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884Il fut donc un temps où l’emploi constituait pour le citoyen US la référence centrale et l’essence de ses conceptions de la vie sociale et du bonheur qui va avec selon l’américanisme. Le mythe spécifique du job, soigneusement entretenu par le Système, était, avec une famille stable et conformiste et une maison individuelle standardisée, une part fondatrice de l’American Dream, – non seulement le mythe général de l’américanisme, mais la définition sociologique de ce qui était devenu un concept quasi-scientifique, ou pseudo-scientifique (definition sociologique de l’American Dream par James Truslow Adams en 1931). La Grande Dépression mit ce concept en danger de mort, et l’on crut la chose sauvée avec la Deuxième Guerre mondiale et les mesures socio-économiques (dont la loi G.I. Bill, facilitant l’accès aux universités des soldats démobilisés) de l’immédiat après-guerre qui évitèrent une rechute de la Dépression. Les années 1950 virent le triomphe de l’American Dream ainsi réparé, avec le mythe du job porté à son plus haut niveau. Dans cette époque de “l’homme au complet gris”, désignant le vêtement standard de l’employé-standard, le plein emploi et la qualité supposée de l’emploi représentaient la définition même du bonheur ultra-conformiste du citoyen américain ; le mythe du job représentait le bonheur américaniste, – à la fois représentation “mythologisée” de la pauvreté de la sociologie de l’American Dream, à la fois garant effectif et très réel de stabilité et donc d’une paix sociale par acquiescement du citoyen conforme à la sécurité du Système. Ce n’est pas un hasard si les révoltes anarchiques des années 1960 et les mouvements tels que ceux des beatniks et des hippies prenaient comme principale cible cet aspect de l’American Way of Life.
La situation est aujourd’hui complètement renversée et en complète aggravation. L’introduction majoritaire et universelle de la notion de stress due à l’emploi et aux conditions de travail a, aux USA, une signification antiSystème extrêmement puissante, beaucoup plus que dans les autres pays affectés par cette situation (notamment en France, avec notamment des cas de suicide), où la contestation sociale est beaucoup plus répandue. Une appréciation scientifique du phénomène, même si elle est présentée d’une façon parcellaire et réductrice (pour éviter la mise en cause du Système) rend compte d'une situation inquiétante du phénomène. Cindy Perman, de CNBC.com, donne un compte-rendu de la situation du stress aux USA (le 10 avril 2013).
«A whopping 83 percent of American workers said they are stressed out by at least one thing at work, up sharply from 73 percent in 2012, according to a survey by Harris Interactive for Everest College. “When you look at all the other economic indicators, there have definitely been some positive signs,” said John Swartz, regional director of career services at Everest College. But relief of workplace stress isn't one of them. “More companies are hiring, but workers are still weary and stressed out from years of a troubled economy that has brought about longer hours, layoffs and budget cuts,” Swartz said…»
Les causes de cette situation, toujours selon les analyses réductionnistes faites par les spécialistes US qui ne veulent pas mettre en cause le Système, découvrent tout de même des facteurs fondamentaux du fonctionnement de l’économique, dont la préoccupation centrale est passée massivement, – et follement du point de vue de la stabilité du Système, – des conditions de la production au seul mythe de la productivité pour obtenir un rapport immédiat de bénéfices pour les sociétés… «“One of the biggest problems, Swartz said, is that too many companies are making decisions for short-term benefits and not thinking about long-term effects.”»
Les représentants du l’“industrie du stress” ont, eux, une vision résolument pessimiste sur les aspects médicaux du phénomène. Ce pessimisme est, bien entendu, du point de vue de la rentabilité, leur optimisme à eux, – et il concerne évidemment un phénomène médical extrêmement puissant et une cause indirecte et directe de mortalité très significatif.
«Stress is so ubiquitous and so dangerous that the American Institute of Stress calls it “America's New Black Death.” You know, that little plague that is thought to have wiped out more than 100 million people in the 14th century. “If black plague is what killed most people in Europe in the Middle Ages, then stress is what's killing us the most right now,” said Dr. Daniel L. Kirsch, the president of the institute.
»And while many sectors are still trying to claw back, the stress industry is thriving. “It's actually a very good time to be in the stress business,” Kirsch said. “The stress business is booming!”»
On notera que la remarque de John Swartz mettant en opposition la situation économique et la situation du stress («When you look at all the other economic indicators, there have definitely been some positive signs») est évidemment faussaire. Il y a une rupture dramatique entre l’aspect financier de la crise, complètement artificiel à l’image du tirage effrénée de monnaie de singe camouflée en milliards de dollars par la Fed, et les conditions socio-économiques telles qu'elles sont observées. Les derniers chiffres de l’emploi, et de création d’emplois, en mars, sont catastrophiques, comme le montrait WSWS.org le 6 avril 2013 (88.000 nouveaux emplois alors qu’on en attendait plus de 160.000). La comptabilité totalement faussaire du chômage (officiellement à 7,6% selon le niveau 1 de la statistique qui ne tient pas compte des personnes qui quittent massivement le marché de l’emploi, en réalité près ou plus de 10% pour ce niveau 1, et entre 25% et 27% de chômage réel prenant en compte ces “déserteurs” du marché de l’emploi). Mais la situation est si complètement faussaire et autodestructrice que même la comptabilité faussaire officielle devient officiellement absurde puisqu’elle présente conjointement une réduction statistique du pourcentage du chômage et le constat statistique chiffré que la situation de l’emploi s’aggrave…
«As the Economic Policy Institute (EPI) noted in its commentary on this month's figures, the first quarter's job creation rate “is not even close to adequate; at that rate, we would not return to the prerecession unemployment rate until late 2019. To get back to the pre-recession unemployment rate in three years, we would need to add 320,000 jobs every single month--almost double our current rate.”
»Commentators pointed out the increasing absurdity of an official unemployment rate that drops any time the employment situation worsens. The EPI’s Heidi Shierholz noted that, if the actual labor force is compared to the Congressional Budget Office's estimate of the “potential labor force,” there are 4 million people “missing” because they believe no jobs are available. “If those workers were in the labor force looking for work, the unemployment rate would be 9.8 percent instead of 7.6 percent,” she concluded. “Currently, the unemployment rate is hugely underestimating the amount of labor market slack.”»
Il reste bien entendu à apprécier pleinement, avec une complète intégration, cette évolution catastrophique de l’emploi aux USA en termes quantitatifs, cette situation également catastrophique en termes qualitatifs de stabilité et de valeur humaine des emplois, et cette évolution catastrophique de la psychologie du citoyen qui ne cesse de s’aggraver jusqu’à être proche d’une quasi-unanimité de la situation de stress. De ce point de vue, on peut alors admettre que le qualificatif de stress (“tension nerveuse”) ne désigne plus, ni un accident, ni une maladie, mais un état nouveau de la psychologie, – la psychologie devenue, per se, une psychologie nécessairement en constat état de déstructuration et de dissolution sous la pression des conditions économiques et financières spécifiques, et, plus généralement, sous la pression du Système sous toutes ses formes. Par exemple, l’affirmation (de plus en plus grotesque par ailleurs, ajoutant un élément d’instabilité par la mise à jour du mensonge-narrative) de la “reprise”, de l’“amélioration des conditions économiques” (voir Swartz), par rapport à la situation catastrophique de tension vécue par les individus constitue un puissant motif de pression supplémentaire, – à la limite du supportable par l’opposition qu’il impose entre la narrative et la vérité de la situation.
Effectivement, la situation est si catastrophique, en elle-même mais aussi dans sa disparité entre sa vérité et la narrative, que la situation d’isolement psychologique devenant pathologie individuelle que produit la tension nerveuse venue des conditions de vie tend à disparaître, conduisant éventuellement à briser le dernier rempart protégeant le Système d’une réaction populaire. Il s’agit de l’observation que l’aspect massif de la tension nerveuse, la transformation du stress-pathologie en une psychologie collective nouvelle, difficilement supportable et qui libère l’individu de ce qu’il croirait être sa responsabilité individuelle à cause de son isolement, est la voie conduisant à une revendication collective contre les conditions extérieures imposées par la dictature du Système, donc une réaction à potentialité antiSystème fondamentale beaucoup plus que portant sur des aspects spécifiques de la situation. Ce processus est bien entendu beaucoup plus avancé dans nombre de pays européens du bloc BAO, où existe une tradition de revendication sociale affirmée, c’est-à-dire une conscience collective à cet égard, contrairement aux USA où la parcellisation due à l’individualisme a été volontairement entretenue dès l'origine de ce pays, comme un fondement même de sa création. Les conditions actuelles aux USA, telles qu’elles sont décrites dans les diverses nouvelles mentionnées, montrent que ce pays, où “la servitude volontaire” selon La Boétie a toujours été un caractère central de la situation de la population, parvient à des limites qui peuvent conduire à des changements importants, voire à des renversements radicaux d’attitudes collectives. (Les agitations diverses de ces 3-4 dernières années, – type Tea Party, Occupy, Ron Paul, etc. – renvoyant pour l’élément humain au phénomène des termites, en sont une bonne préfiguration.)
Cette situation générale montre que le schéma orwellien type-1984, souvent sollicité pour décrire notre situation de crise générale, n’est certainement pas le bon, que c’est en fait le schéma contraire qui se développe. La situation de “servitude volontaire” serait censée être renforcée par la dictature totalitaire du Système qui est essentiellement présentée par l’utilisation extensive de la narrative. (On a vu que la narrative est elle-même, par rapport au mécanisme beaucoup plus cohérent du virtualisme, une dégénérescence de l’effet de cette dictature totalitaire, une véritable dissolution de ce caractère du Système, dans la logique surpuissance-autodestruction.) Ce qu’on constate aujourd’hui, au contraire, c’est que cette “dictature totalitaire du Système […] essentiellement présentée par l’utilisation extensive de la narrative” intervient en opposition de plus en plus directe et catastrophique pour le Système, au phénomène jusqu’ici à l’avantage du Système de “la servitude volontaire”. La puissance et l’efficacité de l’American Dream reposaient sur l’illusion (la narrative) du bonheur, qui impliquait un ressenti nécessaire dans ce sens, donc un apaisement, même trompeur (nécessairement trompeur) de la psychologie. L’irruption de la souffrance psychologique à un niveau collectif presque absolu du fait de la dictature d’un Système devenu fou par autodestruction, outre de fracasser l’American Dream, a complètement détruit la narrative du bonheur selon l’American way of life. C’est une des conditions fondamentales de la concrétisation et de l’accélération de la crise d’effondrement du Système, où bien entendu la situation des USA tient une place centrale… Elle est en pleine extension-turbo, sans qu’on sache sur quel(s) événement(s) va déboucher cette dynamique.
Mis en ligne le 12 avril 2013 à 06H48