La revanche des special relationships bafouées

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Les USA, – pardon, l’OTAN peut-elle gagner en Afghanistan? Grave question pour le général McChrystal, de l'U.S. Army et commandant de la “coalition” occidentaliste et tout de même largement américaniste qui mène en Afghanistan une guerre étrange, parce que difficile à expliquer quant à ses fondements et ses divers attendus. Le Times de Londres nous apprend aujourd’hui que le général McChrystal a engagé secrètement un conseiller spécial et éminent à la fois : Winston Churchill.

Ce 30 mars 2010, le Times nous explique que McChrystal passe beaucoup de temps à lire Churchill, qui écrivit beaucoup sur les aventures britanniques, au XIXème siècle, en Afghanistan. «McChrystal is said to listen to the writings of Churchill on his iPod during his daily eight-mile jog. A recent visitor to Nato headquarters in Kabul found the American general immersed in Churchill’s first book, his account of the struggle to pacify the tribes of the North West Frontier at the end of the 19th century.»

Les Britanniques, remplies d’amertume à l’annonce de la mort des special relationships, trouveront peut-être dans ce fait le goût d’une secrète revanche. Voici quelques mots du Times

«Barack Obama, fresh from his first presidential visit to Afghanistan, is no admirer of Britain’s colonial past, and his own writings echo with anger at the iniquities of imperialism. Yet Britain’s last great imperial leader offered an extraordinary insight into the nature of warfare in the region, Islamic fundamentalism and the history and character of Afghan tribal society.

»In 1897, at the age of 23, Churchill was attached as a soldier-journalist to the Malakand Field Force, the British expedition under the splendidly named Sir Bindon Blood, dispatched to put down the rebellious Pathan tribesmen of the North West Frontier, on what is now the Afghan-Pakistan border.

»Churchill described his impressions of this land “where every man is a soldier” in a series of vivid newspaper reports, which were incorporated into The Story of the Malakand Field Force, published a year later. Churchill’s time among the border tribes was also recalled in his autobiography, My Early Life.

»The Young Winston was only on the North West Frontier for a few weeks, but like most journalists he swiftly considered himself an expert on the Afghans in general, and the Pathans in particular. His prose is typically rich and colourful, his generalisations lofty and patronising. He shared the peculiar British reverence for the Pathans as a noble warrior race: “the ferocity of the Zulu are added to the craft of the Redskin and the marksmanship of the Boer”. He never set foot in Afghanistan itself.

»Yet Churchill was a natural historian, and for all their imperial arrogance, his words carry unmistakable relevance to Afghanistan today. “Tribe wars with tribe. Every man’s hand is against the other and all are against the stranger ... the state of continual tumult has produced a habit of mind which holds life cheap and embarks on war with careless levity.”»

Notre commentaire

@PAYANT Le texte est d’un certain intérêt pour nous faire comprendre comment l’OTAN, et les USA plus encore, n’ont aucune chance de l’emporter. Un lecteur du Times commente d’ailleurs: «Well the Brits had to leave finally too, but it was some effort to get them out. I think NATO will be easier to expel.»

C’est une habitude notable des conquérants américanistes, notamment depuis le 11 septembre 2001, de partir à la conquête du monde avec l’assurance et les certitudes qu’on leur connaît, et d’ensuite se tourner vers l’un ou l’autre travail, historique ou artistique, concernant les campagnes ou guerres européennes du passé dans les terres extérieures, pour y trouver la recette du succès. Du temps de l'Irak, le film de Gillo Pontecorvo, La bataille d’Alger, avait fort bonne presse chez les colonels et les généraux de l’U.S. Army (y compris Petraeus), ainsi que les écrits de certains spécialistes français de la guerre d’Algérie, tel le colonel Roger Trinquier. On ne peut dire que le résultat ait été particulièrement convaincant, malgré les talents d’experts en relations publiques du général Petraeus, réussissant à faire prendre cette pénible campagne pour une “victoire” des forces démocratiques et américanistes.

C’est en général une démarche louable, cette référence au passé. La question qu’on doit se poser est de savoir dans quel esprit elle se fait et avec psychologie on l’aborde. On sait la psychologie américaniste fort peu douée pour comprendre les autres psychologies et s’y adapter, surtout celles de peuples et de communautés échappant complètement au système de l’américanisme. La réaction US est d’imposer de force le système de l’américanisme puis, devant l’échec inévitable, les destructions épouvantables causées, les haines et la résistance ainsi suscitées, tenter de trouver des arrangements de bouts de ficelle, avec les moyens dont dispose le système, – en général, le dollar, le dollar et le dollar, comme cela fut fait par Petraeus en Irak en 2007. C’est également la voie qu’empruntent plus ou moins les forces US en Afghanistan, avec moins d’effets qu’en Irak parce que le pays est beaucoup plus compliqué, tant psychologiquement, sociologiquement que géographiquement.

Le texte du Times rapporte que Churchill avait conclu ses études de l’Afghanistan face à ses conquérants européens par l’observation que ces conquérants n’avaient que trois options: imposer la loi de fer par la force des canons, partir en laissant les “tribus” (mot de Churchill) dont est fait le pays à leurs affrontements sans fin ou bien agir au travers de ce système tribal, en recherchant les soutiens de l’une ou l’autre “tribu”, en s’acoquinant avec l’une contre l’autre, etc. McChrystal a expliqué à Robert Kaplan, du magazine The Atlantic, que “le troisième choix, – celui de Churchill, – est vraiment le seul que nous ayons”.

On dira que cette remarque de McChrystal n’est pas vraiment étonnante puisque, par ailleurs, officiellement, il n’est pas question de partir, et que la tactique de l’écrasement par les bombes et les systèmes d’arme “intelligents” a prouvé ses dernières années tout ce qu’elle pouvait avoir de vertus humanitaires et constructives, et de résultats catastrophiques par conséquent. (Il n’est d’ailleurs peut-être pas utile de lire Churchill pour découvrir tout cela, même si la lecture de Churchill reste évidemment précieuse, non?) Autre chose, bien entendu, est d’appliquer la recette, si seulement on en a bien compris le sens et le fonctionnement. Dans tous les cas, cela nous conduit d’une façon encore plus décisive aux habituelles observations concernant cette guerre en Afghanistan et tout ce qui va avec.

In illo tempore, nous y étions partis pour punir les méchants terroristes d’Al Qaïda et, très vite, pour extirper l’obscurantisme de cette contrée éloignée, pour lui offrir le cadeau somptueux de la démocratie occidentaliste et américaniste. C’était bien la pensée extatique du “parti des salonards” qui règne sur notre système, qui applaudissait, notamment depuis la rive Gauche de la Seine, à chaque sortie de B-52 déversant ses tombereaux de bombes. Force est de reconnaître que McChrystal, malgré le changement de “tactique” qu’il préconise, recommande de conserver le système obscurantiste en l’état et de tenter d’en tirer profit, si possible, pour la gloire des armes occidentalistes. Il n’est plus guère question de le modifier pour lui donner ces bonnes couleurs démocratiques qui apaisent nos consciences. En langage élyséen (Sarko), cela s’appelle “défendre la liberté”. Ensuite, basta, et l’on s’en va.

Cette sorte de détails (McChrystal lisant Churchill), suivant d’autres du même genre, ne sert qu’à nous conforter dans notre appréciation que le système américaniste, en Afghanistan, ne sait pas pourquoi il s’y trouve, ne sait pas pourquoi il fait cette guerre, ne sait pas comment faire cette guerre, ne sait pas à quoi mène cette guerre, et même, certes, si ce système américaniste parvenait à fabriquer un machin qu’on pourrait nous fourguer au JT de 20H00 sous le nom d’emballage de “victoire”, ne saurait quoi faire de cette “victoire”. Il fait la guerre en Afghanistan parce qu’il fait la guerre en Afghanistan, point final. Churchill éprouvait une étrange fascination pour les Américains, jusqu’à se soumettre à eux d’une façon complètement irrationnelle, mais il était en même temps et aussi souvent agacé par eux, par leur autisme psychologique et leur certitude inaltérable face au reste du monde, conduisant à tant de maladresses et d’erreurs en plus des entreprises de destruction et d’oppression. Il n’est pas impossible qu’à contempler l’Afghanistan aujourd’hui, et McChrystal plongé dans ses œuvres complètes, Churchill choisisse de glousser d’aise plutôt que se retourner dans sa tombe.


Mis en ligne le 30 mars 2010 à 08H55