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47718 juillet 2006 — Comme c’est la coutume dans un grand événement de démonstration virtualiste comme l’est un Salon Aéronautique (Farnborough, du 17 au 23 juillet), la “guerre de la ‘com’” bat son plein. Les Américains sont en première ligne et le JSF est le principal enjeu de la guerre. Pas de surprises.
Ce qui ne cesse de surprendre, c’est l’absence totale de considération des spin doctors pour la réalité, la logique, la vérité et toutes ces sortes de choses. Le mensonge systématique est devenu la marque de fabrique des spécialistes du domaine. Les autres n’ont qu’à faire avec. Certains d’entre nous, avec un reste de dignité, ont parfois l’impression d’être considérés comme des esprits faibles, au bord de la débilité, à lire ce qu’on nous propose ; et puis non, d’ailleurs, quant à savoir où exactement se trouve la débilité, le débat n’est pas tranché.
Les exemples ne manquent pas. La question du JSF est devenue l’étalon universel de l’utilisation du mensonge officiel dans l’information. Pour autant, les techniques ne se sont pas améliorées, ce qui est une bonne nouvelle. Au contraire, plus l’usage est systématique, plus il est impudent, plus il est primaire. Un exemple très récent nous remémore la règle d’or de tous les lecteurs de la Pravda du bon temps de la langue de bois communiste : laissez les quatre premiers paragraphes, qui sont l’habituel rabâchage de la langue de bois ; à partir du cinquième c’est plus intéressant car là se trouve le message qu’il faut bien faire passer.
Il s’agit du texte paru hier dans Defense News, sous le titre très aguichant de « Tanker Agreement Could Ease U.S.-U.K. Strains ». Passons l’affaire du tanker (FSTA), ni très lumineuse ni très convaincante, pour en venir à la deuxième partie de l’article consacrée à notre JSF. Nous soulignons en gras les extraits que nous citerons ensuite.
« JSF Deal in Sight
» FSTA has been among several key British programs affected by technology-release issues with the United States; Raytheon’s ASTOR surveillance aircraft is another.
» But the British military’s most important problem is how to gain the technology transfer required to operate and upgrade Lockheed Martin’s F-35 Joint Strike Fighter independently of the United States.
» At one time, Lord Drayson, defense procurement minister, threatened to pull out of the multinational program if Britain didn’t get what it wanted on technology. That looked implausible then and unnecessary now, as the two sides are close to reconciling their differences on the JSF.
» The JSF partners renamed the aircraft the Lightning II last week, and that appears to be the speed at which the two countries are concluding their technology-release negotiations in the wake of the surprise announcement by U.S. President George W. Bush and British Prime Minister Tony Blair May 26 that they wanted longstanding technology differences resolved.
» The statement of principles is expected to be sealed following a July 18 meeting between the MoD’s top civil servant, Bill Jeffrey, Drayson, Defence Procurement Agency chief Sir Peter Spencer, Pentagon acquisition chief Ken Krieg and John Hillen, U.S. assistant secretary of state for political-military affairs, part of a regular British-American defense cooperation gathering.
» But even with a deal, sources said the two sides will have tough negotiations over the coming months to resolve a central issue — the degree of operational sovereignty Britain will have with its JSFs. To some, the question is: Just how much operational independence can the cash-strapped British afford?
» BAE Systems chief executive Mike Turner said, “Whatever the U.K. government asks for in terms of JSF technology, it is possible to get. The question is, how much will the U.K. ask for? There is no doubt the U.S. administration wants to do all it can to help. . The issue for me is how much MoD wants operational independence..
» “At the end of the day, it comes down to affordability,” he said. “There is a price to pay for the defense industrial base and sovereignty. Choices have to be made.” »
L’exercice s’impose de lui-même, avec les soulignés de gras que nous avons imposés à ce malheureux texte.
• « JSF Deal in Sight », nous annonce-t-on. L’émotion nous étreint, à peu près comme Christophe Colomb à qui son directeur de la communication venait annoncer : “L’Amérique ! L’Amérique !” (Le bougre, — on parle du DirCom — il avait tout compris.)
• « That looked implausible then and unnecessary now, as the two sides are close to reconciling their differences on the JSF. » Non seulement le retrait UK du programme est improbable mais il n’est même plus nécessaire. (Parce que tout est arrangé.)
• « …renamed the aircraft the Lightning II last week, and that appears to be the speed at which the two countries are concluding their technology-release negotiations. » Nous sommes entre gens de qualité et l’on appréciera à la fois l’esprit d’à-propos et l’esprit tout court, — pour nous confirmer que l’accord sera signé avant même que l’encre noire ait été exportée de Chine.
• « But even with a deal, sources said the two sides will have tough negotiations over the coming months to resolve a central issue — the degree of operational sovereignty Britain will have with its JSFs. »… Ah oui, à propos. Tout reste à faire n’est-ce pas, c’est-à-dire négocier le plus dur, — eh oui.
• « The issue for me is how much MoD wants operational independence. » Entrée en scène du philosophe de service, Ted Turner de BAE, pour nous expliquer le vrai problème. Transcrite en langage familial, sa remarque signifierait : “Le problème pour moi est de savoir comment cette dame veut être enceinte : à moitié enceinte, aux deux-tiers, aux trois-quarts ? Ou bien quoi, complètement enceinte ?!”.
• « “At the end of the day, it comes down to affordability,” [Turner] said. “There is a price to pay for the defense industrial base and sovereignty. Choices have to be made.” » Finalement, le philosophe se laisse aller au parler-vrai : si l’on veut la vraie “souveraineté opérationnelle” (c’est-à-dire la seule puisqu’elle ne saucissonne pas : on est souverain ou on ne l’est pas), il faudra payer… Par ailleurs, phrase sibylline : cela signifierait-il que Washington ferait payer très cher (en plus du prix normal du JSF) les transferts nécessaires à cette souveraineté (le bruit en a couru) ? (Idée confirmée par une autre phrase de la même eau : « To some, the question is: Just how much operational independence can the cash-strapped British afford? ») Ou bien est-ce que, plus simplement, pour avoir la souveraineté il faut quitter le programme et que cela coûtera cher au Trésor anglais ? Dans tous les cas, ceci est juste quoique un peu Bouvard & Pécuchet : au bout du compte, “at the end of the day”, il faudra bien choisir. Merci au philosophe.
Commentaire rapide, toujours le même (à propos du JSF et du débat UK-USA) : on continue à affirmer que tout est résolu et l’on détaille sans le dire comment rien n’est résolu. Et l’on conclut qu’au bout, il faudra faire des choix, — assez curieusement puisqu’au début on nous annonçait que le choix est fait.
Conclusion : l’information est aujourd’hui une bataille sans merci où tous les soupçons sont permis, et même recommandés lorsqu’il s’agit de papier imprimé venu de la source la plus respectable possible. Les informations venues des sources les plus proches des sources officielles sont les plus suspectes. Les médias qui s’enorgueillissent d’une réputation d’objectivité et de probité sont les premiers sur la liste des suspects.
Par bonheur, ils ne sont pas plus habiles pour autant. On dirait même que ce statut les aveugle au point de croire que plus la ficelle est grosse, plus on la gobera. Ils se trouvent devant la double nécessité : dire que tout va bien et, d’autre part, informer les parties en présence (les Britanniques en l’occurrence, pour ce texte) que tout va mal, que rien n’est fait et que ceux (les Britanniques) qui espèrent l’emporter contre l’évidence de la vertu et de la puissance doivent s’apprêter à de bien terribles sacrifices. Entre les deux, rien, aucune nuance, aucune habileté. Ces gens fonctionnent comme des robots.
La Pravda ne faisait pas mieux, à part qu’ils étaient plus humains. Renata Lesnik, journaliste de la radio soviétique d’Etat passée à l’ouest en 1982 racontait ceci à ses amis de l’ouest : elle entra un jour, excédée et désespérée, dans le bureau de son chef hiérarchique et lui déclara qu’elle ne pouvait plus supporter de devoir dire de tels mensonges. L’autre, qui l’aimait bien et voulait l’empêcher de faire des bêtises, ouvrit son tiroir, sortit une bouteille de vodka et lui dit : « Tiens, fais comme moi. Bois. » Chez nous, l’ivresse au travail n’est pas politically correct et elle est même sanctionnée. Nom de Dieu, la vertu démocratique n’est pas une vaine expression.
(Et puis, le journaliste saoul et assermenté-démocratique pourrait remettre et l’on pourrait croire que c’est de dégoût pour son travail.)