La responsabilité de Poutine, selon Paul Craig Roberts

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 6 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1534

La responsabilité de Poutine, selon Paul Craig Roberts

Le plus récent texte de Paul Craig Roberts (PCG) est sur Strategic-Culture.org, le 6 août 2014. Il constitue une attaque assez ferme contre la politique du président Poutine, qu’il juge beaucoup trop accommodante vis-à-vis du bloc BAO, et surtout vis-à-vis de l’Europe, après les sanctions prises par l’UE. PCG, qui tient une ligne très dure selon son habitude polémique, juge que Poutine doit réagir avec une extrême fermeté en frappant tout de suite là où cela fait mal et en provoquant des effets économiques maximaux, de façon à plonger l’économie européenne dans le chaos. A cette seule condition, estime PCG, les Européens devront réagir dans un sens qui les détachera da la ligne imposée par les USA, ce qui représente la possibilité majeure d’éviter ce conflit que veulent les USA selon PCG, et dont lui-même annonce qu’il débouchera nécessairement sur un échange nucléaire stratégique.

«More evidence, about which I hope to write at length, is piling up that Europe has acquiesced to Washington’s drive to war with Russia, a war that is likely to be the final war for humanity. By Russia’s low key and unthreatening response to Washington’s aggression, thereby giving the West the mistaken signal that Russia is weak and fearful, the Russian government has encouraged Washington’s drive to war. [...]

«Russia needs to save the world from war, but the avoidance of war requires Russia to make the costs clear to Europeans. Faced with economic sanctions, essentially illegal and warlike actions, applied to various Russian individuals and businesses by Washington and Washington’s EU puppets and by Switzerland, a country taught to be more fearful of Washington than of Moscow, Russian President Putin has asked the Russian government to come up with countermeasures to be implemented in response to the gratuitous sanctions imposed against Russia.

»But, Putin says, Russia must hold back: “Obviously we need to do it cautiously in order to support domestic manufacturers, but not hurt consumers.” In other words, Putin wants to impose sanctions that are not really sanctions, but something that looks like tit for tat.

»The amazing thing about Russia finding herself on the defensive about sanctions is that Russia, not Washington or the impotent EU, holds all the cards. Putin can bring down the economies of Europe and throw all of Europe into political and economic chaos simply by turning off the energy supply. Putin would not have to turn off the energy supply for very long before Europe tells Washington good-bye and comes to terms with Russia. The longer Putin waits, the longer Europe has to prepare against Russia’s best weapon that can be used to peacefully resolve the conflict that Washington has orchestrated. [...]

»That is precisely the position that Vladimir Putin is in with regard to Europe. In one hand he holds the ruin of Europe. In the other peace and freedom in the relations between Russia and Europe. He needs to call up the dumbshit European “leaders” and tell them.

»If Putin does not put his foot down hard and make clear to the Europeans what the stakes are, Washington will succeed in its determination to drive the world to war, and “exceptional and indispensable” Americans will die along with all the rest.»

Comme on l’a dit, c’est un raisonnement que Roberts a déjà tenu, mais il est désormais plus pressant et aussi plus précis puisque nous sommes entrés dans la phase active des sanctions, ou éventuellement sanctions contre sanctions puisque la Russie a décidé d’y répondre. C’est le rythme et l’intentionnalité de la réponse russe que Roberts déplore très fortement. Sa thèse est qu’il faut un choc majeur chez les Européens, pour qu’ils se décident à abandonner la ligne maximaliste derrière les USA, et qu’ils en arrivent à une rupture de facto avec les USA qui, seule, peut freiner la politique belliciste américaniste. Ce raisonnement extrême de Roberts est conduit par la conviction qu’il a que tout conflit majeur avec les Russie, donc impliquant les USA, ne peut que déboucher sur un échange nucléaire stratégique impliquant la catastrophe générale qu’on sait.

Le jugement de Roberts n’est pas infondé dans le sens où Poutine se montre modéré, et même extrêmement modéré dans son actuelle politique. Cela peut effectivement apparaître comme de la faiblesse aux yeux du bloc BAO et constituer un encouragement à poursuivre sa politique agressive actuelle. La question opérationnelle posée par cette situation est de savoir si cette politique est fondamentale, c’est-à-dire liée à une réelle faiblesse, ou bien si elle est tactique, visant à obtenir certains buts d’une manière détournée ; pour ce dernier cas se pose la sous-question de savoir, si tactique il y a, si elle est et sera efficace, ou si elle est et sera un échec. A cette lumière qui ne nous apporte aucune certitude et qui par conséquent nous laisse dans une situation instable où une alternative peut être recherchée, on peut faire plusieurs remarques pour évaluer en quoi les propositions de Paul Craig Roberts doivent être considérées.

• Roberts propose une sorte de “stratégie du choc” (qui vaut pour le domaine des sanctions, mais qui pourrait être également considérée pour d’autres aspects de la situation). L’idée a du sens, concernant les relations avec l’Europe de l’UE. Il a été amplement démontré ces derniers mois, et en dernier lieu avec l’Allemagne, que les pays de l’UE sont trop faibles, trop impuissants, trop dépendants des USA (dans le sens de l’influence, des moyens de pression voire de la fascination), avec en plus une bureaucratie de l’UE suivant sa propre pente bureaucratique maximaliste, pour modifier volontairement et d’une façon rationnellement efficace leur politique. (On parle ici d’une décision réfléchie, au constat mesuré des désavantages que leur apporte leur politique de sanctions vis-à-vis de la Russie.) Dans ce cas, un “choc” dramatique avec un effet spectaculaire et mobilisateur, amplifié par le système de la communication, dramatisé par des pressions US trop visibles et devenues inacceptables, pourrait effectivement avoir des effets tels qu’on pourrait aller jusqu’à une rupture qui se ferait d’abord sous la forme d’une dégradation très rapide de la situation économique en Europe.

• Cette “stratégie de choc” a d’autant plus de sens que la direction russe se trouve dans une situation intérieure exceptionnelle (voir ce même 7 août 2014). Dans ce cas, à la “stratégie de choc” devrait s’ajouter une mobilisation générale de la population correspondant à la situation exceptionnelle ainsi créée. Cela serait d’autant plus évident qu’une telle mobilisation conduirait la population à accepter aisément des sacrifices imposés par les sanctions du bloc BAO, et ferait disparaître un des arguments de Roberts, – qui nous paraît tout de même douteux, selon la psychologie et la situation culturelle de la Russie, – savoir l’addiction des Russes à certains aspects de notre “contre-civilisation” occidentale... («It appears that the Russians’ greatest weakness is that capitalism has raised enough Russians to a comfortable living standard that the war that Washington is bringing to them is scary, and they want to avoid it in order to continue living like decadent Western Europeans.»)

• Mais surtout selon nous, cette “stratégie de choc” a, par-dessus tout, l’avantage de susciter une situation générale qui fait passer la crise, d’une façon claire et indubitable, au niveau de l’affrontement Système-antiSystème, avec la très forte possibilité que le choc en question devienne autre chose qu’une situation économique brusquement dégradée en Europe, qu’il devienne un choc global, le choc engendrant une activation paroxystique et catastrophique de la crise d’effondrement du Système. (Il faut d’ailleurs noter que l’on retrouve, là aussi, une certaine ambiguïté de Poutine et de la Russie, dont nous avons toujours dit qu’ils occupaient, d’ailleurs avec les pays du BRICS, une position intermédiaire, – un pied dans le Système, un pied en-dehors du Système ; d’une certaine façon et même d’une façon certaine un tel choc toucherait aussi la Russie puisqu’il serait global...) Ce serait une immense vertu de cette crise ukrainienne dans tous ses effets si elle parvenait à faire basculer la Russie complètement dans l’activisme antiSystème en provoquant un choc qui conduirait lui-même au paroxysme de la crise générale du Système. De ce point de vue-là, mais peut-être par des voies différentes et selon un dessein plus radical encore, nous avons la même logique que Paul Craig Roberts selon laquelle un tel “choc” serait le seul moyen d’éviter une dégénérescence de la crise pouvant aboutir finalement à un conflit nucléaire... (Voir, dès le 3 mars 2014, notre développement, depuis largement rappelé, de l’idée d’un “formidable choc psychologique” évalué dans ses effets comme détonateur de la phase ultime de la crise d’effondrement du Système ; le “formidable choc psychologique” envisagé était alors la perspective soudain réalisée de la possibilité d’un conflit nucléaire, – et cela reste possible, – et il peut également être causé par une réaction radicale de la Russie.)

Quoi qu’il en soit, il nous apparaît clairement que le fondement de l’argument général de PCR, quoi qu’on pense des éléments qui le composent, est acceptable au regard des événements en cours, pour offrir une prospective à terme nécessairement court. Il s’appuie en fait sur la logique plus vaste et qui paraît indissociablement liée au fonctionnement surpuissance-autodestruction du Système, de la montée aux extrêmes. Le bloc BAO étant entraîné par diverses forces qui renvoient à la surpuissance du Système dans la montée aux extrêmes tant de la politique des sanctions que de la puissance de la politique de la communication qui l’accompagne, la Russie ne peut et/ou ne pourra, à moins de capituler dans des conditions catastrophiques qui semblent exclues, qu’effectuer elle-même une montée aux extrêmes pour maintenir l’équilibre et se maintenir elle-même. Cette montée aux extrêmes des deux “partenaires” recèle effectivement le paroxysme catastrophique de la crise du Système. Ce ne serait donc plus une question de “si” mais une question de “quand”, – et peut-être le plus vite serait-il le mieux, du point de vue de la Russie, alors que les conditions de mobilisation psychologiques de la population pour affronter la crise sont réalisées.


Mis en ligne le 7 août 2014 à 08H39