, l'armée US envahisseuse de l'Irak joue le rôle des insurgés héroïques de Budapest et les insurgés méchants d'Irak celui de l'Armée Rouge envahisseuse de Budapest. Ah bon.)

(Passant sur les détails qui fatiguent les foules, GW n’a pas cru bon de préciser que cette révolte avait été fortement encouragée par les stations de radio anti-communistes installées par les Américains [State Department, sur mandat du Congrès] en Europe, — Radio Free-Europe et Radio-Liberty, — qui laissèrent entendre expressément que les insurgés recevraient l’aide occidentale, c’est-à-dire l’aide US, effective et matérielle. Le retour massif, début novembre 1956, de l’Armée Rouge temporairement repliée aboutit à l’écrasement de l’insurrection de Budapest, comme on dit, dans le sang. Cela se fit sous le regard distraitement désolé et l’inaction caractéristique de l’administration Eisenhower, préoccupée par ailleurs par les élections at home. Disons, une situation rappelant, pour l’esprit de la chose, celle où la même Armée Rouge avait laissé écraser l’insurrection de Varsovie en août 1944, se gardant bien d’intervenir après avoir laissé croire qu’elle interviendrait.)

Quelques détails de l’intervention de POTUS : « “The sacrifice of the Hungarian people inspires all who love liberty,” Bush said in a speech at Buda Castle on Gellert Hill, overlooking the Danube and the city below. He continued: “America honors your courage. We've learned from your example, and we resolve that when people stand up for their freedom, America will stand with them.”

» On a day when lawmakers in Washington were engaged in an intense debate over whether to withdraw troops from Iraq, Bush thanked the Hungarians for “playing a vital role” in that war, neglecting to mention that Hungary withdrew its troops more than a year ago. The president also recounted his visit last week to Baghdad, telling Hungarians that they would “recognize this spirit” of democracy there. »

Il nous épuise par avance de devoir ironiser ou nous exclamer devant la pompeuse et grossière banalité du mensonge officiel dans le maniement de l’image historique pour tenter d’enluminer les turpitudes présentes. La guerre en Irak ne ressemble à rien de ce qui a précédé, par sa cruauté gratuite, la stupidité de la conception qui y présida, la maladresse inattentive et aveugle de son exécution, la médiocrité consternante de ses résultats politiques et stratégiques et ainsi de suite. La guerre en Irak n’est pas de l’histoire, c’est de la bouillie pour chats, c’est de la communication et de la politique “faith-based” où la seule chose sérieuse est les gens qu’on tue et la façon dont on les tue. Tout, dans cette affaire, est bardé de mensonges, jusqu’à rendre indigne la mort des gens. Ce dernier point est la suprême insulte des ignorants à leurs victimes.

Que ce soit la com’ ou POTUS en Hongrie, ils sont tous du même niveau de la banalité du mensonge. Si ce n’était la vraie bataille qu’il faut mener, — celle de ce mensonge parce qu’il épuise la psychologie et nous perd, — ils mériteraient silence et indifférence pour marquer le mépris de circonstance. Sans plus car il faut leur mesurer l’honneur qu’on leur fait.


Mis en ligne le 23 juin à 09H43