La résistance des psychologies et la nécessité du pire

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Il y a une intéressante chronique de John McQuaid, journaliste scientifique US qui a été honoré d’un Prix Pulitzer, sur Huffington.post, le 11 juin 2010, à propos du “oil spill”, de l’attitude de BP dans le domaine des relations publiques, de l’attitude psychologique des dirigeants politiques autant que du public.

Après avoir montré combien les arguments de BP développés pendant de longues années sur son “greening” (la prise en compte des impératifs de protection de l’environnement) se sont révélés d’une façon éclatante être un pur montage de relations publiques, combien l’entreprise, comme le reste du corporate power et du système, continue à ne suivre que la seule politique du l’exploitation et du profit à tout prix, donc du saccage de l’environnement, McQuaid en vient à la conclusion. Il montre combien cette politique est finalement absurde, y compris l’attitude de BP cherchant à dissimuler ce qui ne peut manifestement pas l’être du fait de l'ampleur écrasante de visibilité de la catastrophe, et, à côté de cela, l’incapacité des directions politiques et du public devant ce fait-là, de mettre en question certains jugements fondamentaux…

«…Now: When disaster struck, it quickly became obvious that all the green stuff was just for show. Where it counted, BP had not been green at all, but murky brown. Today, with the Gulf of Mexico getting more fouled by the hour and the eyes of the world riveted on its every move (the one time you really, really want to get corporate PR right) BP has demonstrated it cares more about covering its own arse than doing the right thing.

»Here's one thing I genuinely don't get. Just from a PR standpoint, BP's tactical, hectoring approach makes no sense. If I were BP (which in fact I'm not) I would simply roll over, conceding everything the critics are saying, promising to make everything whole again to the fullest extent possible, acknowledging the profound wrong that it has committed here at every opportunity, in words and actions. I'd call off the lawyers and PR people. The nickel-and-diming media interference is futile, after all. The story is simply too big – geographically, environmentally, and historically – for it to have any appreciable effect other than to make BP look bad. But BP's honchos either cannot recognize this, or they don't care, or they have no overarching strategy for the company's corporate and social responsibilities going forward - other than minimizing them.

»Surely the BP debacle is the kind of emperor-has-no-clothes moment that ends up meaning something. Many of the default political assumptions of the past three decades have exposed as scams: that the interests of global corporations are more or less in line with those of a majority of individual voters and the working class; that markets are best served by federal accommodation of corporate interests.

»But the odds are, it won't be that big moment. I'm not a cynic, but there's something extraordinarily resilient about Americans' collective indifference to holding people and organizations accountable. We're the “let’s move on” nation. Current American politics, with its lobbying nexus and regulatory capture problems, has been extraordinarily resistant to fallout from big events that should alter the way people, and thus politicians, think and behave about economic issues.

»So, we’ll have to wait and see. But as long as BP keeps on doing what it’s doing, the odds of such a realignment of public opinion will continue to rise.»

Notre commentaire

@PAYANT McQuaid dit une évidence qui est fort peu relevée, qui concerne l’absurdité de la politique de relations publiques de BP (et de l’administration pendant tout un temps, qui a suivi BP dans cette voie). Le désastre est trop important pour être dissimulé par de telles actions, le virtualisme du système de la communication ne fait simplement pas le poids, d’autant que ce même système de la communication alimente également son contraire, avec la formidable publicité faite au désastre… «The story is simply too big – geographically, environmentally, and historically – for it to have any appreciable effect other than to make BP look bad.»

A côté de la marée de commentaires, de récriminations, de fureurs, d’appréciations catastrophées, désolées, tragiques, il est vrai que peu de choses changent dans la réflexion sur l’essentiel. Personne ne met en cause le fondement du système dont le fonctionnement conduit à cette catastrophe parce qu’il ne peut en être autrement, comme il a conduit à celles qui ont précédé, dans tous les domaines, et à celles qui suivront, de plus en plus nombreuses et dramatiques à mesure que la marche du système se heurte aux obstacles insurmontables de la destruction de l’univers. («[…B]ut there's something extraordinarily resilient about Americans' collective indifference to holding people and organizations accountable. We're the “let’s move on” nation. Current American politics, with its lobbying nexus and regulatory capture problems, has been extraordinarily resistant to fallout from big events that should alter the way people, and thus politicians, think and behave about economic issues.»)

Les remarques de McQuaid sur les tares évidentes et fatales du système sont absolument convaincantes, les explications fondamentales le sont moins. En fait d’explications, McQuaid énumère les moyens et les processus qui font que l’Amérique singulièrement, mais aussi bien d’autres entités infectés par la même modernité dans sa folie postmoderne (puisqu’effectivement l’américanisme n’est rien d’autre que le faux nez de la “modernité dans sa folie postmoderne”), s’avèrent incapables de tirer la seule leçon possible des événements en cours. De fait, l’attitude de BP, de l’administration Obama et de la population des USA sont similaires. Le débat que soulève McQuaid est celui de savoir qui est responsable du désastre d’une part, avec l’évidence en apparence incompréhensible de la façon dont la population US ne réagit pas en demandant qu’on mette en cause d’une façon directe et concrète les responsabilités des uns et des autres («…holding people and organizations accountable»).

En réalité, on pourrait estimer paradoxalement que les reproches de McQuaid sont infondés. Ce qu’il décrit, c’est un système complet, comme il dit “a let’s move on nation” et, dans ce cas, ce système correspond effectivement à l’état d’esprit ainsi décrit. La question de la responsabilité n’est pas primordiale et, d’ailleurs, contrairement à ce qu’il prévoit, cette responsabilité sera certainement établie et répartie dans bien des sens, avec des dégâts considérables pout les coupables, par les myriades de procès, d’avocats, de plaidoiries, etc., qui vont entourer la tempête juridique qui va désormais accompagner le sort de BP. La question centrale est plutôt de déterminer pourquoi ces catastrophes surviennent, d’autant que la réponse apparaît évidemment dans l’organisation du système dont la population fait elle-même partie, et un système qui s’appuie sur le dogme du Progrès auquel les USA sont totalement acquis (“a let’s move on nation”), – justement, un dogme qui n’est pas remis en cause. Dans le cas tel qu’il est exposé, l’accident reste effectivement un accident et nullement une fatalité systémique et on peut alors effectivement considérer que l’affaire BP est un accident qui ne remet pas en cause le système, – et alors, la passivité de la population US est compréhensible.

Pourtant, non, l’affaire BP débouche sur une catastrophe gigantesque dont certains commencent à penser qu’elle pourrait devenir non seulement la plus grande catastrophe écologique de tous les temps, mais un événement aux conséquences eschatologiques. (Voir, par erxemple, le texte que nous recommande notre lecteur “Frank du Faubourg”.) Là est bien sûr le nœud de cette affaire : ce qui ne serait qu’un “incident”, l’affaire BP dont on comprend qu’elle ne déclenche pas une une attaque décisive contre BP dans la population, s’avère également, si l’on pousse l’analyse, un risque eschatologique fondamental capable de secouer la civilisation. Dans ce cas, le problème n’est plus de déterminer les responsabilités et de pénaliser ceux qui en sont reconnus coupables, mais simplement de s’interroger de façon urgente et radicale sur le système dans son absolue globalité, qui conduit à ce que des incidents qui devraient rester limités nous projettent vers des perspectives eschatologiques. Tant que de telles réflexions ne seront pas devenues le courant de la réflexion générale, rien ne sera fait et la critique de McQuaid restera parcellaire, voire injustifiée.

«So, we’ll have to wait and see», termine McQuaid, mais parlant toujours de BP… Mais certainement pas, il ne s’agit pas de BP. Ce que nous devons “attendre et voir”, c’est bel et bien quand se fera la réalisation déchirante et révolutionnaire de la fatalité de la destruction catastrophique de la civilisation et de l’univers qui l’abrite, qui est au cœur même de ce système.


Mis en ligne le 14 juin 2010 à 06H38