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624Nous serions tentés d’avancer que la question posée par William S. Lind sur le sort de la légitimité du régime iranien nous paraît infiniment plus importante que celle de la querelle sans fin sur le décompte des voix, sur la fraude ou non, massive ou pas, du scrutin, voire sur les actions de contestation-répression qui ont suivi. C'est la force de la question objective contre l'incertitude de la démarche partisane. Le problème est bien entendu que cette mesure de la légitimité du régime, ou ce qu’il en reste, et s’il en reste, repose pour l’instant sur ces divers facteurs (élections, fraude, etc.) dans la mesure où elle dépend des effets de ces facteurs sur la perception de la population.
Pour Lind, ce 23 juin 2009 sur Antiwar.com, aucun doute n’est possible: le régime a perdu sa légitimité. Lind ne doute pas une seconde qu’il y a eu fraude, et fraude massive. La faute principale de la direction iranienne, selon lui, est d’avoir laissé faire cette fraude, ou de l’avoir organisée, sans s’aviser des conséquences terribles que cela aurait pour sa légitimité.
«In contrast, the Iranian regime in effect laughed as it rigged its election’s outcome, saying to the Iranian people and the world, “Rig the elections? Of course we rigged the elections. What are you going to do about it, sucker?” The fact that the outcome was announced within three hours of the polls closing suggests they did not count the votes at all. The Interior Ministry was just told what numbers to put down on the tally sheets.
»Now it has blown up in the regime’s face, in the worst kind of crisis any government can face, a crisis of legitimacy. The Iranian opposition is able to say, “You did not play by the rules you wrote.” That is a powerful rallying cry anywhere in the world. The Iranian people have rallied, by the millions, to the opposition. Iran is in the midst of the greatest upheaval since the revolution that overthrew the shah.
»Like governments everywhere, Khamenei seems unable to grasp that he faces a crisis not merely of leadership but of legitimacy. Had he grasped that essential fact, he would have professed to be “shocked, shocked” by the electoral fraud, dumped Ahmadinejad, and devoted himself to showing Iran’s political system works.» […]
Sur le fond du problème, notamment des événements en cours en Iran, la crise iranienne soulève donc une question à laquelle il nous paraît délicat de répondre. Lind y répond, comme s’il considérait la crise comme tranchée. Il ne nous paraît pas assuré que cela soit le cas, dans la mesure où les références disponibles sont effectivement extrêmement aléatoires.
Qu’est-ce que la légitimité dans une période de crise et par rapport à cette crise, et quand peut-on considérer la question de la légitimité mise en question comme tranchée, dans un sens ou l’autre? N’est-on pas fondé de penser que, le 23 mai 1968, le général de Gaulle n’avait plus aucune légitimité dans sa fonction de président de la République et qu’il l’avait restaurée complètement le 31 mai 1968? Que, pourtant, l’homme se sentit suffisamment atteint pour procéder à ce qu’on pourrait considérer comme un suicide politique, ou un sacrifice politique, en lançant le référendum d’avril 1969 sur la participation où il engagea son destin politique? Par ailleurs, que signifiait la démocratie dans tout cela, avec un raz de marée gaulliste aux élections générales de juin 1968, alors qu’il y aurait eu une défaite sans doute aussi marquante si ces élections avaient eu lieu un mois plus tôt? Un autre exemple, à l’autre bout du spectre politique, rayon utilités temporaires, est celui de GW Bush, élu d’une façon frauduleuse en décembre 2000, disposant du soutien de plus de 90% de la population le 12 ou 13 septembre 2001, terminant ses deux mandats avec une popularité (ou une impopularité) égale à celle de Richard Nixon lors de sa démission d’août 1974? Où se trouve sa légitimité?
La question de la légitimité est une question extrêmement insaisissable, difficile à réduire à un résultat électoral, à un sondage ou à toute autre circonstance de ce genre, donc difficile, et paradoxalement difficile, à réduire à l’exercice de la démocratie, même frauduleux. D’une part, on est conduit à bien comprendre la position de Lind qui considère la question de la légitimité comme essentielle, et que cette légitimité de la direction iranienne est évidemment en cause aujourd’hui, mais aussi à s’interroger sur la réponse qu’il donne, qui semble effectivement trop s’appuyer sur le processus démocratique qui est décidément insuffisant pour régler la question de la légitimité. D’autre part, on voit mal comment la direction iranienne, simplement dans les circonstances présentes les moins défavorables pour elle et sans événement décisif, éventuellement en laissant mourir le désordre s’il meurt effectivement, ne va pas se trouver dans une position d’appauvrissement décisif de sa légitimité. Encore faudrait-il, d’ailleurs, qu’une direction religieuse appuyée sur une structure fortement corrompue, réalise qu’il est nécessaire de disposer d’une réelle légitimité pour assurer (assurer de nouveau) un gouvernement stable; après tout, les mollahs de la fraction Khameini peuvent se juger désignés par Dieu, et donc sans réel besoin d’une légitimité “terrestre”… La remarque sarcastique de Lind pourrait être fortement renforcée dans ce cas: «But the larger lesson from events in Iran is one this column has harped on: few if any governments are able to perceive a crisis of legitimacy. Any governing system in time becomes a closed system, into which the question of legitimacy is not allowed to penetrate. To raise it is lèse-majesté. So long as that remains the case, the state system will grow more fragile.»
Objectivement, notre position serait tout de même de considérer qu’il faudra un événement décisif, et cathartique pour ce cas, pour rétablir une légitimité complète en Iran, – et d’ailleurs, dans quelque sens que ce soit. L’exemple de De Gaulle en 1968 est finalement révélateur: si l’homme s’est révélé atteint par l’épreuve, il n’en a pas moins restauré la légitimité de l’Etat avec l’événement extraordinaire de son départ à Baden-Baden le 29 mai 1968, suivi de son retour, de son discours radiodiffusé, et de la manifestation du 30 mai 1968 sur les Champs-Elysées. Il n’est pas sûr que Khameini soit capable de faire cela. Le risque général de la disparition de la légitimité du gouvernement iranien telle qu’elle est décrite par Lind est évidemment l’instabilité et la possibilité de la guerre civile.
Mis en ligne le 23 juin 2009 à 22H34
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