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2 septembre 2003 — La question des pertes dans un conflit n’est pas une question accessoire, surtout depuis qu’existe la pression des moyens de communication et celle de l’opinion publique. Il apparaît qu’elle est essentielle dans les événements d’Irak (est-ce un conflit ou pas ?), à la mesure de la polémique qui accompagne cette affaire. La question des pertes, c’est la question de l’impact médiatique de ces pertes, le soutien ou pas de la population US à la présence US en Irak, la réélection de GW et ainsi de suite.
Il apparaît de plus en plus d’une part que la question des pertes US en Irak est l’objet de manipulations du commandement américain ; qu’elle est, d’autre part, à cause de ces manipulations et d’indications de diverses sources, en train de devenir une question très polémique et explosive pour le gouvernement US. Un article du Washington Post paru ce matin témoigne, involontairement peut-être (sans doute), de l’étrange confusion régnant sur cette question. Ainsi l’article est-il concentré sur la “dramatique” augmentation des blessés alors qu’il annonce par ailleurs qu’il y a moins de morts, — ce qui est une bien curieuse circonstance : « Number of Wounded in Action on Rise , — Fewer Troops Killed in Iraq, but Injuries Continue Unabated ».
L’article présente effectivement une situation en réelle aggravation mais signale en même temps d’étranges mesures du commandement (il y a trop de blessés pour qu’on les annonce publiquement, et d’autre part on n’annonce pas les seuls blessés s’il n’y a pas de morts dans un accrochage, — et comme, semble-t-il, et fort curieusement, il y a moins de morts ...) Les “explications” données sont à la fois complexes et, parfois, surréalistes, à l’image de cette étrange politique disant que plus les événements sont graves (de plus en plus de blessés) moins on les annonce ...
« The number of those wounded in action, which totals 1,124 since the war began in March, has grown so large, and attacks have become so commonplace, that U.S. Central Command usually issues press releases listing injuries only when the attacks kill one or more troops. The result is that many injuries go unreported.
» The rising number and quickening pace of soldiers being wounded on the battlefield have been overshadowed by the number of troops killed since President Bush declared an end to major combat operations May 1. But alongside those Americans killed in action, an even greater toll of battlefield wounded continues unabated, with an increasing number being injured through small-arms fire, rocket-propelled grenades, remote-controlled mines and what the Pentagon refers to as ''improvised explosive devices.''
» Indeed, the number of troops wounded in action in Iraq is now more than twice that of the Persian Gulf War in 1991. The total increased more than 35 percent in August — with an average of almost 10 troops a day injured last month. »
La question des pertes US en Irak pourrait devenir un point central du débat américain sur l’engagement, non pas seulement à cause de ces pertes mais, en plus, à cause des manipulations qui ont lieu autour. Il ne faut pas nécessairement mettre en accusation Central Command dans cette affaire. Il y aurait eu, ces derniers jours, des consignes strictes de la Maison Blanche (Karl Rove) selon lesquelles l’annonce des décès doit être freinée, le nombre de décès réduit. On a déjà signalé ici qu’il existe un sentiment grandissant selon lequel les conditions opérationnelles sont plus rudes qu’il n’est dit, et les pertes plus élevées que les chiffres officiels (voir le dernier paragraphe de notre F&C du 20 août). Des indications récentes que nous avons reçues, venues de membres d’organisations humanitaires dont la base est en Jordanie, indiquent qu’effectivement la situation ne cesse de s’aggraver et qu’il est de plus en plus difficile de pénétrer en Irak où règnent partout l’insécurité, le banditisme, le fractionnisme.
Certains petits détails confirment ces diverses indications, comme celui qui accompagne l’information concernant l’attaque à la bombe du commissariat de police de Bagdad, qui a eu lieu aujourd’hui et qui semble avoir fait un mort et une quinzaine de blessés. La scène décrite ici se rapporte plus à une situation chaotique de guerre civile (comparable dans sa situation opérationnelle à la guerre d’Algérie dans sa dernière phase, lors de la lutte avec l’OAS) qu’à une simple situation d’insécurité avec une guérilla : le chef de la police de Bagdad blessé dans un attentat, décidant d’installer un lit dans son bureau pour n’avoir plus à se déplacer et pouvoir continuer son travail, — voilà qui montre des autorités constamment en état de siège.
« Acting Baghdad police chief Hassan al-Obeidi has offices in the headquarters building and is closely associated with the U.S.-led occupation authority, especially former New York City Police Commissioner Bernard Kerik, who put al-Obeidi in his position. Kerik has been in Iraq to rebuild the country's police force.
» Al-Obeidi was shot in the leg at the end of July during a weapons raid in downtown Baghdad. The day after the raid, he moved a bed into his office so he could continue to command the police force. »
Tous ces détails et indications font craindre que les forces US se trouvent dans un très mauvais cas, une véritable souricière, un piège dans des conditions peut-être pires qu’au Viet-nâm. Elles sont obligées de se maintenir au niveau actuel pour ne pas sembler se trouver dans une position difficile en demandant des renforts. La ponction des pertes va finir par commencer à se faire sentir sur le niveau opérationnel des unités, en plus de la fatigue. Les chiffres donnés officieusement ici et là, — plus de 4.000 blessés déjà évacués d’Irak selon le lieutenant colonel DeLane (de l’hôpital d’Andrews Air Force Base), 10 blessés au moins par jour, selon le Post — mesurent effectivement la gravité de la situation.
D’autre part, les consignes du pouvoir politique sont au contraire de dissimuler le plus possible. Pour combien de temps ? Jusqu’en novembre 2004 et la réélection de GW ? Absurde. L’avenir immédiat, des prochains mois, apparaît extraordinairement incertain, alors que nombre d’évaluations font de l’attentat de Nadjaf un tournant de la situation du pays vers la guerre civile.