La promesse de Gates

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Déposant devant le Congrès avec l’amiral Mullen, président du Joint Chiefs of Staff, le secrétaire à la défense a fait dans le cours des échanges questions-réponses une déclaration symboliquement dramatique : l’affirmation qu’il n’y aurait pas de troupes régulières US terrestres en Libye “tant que je serai en charge de ma fonction”…

Selon McClatchy Newspapers, le 31 mars 2011>D> :

«Gates and Adm. Mike Mullen, the chairman of the Joint Chiefs of Staff, were unable to say how long the operation would persist. But they made it clear that the United States was pulling back to a supporting role in which it would jam Gadhafi’s communications and provide in-air refueling, intelligence and other specialized aid to other members of the NATO-led coalition.

»“We will in coming days significantly ramp down our commitment of other military capabilities and resources in this operation,” said Gates, who added that U.S. aircraft would no longer take “an active part” in airstrikes against regime forces fighting to crush poorly armed and organized rebels. Repeatedly pressed by members of both parties about whether there would be American “boots on the ground,” a euphemism for U.S. troops, Gates at one point replied, “Not as long as I’m in this job.”»

Relevant cette affirmation effectivement dramatique, Jason Ditz, dans Antiwar.com ce 1er avril 2011, tend à la réduire à peu de choses, ou à une chose de peu de conséquences, notamment dans la mesure où Gates a prévu de quitter le Pentagone cette année.

«Speaking on Thursday, Secretary of Defense Robert Gates made the seemingly dramatic statement that the US will not be sending group troops to Libya “as long as I’m in this job” while speaking to the House Armed Services Committee.

»Which becomes far less significant when one remembers that Secretary Gates has promised to step down from that job at some point this year. Of course US ground troops have already entered Libya, but presumably he was referring to a full ground invasion…»

Stricte sensu, Ditz n’a évidemment pas tort, puisqu’il est vrai qu’il est partout annoncé que Robert Gates quittera le Pentagone cette année. Dans ce sens, sa promesse solennelle, qui peut ressembler à un défi au moins à un parti qui voudrait un engagement terrestre, voire à Obama lui-même, aurait assez peu de valeur. Pourtant, nous serions incliné à nuancer sérieusement ce jugement, pour plusieurs raisons.

• Le départ de Gates est annoncé, mais nulle part confirmé officiellement et fermement. D’autre part, l’annonce d’un départ “en 2011”, peut signifier un départ en décembre 2011, ce qui laisse pas mal de temps pour confronter la promesse solennelle de Gates à une réalité extrêmement mouvante et qui peut très vite évoluer. En un mot, la question du départ de Robert Gates est loin d’être fixée dans des termes précis, et l’on peut même supposer qu’elle puisse évoluer dans les semaines et les mois qui viennent, justement en fonction de l’évolution de la situation en Libye.

• …Car il nous semble de plus en plus assuré que la crise libyenne est prise comme un test majeur par Gates, pour l’application de ce qu’on pourrait nommer, – pourquoi pas ? – une “doctrine Gates”, qui n’est en fait qu’une affirmation néo-isolationniste refusant tout nouvel engagement militaire US. Gates considérerait effectivement qu’il y a là un enjeu capital pour repousser les tendances “libérales interventionnistes” (liberal hawks) représentées par le groupe des “amazones” (le groupe des trois femmes qui exerceraient une influence décisive pour pousser à une intervention majeure en Libye, – les trois “amazones” étant Hillary Clinton, Susan Rice et Samantha Powers). Gates serait, dans ce cas, fortement soutenu par la hiérarchie militaire, qui considère avec horreur la perspective d’un possible troisième engagement majeur, en Libye après l’Irak et l’Afghanistan.

• Dans ce cas, l’affirmation de Gates prend une toute autre signification. La phrase signifie que le secrétaire à la défense met sa position dans la balance, face aux tentatives d’étendre l’intervention en Libye à la dimension terrestre. Comme on le voit, les événements militaires vont très vite en Libye, et il est possible que les forces anti-Kadhafi se trouvent rapidement dans une position très difficile. La pression serait alors très forte sur le président Obama pour qu’il autorise une intervention terrestre pour éviter l’effondrement des forces anti-Kadhafi. La rapidité des événements implicites dans de telles hypothèses suggère effectivement la possibilité que Gates soit toujours en place alors que se poserait la question de l’intervention terrestre. L’hypothèse d’un départ de Gates prendrait alors une autre tournure, et le secrétaire à la défense pourrait en faire une menace de démission pour protester contre cette politique, bien plus qu’un départ en douceur prévu depuis longtemps. Il est très possible que la hiérarchie militaire lui demande d’agir dans ce sens, pour renforcer peut-être décisivement le camp des non-interventionnistes.

On a souvent évoqué le Kosovo comme précèdent pour caractériser la crise libyenne. Cette analogie est discutable au niveau des opérations militaires comme de la forme de l’intervention. Elle pourrait par contre être particulièrement justifiée pour la situation intérieure à Washington. De plus en plus, le camp des interventionnistes se situe, à Washington, du côté des libéraux interventionnistes, comme c’était le cas en 1999, avec la même Hillary Clinton menant ce camp, – en 1999, comme femme du président à la très forte influence, aujourd’hui comme secrétaire d’Etat. Le camp des non-interventionnistes semble de plus en plus se dessiner vers la droite conservatrice, comme en 1999, y compris les républicains devenus interventionnistes depuis 2001 mais qui ne l’étaient pas auparavant. C’est un courant néo-isolationniste qui se manifeste, en rupture avec la politique bushiste depuis 2001, renforcé par l’arrivée des républicains Tea Party et appuyé sur les impératifs de la crise budgétaire et de la dégradation accélérée de la puissance militaire US.

Ainsi Obama aurait-il réussi le “miracle” douteux de faire évoluer la brutale “politique de l’idéologie et de l’instinct” lancée par GW Bush de la droite conservatrice convertie à l’interventionnisme, vers la gauche libérale retrouvant ses élans néo-wilsoniens et “humanitaristes”-bellicistes (équivalent des Kouchner et BHL en France). Le Système ratisse large dans les soutiens qu’il recrute, car la “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui semblait une politique essentiellement de la droite dure, devient maintenant une politique spécifique de la gauche “modérée dure”. De cette façon, cette politique passe d’un parrainage renvoyant au libéralisme de l’idéologie économiste (marché libre, privatisation, etc.) qui marquait la droite bushiste d’après 9/11, à un parrainage renvoyant au libéralisme de l’idéologie humanitariste (de Hillary Clinton à BHL). (Il est à noter que les neocons, qui sont de tous les coups tordus, suivent dans leur majorité la même évolution, passant de la droite conservatrice au libéralisme de centre-gauche et éclairé, quitte à déplaire à leurs parrains israéliens. L’essentiel est de rester du côté des lanceurs de bombes.) On retrouve bien là le Système dans sa très grande largeur d’esprit, unissant par-delà la chronologie ceux que l’on crut un temps être des adversaires. Effectivement, dans ce cas, BHO promet-il de s’inscrire dans l’Histoire comme un Bush en pire…


Mis en ligne le 1er avrfil 2011 à 13H39