Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
853Réécriture d’une analyse formulée il y a quelques années et qui avait été laissée en plan. La révolution spirituelle se présente telle une amorce afin de mener à bien un projet d’essai portant sur l’aliénation de la modernité. Le consommateur, c’est le citoyen réifié au gré du procès de la consommation, véritable mode de vie. Dans un contexte où le marketing s’est approprié l’appareil « théologique », les podiums ont remplacé les autels cultuels de nos ancêtres. L’activité « économique » ne consistant pas à améliorer la « qualité de vie » des consommateurs, elle s’apparente, plutôt, à une forme de rituel de masse. Le crédit représente le modus operandi de cette machination faustienne. Seuls, le don et la charité offrent au néo-citoyen la possibilité d’un dépassement de sa condition d’esclave de la matière et, a fortiori, d’une véritable rédemption.
____________________
Il y a toute une controverse autour d’une phrase que le grand écrivain André Malraux n’aurait jamais prononcée. «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas». Certains remplaceront le terme religieux par spirituel afin d’adoucir une exhortation qui, certes, ne cadre pas avec les canons de la rectitude politique actuelle. Il faut dire que certains persistent à défendre le concept d’un pouvoir de l’esprit préfigurant toute action sur la matière. «Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.», précise Saint-Jean l’évangéliste.
Voici venu le temps de réhabiliter le rôle de la spiritualité sur la place publique. Alors qu’un communautarisme britannique fait parader des avatars de symboles religieux, l’esprit républicain – à contrario – propose d’interdire ce genre de manifestations à l’intérieur d’une agora qui serait désormais laïque, de façon imperméable et sans appel. Encore des dichotomies qui font l’affaire de la désinformation et de la manipulation au bénéfice des puissances d’argent.
Le terme «politique», prend sa source dans expression grecque de «polis», qui signifie ville. Et, in extenso, la politique correspondrait à «l’art de gérer les rapports citoyens à l’intérieur de la cité». Nul besoin de lancer un débat étymologique, et même herméneutique, alors que l’évangéliste Mathieu fait la distinction entre la «polis» - ville natale – et la «polis» - Jérusalem céleste. Tout est dit, d’entrée de jeu. Nous sommes au cœur du propos, entre le temporel et le spirituel, à notre époque où certains théocrates fanatiques s’opposent avec fracas aux censeurs d’une laïcité des lumières. Un autre débat vain, sous faux drapeaux, où les enjeux sont décalés au point que le simple quidam en perde … le peu de latin qu’il lui restait !
À l’époque de la cité hellène, le temple est la demeure des dieux et on le met en valeur sur sa propre cité – Acropolis – dominant en perspective la ville des mortels. De nos jours, c’est le «Stock exchange» qui a remplacé le temple grec. La médiation ne s’effectue plus entre les mortels et les dieux, mais bien entre les forces de production (le fruit du travail) et le grand capital financier (la spéculation sur la valeur ajoutée). La médiation se joue sur la valeur marchande des échanges, non plus une verticalité ontologique.
Les politiques tiennent la place des membres d’une agora qui aura été transformée en parlements et autres «chambres des représentants». La doxa (propagande officielle) du pouvoir porte sur la prospérité économique et c’est une ontologie de la consommation que l’on utilise afin de pervertir jusqu’aux désirs les plus intimes de l’humanité. Les prêtres de la haute-finance ne sont plus des «médecins de l’âme», ce sont des apprenti-sorciers qui spéculent sur l’antimatière, soit la monnaie scripturale et ses nombreux avatars en nous promettant un rendement qui fera en sorte de transformer le plomb (le fruit du labeur des serfs) en or (une plus-values obtenues au moyen de la spéculation).
Les rituels des nouveaux prêtres du matérialisme financier requièrent toujours des victimes sacrificielles. Mais, alors que les religions du Livre auront remplacé les humains par des animaux et, finalement, par des offrandes symboliques, la caste financière égorge le prolétariat et le fruit de son labeur sur l’autel de la Bourse. En fait, c’est le Capital qui se suicide en emportant dans son naufrage la masse des consommateurs indifférenciés. Les consommateurs ayant remplacé les croyants, nos élites les ont lobotomisés au moyen d’une doxa prêchant le progrès économique comme unique source de salut vers la libération de l’être. La modernité aura, pratiquement, réussi à expurger l’idée d’un salut de l’âme pour la remplacer par celle – faussement libératrice – de salvation du corps. La religion du matérialisme était née.
Les nouveaux grands prêtres de la religion matérialiste – Lady Gaga et consorts – prêchent le chacun-pour-soi, l’obscénité ou le meurtre rituel comme éléments d’une liturgie qui ne cache même plus ses accointances. Derrière le nihilisme de ce matérialisme nauséeux, se profile enfin la silhouette du mal qui triomphe en toute impunité.
Et, au service des œuvres de cette nouvelle religion, une armée de conscrits «new age» s’active aux quatre coins du monde afin de propager la bonne nouvelle. Les activistes ont remplacé les missionnaires afin d’aller porter la bonne nouvelle auprès des peuples qui résistent encore … au totalitarisme des marchés financiers. Les «droits de l’homme» ont remplacé la célèbre exhortation «tu aimeras ton prochain comme toi-même». Et, fort curieusement, les nouveaux apôtres au service de cette doxa sont des individualistes forcenés qui profitent des forums de discussion sur les médias sociaux, s’investissent dans des ONG ou occupent les premières places au sein d’une société civile à qui ont fait miroiter l’illusion d’une «démocratie participative».
L’instrumentalisation, dans un tel contexte, est donc de première nécessité. Il s’agit de porter aux nues le Petit Djihad (guerre contre les infidèles) au détriment du Grand Djihad (lutte contre le mal à l’intérieur de soi) chez les Musulmans. Dans le même ordre d’idée, les franges évangélistes du mouvement néoconservateur (NeoCon) prêcheront une croisade sans pitié contre «les forces du mal», en jetant aux orties les exhortations du Christ à se faire violence (lutte contre le mal à l’intérieur de soi). Il ne s’agit plus de se transformer au gré d’une pratique qui inclurait une socratique (se connaître soi-même) salutaire. Non, c’est l’autre qui incarne le mal qu’il convient de combattre en oubliant de faire le ménage dans son propre jardin. C’est l’altérité (la différence au sein du genre humain) qui est battu en brèche pas cette théologie de l’égoïsme et du pharisaïsme.
À une époque où les signes religieux, dits ostentatoires, sont en voie d’être interdits sur la place publique, les amulettes et autres symboles de rituels magiques réhabilités sont tolérés comme autant d’expression d’une spiritualité «nouvel âge» libératrice et non politisée. Le subterfuge est fin, raffiné presque. L’horoscope, les divinations, les offrandes et, dans certains rituels, les sacrifices de bêtes ou d’humains sont remis au goût du jour. En fait, c’est tout l’arbitraire de certains anciens rituels qui reprend sa place. Rituels inscrit dans une magie (en lien avec la religion matérialiste) comme rapport de médiation entre l’ici et l’au-delà. Une cosmogonie laissant à l’être humain bien peu de place en définitive (en lien avec certains délires environnementalistes qui perçoivent l’humain comme une tare).
Loin de moi l’idée de faire le procès de certains cultes ou de tomber dans un esprit de complot d’essence eschatologique. Mais, cette authentique révolution spirituelle, appelée à grand cris par nombre de nos contemporains, ne se manifeste pas à travers l’étalage grotesque de l’horoscope à longueur de pages dans nos quotidiens gratuits. Cette spiritualité qui se fait désirer – dont les trois religions du Livre présagent l’éclosion – se fonde sur une intériorité salvatrice, dans un contexte où l’autre n’est plus un obstacle à notre libération.
L’amour – terme galvaudé à dessein par Hollywood – représente le concept opératoire de cette spiritualité d’un monde qui ne serait plus prisonnier de la matérialité antédiluvienne, si l’on peut dire. Merveilleuse maïeutique (connaissance par l’intérieur de l’être) libératrice, l’amour remplace le sacrifice aux idoles (la haute finance et les «stars» du showbiz) par la rencontre véritable de l’INTIME avec l’ALTÉRITÉ. Sartre, grand prêtre du nihilisme par excellence, avait tort quand il professait que «l’Enfer, c’est les autres». Puisque c’est par le don de soi que l’on parvient, finalement, à transformer le plomb en or. C’est de cette authentique et juste alchimie que nous avons grandement besoin. Et, il est minuit moins cinq.
L’alchimie du cœur, unique formule qui réconcilie les gnostiques avec les pères de l’Église et leurs disciples, c’est le don christique qui nous est offert à chaque «parcelle d’éternité» afin que l’on puisse sortir de notre enveloppe charnelle. Mais, si le monde des anges est enviable, notre humaine condition est comparable à une épreuve initiatique. Voilà pourquoi les «grands prêtres» de l’idéologie libertaire ont tout fait afin de démolir la notion de DISCIPLINE.
Merci à mon mentor, le grand philosophe et théologien Paul Ricœur à qui je dois TOUT. Un dossier à suivre en définitive …
Patrice-Hans Perrier
Forum — Charger les commentaires