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18 août 2007 — Il y a, à la réflexion, quelque chose de profondément humiliant pour l’intelligence humaine en général d’observer cette catégorie du haut du panier des experts du système se comporter, avec de surprenants dons de nature, un aplomb confondant, presque une sincérité convaincante du bobard, en propagandistes du meilleur genre de la politique la plus aveuglément brutale qui ait été conçue par le gouvernement si complètement borné d’une puissance si grande et si acclamée pour sa vertu. Cette phrase solennelle s’adresse au couple O’Hanlon-Pollack mais aussi à d’autres. Tous mériteraient des qualificatifs lestes, — il n’en manque pas, — tournant autour de la fonction de “prostitués de l’esprit”.
L’occasion de vitupérer avec cet emportement nous est fournie par une plume incognito qui a déjà été signalée et saluée sur ce site : le “docteur Werther”. (Werther est présenté comme ceci : «Werther is the pen name of a Northern Virginia-based defense analyst.»)
Cette fois, Werther, que nous n’avions plus lu depuis longtemps, signe un texte virulent (le 15 août sur Rockwel.com) — d’abord contre O’Hanlon-Pollack, mais traités rapidement comme des larbins de basse volée ; surtout contre un autre couple infâmant, Ivo Daalder et Robert Kagan, pour leur dernière défécation déposée dans un organe idoine, le Washington Post, le 6 août 2007. Pour l’anniversaire d’Hiroshima, ils nous proposent la recette de “la prochaine intervention”, insatisfaits qu’ils sont qu’on s’en tienne aux seules brillantes performances d’Irak et d’Afghanistan.
Voici, entre autres choses, ce que Werther nous dit de Daalder-Kagan et de la catégorie qu’ils représentent. (On se référera également, en le lisant, aux quelques notes que nous proposons dans notre Bloc-Notes du 17 août concernant Anthony Cordesman, du “prestigieux” CSIS, une de ces maisons closes de luxe après lesquelles Werther en a tant.)
«Much has been written about the military industrial complex: its obscene cost overruns; the corrupt relations between the uniformed military, the contractors, and Congress; the wild threat inflation. Too little studied has been the role of ostensibly non-partisan think tanks as the semi-official propaganda arm of the complex, and as the transmission belt of propaganda themes between the government and the prestige press. While the activity of the American Enterprise Institute as a propaganda organ is widely known because of its tub-thumping for the Iraq war and its championing of Iranian spy Achmed Chalibi, the same charge applies, to a greater or lesser degree, to most of the “prestige” think tanks: Brookings, Carnegie, CSIS, the Hudson Institute, etc.
»They are an integral part of the government’s two-track propaganda machine for selling war. For the downscale end of the market, Rush Limbaugh, Sean Hannity, or Michael Savage will do nicely. Their braying voices and crude arguments are finely calibrated to reach every low-status white male out in satellite dish country. The notion that it’s even theoretically a good idea to have world opinion on America’s side before it embarks on war would be derided as sissy stuff in such precincts. One recalls the eve of the Iraq war, when the visceral hatred of the French in the Murdoch gutter press actually exceeded the vituperation against Saddam Hussein.
»But to convince the professionals, the academics, the people who show up at the various world affairs councils which dot the provinces, it is critically useful to have mediators like Messrs. Daalder and Kagan. The Better Sort roughly corresponds to the National Bourgeoisie in Wilhelmine Germany or the outer Nomenklatura in the Soviet Union. They may not send their kids to war in any appreciable numbers, but their support for war is crucial to any administration. The more tender-minded of the Better Sort, in particular, lust in a most alarming way for some sort of “humanitarian” intervention they could support. It is the task of the Daalders and Kagans to toss around terms like “genocide” to provide a humanitarian gloss to whichever invasion advocacy project they are promoting at the moment.
»Note as well, that in the division of propaganda labor between the roughneck demagogues and the think tank chin-scratchers, the propaganda themes to promote a given policy are disparate or even contradictory. The Limbaughs and the O'Reillys sell a frank brand of gutter patriotism emphasizing the joys of killing foreigners. If there is any policy reason that appeals to the target audience, it is likely to be something direct and tangible, like the acquisition of valuable resources such as oil. On the flip side, the fear used to motivate Limbaugh Nation is some comic book level bugaboo, such as the notion that an Islamic army will physically invade and conquer America.
»That sort of thing won't sell with the Better Sort. Ideally, we are fighting, after a vigorous and probing national debate, and much searching of souls, for a better world, to prevent genocide, to stop female circumcision, or for credibility with our allies. If there is an overriding fear that motivates the Better Sort, it is that old nemesis of the MacNeil-Lehrer set, “regional instability.” While the lumpenproles seethe with apocalyptic visions of hand-to-hand combat with the minions of the Caliphate in downtown Paducah, the Better Sort's fantasies parse like a graduate seminar from hell. Mr. Daalder and Mr. Kagan are only too happy to feed the conceits of the class that nurtured them on behalf of the government that employs them at one remove.»
… Certes, c’est la colère qui nous a emportés jusqu’à parler de “prostitution”. Il est vrai que l’emploi du mot, dans les circonstances où cela est fait, ne rend pas nécessairement justice aux prostitué(e)s qui sont souvent de pauvres êtres abandonnés par la vie et contraints par les circonstances. Nous pourrions aussi bien parler de “corruption”.
Dans ce cas et fidèles à une nuance de grand poids que nous ne manquons jamais de signaler, c’est de corruption psychologique que nous parlons. Nous tentons de nous en expliquer dans un texte de notre rubrique Analyse, du numéro du 10 juillet 2007 de notre Lettre d’analyse De defensa & eurostratégie que nous mettons en ligne, parallèlement à ce F&C, dans notre rubrique de defensa (ce jour même). On verra que nous nous risquons à une comparaison entre Prince Bandar, héros du scandale BAE-Yamamah et le prince de Bénévent, titre un peu dérisoire porté par Talleyrand, — ce Talleyrand resté dans nos mémoires d’écolier de la République comme l’archétype de la corruption, le fameux «Vous êtes de la merde dans un bas de soie». Questions : Bandar pourrait-il écrire ces pages que Talleyrand rédigea pour ses Mémoires, et qui définissent la légitimité? Bandar sait-il seulement de quoi l’on parle lorsque l’on parle de “légitimité”?
Bandar, ou O’Hanlon-Pollack, ou Daalder-Kagan, ou Cordesman, — ils se valent malheureusement tous, y compris pour la connaissance du concept de “légitimité”, à commencer par la leur propre. Il y a un moule, aujourd’hui, pour la corruption de la raison, qui passe par celle, préventive, de la psychologie, dont tous ces gens sont également tributaires. Si l’on veut, il y a une certaine égalité à cet égard ; c’est un certain triomphe de notre morale moderniste ; c’est la fin du racisme, de la différence, avec l’établissement d’une sorte de multiculturalisme de la laideur et de la subversion de soi. Il est assuré que la politique de la morale y trouve plus que son compte.
Par rapport à ce que nous connûmes de l’évolution de la pensée et du jugement de l’“élite experte” occidentale, — l’élite des experts dans le domaine de la stratégie, — dans les années de la Guerre froide, le changement pourrait paraître étonnant. L’impression subsiste, dans quelques mémoires chenues, d’un débat bien plus vif, celui qui engendra les expressions de “hawks“ (faucons) et “doves” (colombes) dans ces années-là. (Le livre de fiction, ou de réalité romancée, de Richard Perle, Hard Line, dont on trouve la recension sur ce site, donne une bonne idée de la vigueur des différends entre les deux camps.)
A la lumière de ce qu’on constate aujourd’hui, on peut explorer l’hypothèse que cette situation n’était peut-être qu’accessoire, voire une illusion pure et simple, que la subversion de la laideur de la corruption psychologique avait déjà commencé son oeuvre. La vigueur de l’affrontement portait d’abord sur des conflits de personnalités et des intérêts que ces personnalités représentaient au sein de l’establishment. Les variations argumentées entre colombes et faucons ne semblaient impressionnantes, finalement, qu’à cause de l’impression qu’on avait de l’importance de la chose qui en était l’occasion (la puissance soviétique, — qui était tout de même un autre montage fictionnel que Ben Laden ou l’Iran nucléaire).
Cette vigueur-là existe toujours, selon les principes capitalistes de la concurrence. Mais au niveau de la politique? Si l’on survole la période (la Guerre froide) avec un regard plus intégrateur, les différences s’estompent. Les libéraux ont suivi comme un seul homme les consignes du maccarthysme et ils ne se sont certainement pas opposés à la “seconde Guerre froide” apparue en 1976-77. La corruption des psychologies, sous forme d’une unification de la pensée rappelant la nomenklatura soviétique, existait déjà bel et bien. Son acte de naissance correspond à la mise en place, après la catastrophe européenne des deux Guerres mondiales, de l’empire de l’américanisme sur le monde, ou de la modernité achevée que représente ce système.
Ce qui a récemment changé, c’est l’intrusion du privé, des “affaires”, prolongement logique dans le grand mouvement de privatisation de la politique US à partir du “Manifeste Powell” de 1970. Cela explique qu’on puisse mettre aujourd’hui, sur un même pied du domaine exploré (stratégie dans son sens le plus large possible) et de l’exécution des consignes (corruption psychologique), un Bandar et un Cordesman, un patron de Raytheon et un sénateur McCain, un Bruce Jackson venu aussi bien des services de renseignement de l’U.S. Army que de la vice-présidence de Lockheed Martin et ainsi de suite. La corruption psychologique a grandi, elle s’est unifiée, elle a gagné en cohérence, elle a immensément étendu le domaine du désordre qu’elle installe. Il n’y a pas des marionnettes et des manipulateurs de marionnettes mais une confusion générale des deux fonctions, répondant à cette corruption psychologique dont on parle. Cette évolution a définitivement écarté toute démarche dans le domaine du fond et du sens des choses pour se concentrer sur le brio dans l’exécution des consignes, et le rapport social et mondain qu’on doit en attendre (honneurs, privilèges, finances).
La fermeture de l’esprit des élites occidentales ne se fait pas dans le sens du silence, ce qui aurait au moins l’avantage de nous reposer les sens. Elle se fait dans le sens d’une entropie générale jacassante et satisfaite, cultivée au milieu des petits fours et des palaces où elles (les élites) retrouvent leurs salles préférées et luxueuses, et réservées à leurs séminaires, à leurs ors et à leur pompe.
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