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87222 septembre 2007 — Deux articles, hier, traitaient de deux sujets différents et exposaient les deux faces du même problème fondamental pour la France (pour Sarko) et pour les relations internationales. C’est une démonstration lumineuse par inadvertance, — comme toutes les choses importantes aujourd’hui.
L’intérêt de la circonstance qu’illustrent ces deux articles est que nous arrivions si vite au nœud du problème français. Il s’agit de la politique générale française sous la présidence sarkozyste, et de l’insupportable contradiction dont elle est composée. D’une certaine façon, il faudrait remercier Sarkozy. Son action décidée pousse très rapidement les deux termes de la contradiction à leurs extrêmes, vers où la contradiction devient insupportable. Nous ne sommes pas loin d’y être.
(Il ne faut pas s’y tromper malgré l’indignation entendue de toutes parts, notamment à propos de la politique iranienne du duo Sarko-Kouchner à la limite de l’imprudente provocation: la contradiction existait déjà chez Chirac, mais à l’état plutôt léthargique; l’opposition à la guerre en Irak a largement été équilibrée contradictoirement par le rapprochement de l’OTAN, la participation à la guerre du Kosovo, un soutien acceptable à l’Europe libérale malgré une rhétorique contraire, des positions rencontrant celles des USA dans tel ou tel problème, — comme au Liban dans l’affaire Hariri.)
Les deux articles concernent le programme Galileo et l’Iran.
• Une grande bataille est engagée pour sauver le programme Galileo. Les Français ont lancé l’idée de l’utilisation de fonds communautaires agricoles de réserve pour remplacer les investisseurs privés défaillants. Leur relais dans cette bataille est le commissaire européen des transports, le Français Jacques Barrot.
Un article du Times du 21 septembre donne un bon éclairage de la situation, bien qu’il soit outrageusement orienté dans le sens britannique. Dans cette bataille, les Britanniques sont décidés à contrer les Français, y compris en sabotant définitivement le programme, — ou bien le contraire, — décidés à saboter le programme en contrant définitivement les Français? Ce sont eux (les Britanniques) qui ont insisté au départ pour que Galileo soit complètement financé par le privé; c’est effectivement cette méthode qui a mis le programme au bord de l’effondrement, le secteur privé rechignant devant des investissements à long terme qui sont d’un rapport immédiat nul.
L’aventure de Galileo a jusqu’ici démontré l’incapacité du secteur privé à financer des entreprises fondamentales à composante souveraine, nécessairement à long terme. De toutes les façons, cela convient parfaitement aux Britanniques, qui jouent dans ce cas, comme dans la majorité des cas de cette sorte, le rôle de courroie de transmission des USA, adversaires acharnés du programme. Cela, nul ne l’ignore, et, on l’espère, ni les services de renseignement de la République ni la cellule diplomatique du président de la République française. (Mais en sommes-nous bien sûr? Nous pas.)
Il ne fait aucun doute que Galilo est un projet stratégique majeur, un programme fondateur d’une souveraineté, — européenne dans ce cas, mais qui doit beaucoup aux conceptions françaises en cette matière, — on devrait plutôt dire au “réflexe français”. C’est un projet qui convient à l’idée absolument française d’“Europe puissance”. L’équipe Sarkozy a pris l’affaire en main et lui applique une politique volontariste.
Résumé de la situation par le Times:
«French plans to bail out Europe’s ill-starred satellite navigation project with a €2.1 billion raid on the EU farming budget yesterday provoked outrage in Britain and Germany.
»Critics said that France’s attempt to seize spare taxpayers’ cash after private investors pulled out would break every budgetary rule in the book – and set an alarming precedent.
»But with European prestige – and pride – at stake, Paris has won European Commission backing to use public money as it tries to show that the EU can more than match the American GPS satellite system.
»Galileo started life seven years ago as a grandiose project designed to show off the best of European science and engineering – and demonstrate that the EU was a player on the world stage of satellite technology. Galileo was intended to allow pilots, fishermen, drivers, walkers and farmers to pinpoint their location to within a few centimetres.
»Now, way behind schedule, it is widely referred to as the biggest white elephant in Brussels. Since private investors from eight EU countries pulled out this summer, it has descended into squabbling over where money to plug the gap should come from and which countries should benefit from the lucrative contracts to design and build it.
»Detractors say that there is no need for a European version of GPS, the successful American system behind sat-nav devices in cars, which is freely available across Europe.
»Supporters of Galileo argue that Europe must develop its own civil satellite positioning system because one day the Pentagon could switch off the military-controlled GPS or suddenly start charging. In any case, they argue, China and India are developing satellites and the EU must keep up.
»The plan to rescue Galileo with taxpayers’ money – and divert it from surpluses in the agricultural budget – threatens to plunge the community into its biggest funding row since Brussels fixed its last six-year budget.»
• L’Iran, maintenant, avec un article du distingué auteur, d’origine iranienne, Kaveh L Afrasiabi (sur Atimes.com, ce 21 septembre). Afrasiabi développe un puissant argument anti-français selon la logique paradoxale que le durcissement français donne en fait une excellente occasion à l’Iran de trouver une issue honorable, et même gagnante à la crise.
Afrasiabi prend garde d’abord à mettre la (nouvelle) politique française en procès, en l’appréciant comme une politique d’affirmation de puissance à l’image de celle des USA, notamment au travers de liens nouveaux avec les USA qui la conduit à rencontrer les mêmes travers. (« Indeed, given Sarkozy's rush to forge new trans-Atlantic unity with the United States, it is hardly surprising that France today is afflicted with the same malady that has gripped the US over the past several years.») Le résultat, selon Afrasiabi, n’est pas brillant. «Yet, in just a few months since his election, Sarkozy and his foreign-policy team have managed to spread the risks of proliferation, in part by continuing the previous French government's flawed nuclear-weapons policy and doctrine, tantamount to reneging on Paris's disarmament obligations, and in part by threatening other nations such as Iran.
»Sarkozy's top concern, to “get France to be taken seriously again”, per a recent editorial in the Economist, must now be declared on the wrong path, due to the simple yet inescapable fact that through their inadvisable statements on Iran, both Sarkozy and Kouchner have harmed France's international image.»
Le résultat est d’autant moins brillant qu’il pourrait l’être au contraire, brillant, pour l’Iran, si l’Iran sait manoeuvrer. C’est la thèse de notre auteur, exposée à la fin de son article et appuyée sur une violente attaque du statut de puissance nucléaire de la France:
«Thus, come next week's gathering of global leaders at the UN, Iran can take advantage of the counter-French fallout of Kouchner's warmongering, for example by indirectly strengthening Tehran's bid to convince the world that it must accept Iran's rise to the status of a nuclear power.
»Simultaneously, this new status confers on Iran a new challenge, that is, how to act as a great power without the benefit of nuclear might, deemed as a “weapon of the past” by Ahmadinejad. This Iran can manage by letting the world know that unlike the states that have nuclear weapons, Iran does not intend to utilize its knowledge to proliferate nuclear weapons and, while maintaining that capability for national-security reasons, is more determined to use its new clout to push vigorously for global nuclear disarmament.
»After all, Iran has its own revolution-induced global mission, which sets it apart from the “world domineering powers”, to use terminology popular with Ahmadinejad, who must nonetheless do more to propagate the peaceful mission and purpose of Iranian power, perhaps by directly involving Iran in the UN's peacekeeping and peacebuilding efforts.
»France's isolation due to its blunders on Iran is an opportunity for Iran to shine globally as a humanist leader in the crusade against the ultimate weapons of destruction. And that means making more explicit the Islamist humanist reservoir of the Iranian revolution of 1979, still pulsating in the country's policy hierarchy, and still serving as a compass for foreign policy action, partly buried under piles of militant rhetoric. The time for a new blossoming of Iran's language of peace has arrived, thanks partially to the opposite French rupture.»
On ne s’attardera pas au fond même de ces deux questions mais à ce qu’elles représentent en fait de politique du côté français et ce qu’elles produisent comme effets.
• Dans le premier cas, il s’agit d’une politique volontariste, l’on pourrait dire “gaullienne”, portant sur un programme reconnu en général comme un programme fondateur d’une éventuelle souveraineté européenne, celle-ci s’ajoutant aux souverainetés nationales plutôt que s’y substituant. Il s’agit d’un renforcement de la puissance européenne, des puissances nationales qui la complètent et qui la suscitent; d’une façon générale, il y a nécessairement une majorité de pays rassemblés ou à rassembler en Europe autour de ce programme dont l’inspiration française dans sa stratégie ne fait guère de doute, renforçant ainsi la position de la France en Europe; les prolongements possibles impliquent notamment des alliances avec des pays cherchant une alternatives à la puissance US (système GPS). Il est évident qu’il s’agit d’une opposition stratégique aux Etats-Unis, une initiative de confrontation stratégique avec les USA. (Il existe peu de cas où le Royaume-Uni ait suivi une politique aussi complètement absurde par rapport à ses intérêts, pour la seule raison de contrer un produit concurrent du GPS américaniste, dans ce cas sur intervention directe, sur sommation dirait-on, de l’“allié” américaniste. Des témoignages écrits, notamment sur l’action des lobbies anglo-saxons en marge du programme Galileo, sont édifiants à cet égard.)
• Dans le second cas, il s’agit également d’une politique volontariste affirmant une position forte et exigeante. Elle place la France aux côtés des USA, pour certains dans une position encore plus agressive que celle des USA. Le résultat est d’une part l’incertitude du résultat recherché, sans d’ailleurs être assuré en rien du tout de la validité de la cause. Les effets secondaires sont peu ragoûtants: la mise en cause de la légitimité du statut de puissance nucléaire de la France, un recul notable de l’influence de la France dans nombre de pays du tiers-monde, voire en Europe même. Kaveh L. Afrasiabi peut justement écrire que la France se retrouve “isolée” à l’image des USA eux-mêmes. Le tout produit une politique “anti-gaullienne” par excellence.
Ce qui est remarquable, c’est que les mêmes caractéristiques politiques (volontarisme, dynamique de l’action, etc.) produisent des effets qui peuvent être exactement rassemblées en deux tendances claires qui sont exactement inverses. La question se pose alors de savoir si l’on doit juger une politique sur des apriorismes de divers types, essentiellement théoriques et notamment idéologiques, — ou sur ses effets dans la réalité, notamment ses effets indirects sur des situations fondamentales comme la souveraineté, la puissance, l’équilibre des relations. C’est la question posée à Sarkozy et nous n’avons vraiment aucune certitude qu’il soit intellectuellement et moralement armé pour y répondre. (Nous n’avons vraiment aucune certitude qu’il juge même utile de répondre à de telles questions, voire même de l’intérêt, pour ne pas parler de la nécessité de les soulever. Sarko est trop un homme de son temps, acharné dans l’action et vide de toute pensée originale, et son efficacité doit être jugée à la mesure inverse de sa réflexion sur la chose où il prétend être efficace.) Mais ce n’est pas la chose la plus importante du point de vue des événements.
Les événements montrent avec une remarquable célérité comment Sarkozy se trouve, avec les mêmes instruments qui sont la marque de son action, placé devant des contradictions qui vont très vite devenir trop pressantes pour ne pas devenir également insupportables. Au reste, ce n’est pas une mauvaise chose; au plus vite nous sommes au nœud gordien de la contradiction, au mieux c’est. Cette contradiction est évidente dans le personnage, qui n’est utile pour l’instant que dans la mesure où il produit une capacité d’action (avec le refus des entraves, éventuellement conformistes, que cela suppose); cette capacité vaut d’une façon radicale, comme on le comprend avec les caractères des deux politiques considérées, pour le meilleur et pour le pire.
Le fait est également que cette capacité s’exerce fondamentalement, pour le meilleur et pour le pire, dans le champ des relations avec les USA essentiellement, voire exclusivement. L’importance et la centralité de ces relations pour toute chose essentielle est aujourd’hui avérée, c’est la substance même de la problématique de notre époque. Cela, Sarko ne devait pas l’ignorer dès les premiers jours de sa présidence quoiqu’on puisse douter fortement, sinon sans aucun doute, de la conscience éclairée de la chose par lui. A-t-il eu la “conscience éclairée” de ce que signifient ces mots, dits au soir du 6 mai par lui: «Je veux dire [aux USA] que la France sera toujours à leurs côtés quand ils auront besoin d’elle. Mais je veux leur dire aussi que l’amitié c’est accepter que ses amis puissent penser différemment…»? A-t-il pris conscience de la contradiction inhérente, substantielle, dévastatrice de ces deux phrases? (Non, bien sûr…) On ne peut espérer jamais être “toujours aux côtés” des USA si l’on envisage d’une seule fois “penser différemment”. C’est comme ça avec l’Amérique, c’est ce qui fait l’exceptionnalité maléfique de cette chose, — point final. Sarkozy est devant sa quadrature.
Cette interrogation sur Sarkozy n’est pas sollicitée. Elle existe vraiment. Si certains s’interrogent avec indignation sur son éventuel pro-américanisme à propos de l’Iran, d’autres s’interrogent avec autant d’inquiétude à propos de son éventuel anti-libéralisme sur l’Europe et l’orientation atlantiste qu’il trahirait. (Si une plume comme celle de Dominique Moïsi, dont on connaît le zèle bien tempéré et encore mieux orienté, le fait dans le Financial Times le 14 septembre, c’est que c’est sérieux: «The shadow of a doubt about Sarkozy».) Dans ce cas, globalisation oblige, on comprend que c’est le même combat (pro-américanisme et anti-libéralisme) à part que c’est dans deux camps adversaires sans rémission. Le destin de Sarko reste à faire, écartelé entre deux options agressivement contraires et qui réclament un choix. Il est plus que jamais un “personnage maistrien”, c’est-à-dire un “scélérat” dans une époque maistrienne. Rappelez-vous la citation essentielle de Maistre, — qui, elle, offre le choix de la fatalité pour le destin:
«On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.»
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