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4883Il nous semble avoir, à plusieurs reprises, vaticiné à propos de la psychologie de Macron, de son attitude souvent surprenante, et souvent par certains excès qui nous sembleraient pour le moins inattendus et sans utilité immédiate ni évidente. Cela n’empêche d’ailleurs ni le malentendu, ni la contradiction. Cet homme qui fait l’objet d’une haine si extrême, semble parfois sinon souvent la mériter après tout, notamment par des actes et des postures indignes de la fonction qu’il prétend incarner et qu’il abaisse irrémédiablement à cette occasion ; alors qu’à d’autres moments, il développe des jugements d’une audace exceptionnelle par rapport à la classe et au Système qu’il représente, et qui sont tout simplement dignes de l’éloge le plus appuyé. Pour ce dernier cas, on songe bien entendu à ses réflexions, autant ce propos audacieux du « nous sommes en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale » que celui qui nous informe de « la mort cérébrale » de l’OTAN et tout ce que cette chose (l’OTAN) représente.
Pour ce qui concerne les “actes et des postures indignes de la fonction qu’il prétend incarner et qu’il abaisse irrémédiablement à cette occasion”, le texte d’Arnaud Benedetti que nous reprenons ci-dessous est assez explicite, à propos des dernières sorties de Macron sur ce terrain si malheureux où le président devient une sorte de toupie de la communication la plus erratique et conformiste. Spécialiste de la communication justement, professeur en cette matière à Paris-Sorbonne et auteur du Coup de com’ permanent (éd. du Cerf, 2018), Benedetti considère effectivement le président de la république comme manipulé par une communication devenue folle, objet d’« une crise systémique, inapte à se distancier de la media sphère qui l’assiège au jour le jour ». Et dans ce cas, Macron est, comme ses deux prédécesseurs mais encore plus qu’eux, « l’objet expiatoire, quoique consentant, de cette déréliction permanente ».
Bien qu’il dresse ce procès comme il doit l’être, Benedetti n’en regrette pas moins ce que Macron a semblé être selon lui (et semble parfois être encore mais par instants, selon nous, comme l’on voit avec ses remarques sur l’hégémonie occidentale et l’OTAN) : « Comme il semble loin le temps des premiers pas d’Emmanuel Macron à l’Élysée. [...] L’État au sommet paraissait retrouver sa respiration marmoréenne. »
Finalement, ce qui devrait sembler le plus étonnant dans ce comportement général est moins un facteur chronologique d’évolution (présidentiel au début, dissolution du président en garnement ensuite) qu’un constant facteur psychologique de cloisonnement. Il s’agit notamment de l’impossibilité où se trouve Macron d’opérationnaliser ses “propos audacieux” qui s’écartent complètement du modèle standard de la pensée-Système, en regard d’une politique générale qui au contraire exécute les conceptions (globalistes, néo-hyperlibérales, etc.) de la pensée-Système, au prix d’une impopularité extraordinaire s’exprimant dans le sentiment de haine rappelé ci-dessus. Comment peut-on identifier la décadence, sinon la “mort cérébrale“ d’un système et de ses institutions, et en même temps glorifier ses productions pour forcer à leur application jusqu’à risquer la catastrophe politique. Il s’agit là d’une sorte de virus qui n’est pas chinois ni mystérieux, mais postmoderne et clairement identifié.
Il apparaît évident qu’il faut classer les écarts qui font l’objet de la réflexion de Benedetti dans la seconde catégorie des standards de la pensée-Système, dans ces gestes presque d’une sorte de “provocation adolescente” (son “côté Trudeau” selon Finkielkraut, qui identifie deux “parrains-inspirateurs” à ce côté macronien-postmoderne : Attali et Justin Trudeau). Le texte de Benedetti, sous le titre original de « Angoulême: “Emmanuel Macron renoue avec la désinvolture” », a été publié dans Figaro-Vox, le 31 janvier 2020.
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Comme il semble loin le temps des premiers pas d’Emmanuel Macron à l’Élysée. C’était il y a plus de deux ans, autant dire une éternité. Le moment inaugural fut salué comme un retour à la fonction sacrale du chef de l’État. Le pas lent, le cérémonial au cordeau, le classicisme de la forme, la parole économe, les références à l’histoire profonde: la promesse d’une présidence posée, sobre, économe de ses moyens avait séduit jusque dans les rangs de ses opposants. L’État au sommet paraissait retrouver sa respiration marmoréenne.
La scène ne dura qu’un temps. Elle ne fut et n’était qu’une scène, une illusion ascétique en quelque sorte avec juste ce qu’il faut de lustre pour réinstaller le style français dans son écrin.
La précipitation des événements eut raison d’une discipline dont on rêva un moment qu’elle fut l’annonce d’une tempérance politique. De l’affaire Benalla aux gilets jaunes, en passant par le «pognon de dingue» et le jeune chômeur que l’on invitait à traverser la rue pour se trouver un destin, la symbolique céda à la com’, à ses affres, à ses emballements enfiévrés sous l’effet des «inputs» médiatiques. In fine, Emmanuel Macron était, à l’instar de ses prédécesseurs, la victime d’une époque où le dérèglement communicant est comme devenu la règle. C’est parce que la com’ traverse une crise systémique, inapte à se distancier de la media sphère qui l’assiège au jour le jour, que l’homme d’État ne parvient plus à tenir son rang. Sarkozy, Hollande, Macron désormais, ont été les objets expiatoires, quoique consentants, de cette déréliction incessante. L’homme d’État est celui qui contrôle sa personnalité, ne la laisse pas s’échapper ; or par tous les pores de la peau du pouvoir, leur “Moi” a fui. Et c’est bien là le problème.
Emmanuel Macron n’a pas seulement suivi les chemins de traverses de ceux qui l’ont précédé, mais il tend à hypertrophier ces dysfonctionnements. Deux séquences récentes viennent corroborer l’expression de ce qu’il faut bien appeler une forme d’anomie communicante. Dimanche recevant les associations familiales à l’Élysée, il reprend à son compte les propos tenus par sa ministre de la santé quelques semaines auparavant sur la figure paternelle qui ne serait pas indissociable de celle de l’homme. Le Président «sociétal» se fait ainsi l’apôtre de la radicalité du constructivisme social, occultant qu’une exception ne fait pas un invariant, encore moins une norme.
L’État, encore moins celui qui l’incarne la séquence d’un mandat, est-il habilité à délivrer un dessein anthropologique, quand bien même la loi reconnaîtrait des dérogations au socle commun? François Hollande, lui-même initiateur du mariage pour tous, ne s’est pas livré à une telle audace déconstructiviste... Le législateur lorsqu’il accorde deux mères à un enfant prend «le parti pris des choses», celui d’une société qui acquiesce à l’obtention de droits à des minorités. Quand le Président «indifférencie» le masculin et le féminin, il s’arroge une responsabilité qui le dépasse : il ne peut ignorer le poids de sa parole, d’une parole qui est tout sauf anodine, d’un verbe qui parce qu’enveloppé par la fonction est par essence sursignifiant. Ce faisant il exprime une opinion personnelle que son statut érige, transforme même du haut de sa posture, en option, voire en orientation anthropologique. Un Président «ne devrait pas dire ça» , sauf à se considérer comme l’ordonnateur des structures de la parenté...
En posant avec un tee-shirt dénonçant les violences policières, Emmanuel Macron brouille encore plus les pistes. Il en rajoute dans la confusion communicante, s’adonnant ainsi à un étrange exercice qui ne satisfera pas, loin s’en faut, les forces de l’ordre et qui pourront à bon droit se sentir offensées, ni les victimes qui liront dans l’attitude présidentielle désinvolture, sarcasme ou pied de nez. En cédant aux démons de sa spontanéité, le chef de l’État cède trop de lui-même à l’opinion publique, oubliant qu’être Prince exige de retenir cette part de soi-même dont la représentation du pouvoir doit forcément se garder. Dérégulant sa communication toujours plus, Emmanuel Macron fragilise non seulement son image, il suscite le prurit de son propre rejet. Il met en avant ce qu’il est sur ce qu’il devrait être. En quelques mots, il délaisse la fonction, pensant à tort que l’homme peut faire la fonction...
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