La romance Maddow-Assange

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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La romance Maddow-Assange

26 mai 2019 – c’est l’épatante Caitlin Johnstone qui nous le fait remarquer dans un long article : Rachel Maddow défend Julian Assange ! Rappelez-vous, j’ai parlé des deux récemment, de Maddow le 5 mai, de Assange pas plus tard qu’hier. Lorsque j’ai parlé de la première, on ne pouvait imaginer une seconde qu’elle défendrait le second puisque le second est la victime destinée à être impitoyablement écrasée par les hommes que la première encensait… Sauf que, comme devrait avoir dit Holmes à Watson, nous vivons décidément des temps bien étrange, et Watson répondant : “Vous avez raison, mon cher Holmes”.

Donc, le 5 mai dans ce Journal.dde-crisison montrait Maddow s’enthousiasmant pour le duo Bolton-Pompeoparce que les deux pieds-nickelés se montraient plus durs pour partir en guerre et cogner que son patron qu’elle déteste, le très-incertain président Trump. Ainsi devriez-vous comprendre bien la situation : s’il est deux êtres qui veulent l’extradition d’Assange et son enfermement dans les tourments les plus affreux pour 170 ans et même plus, ce sont les deux pieds-nickelés que Maddow encensait. Voilà soudain qu’elle condamne les accusations (17 chefs d’accusation) lancés par le gouvernement US (Bolton-Pompeo en étendard) contre Assange, qui lui vaudraient (qui lui vaudront) au mieux 170 ans de prison ; par conséquent, elle condamne Bolton-Pompeo...

Voici un extrait de l’article de Johnstone, et vous jugerez de la véhémence de Maddow, de son emportement sans la moindre retenue, sans aucune réserve ni gêne que pourraient lui occasionner la comparaison entre sa position et ses précédentes prises de position. Elle est totalement sincère, – et d’ailleurs, dans un développement ultérieur cité par Johnstone, s’explique assez loyalement de ce revirement.

« Rachel Maddow a diffusé une séquence condamnant le nouvel acte d'accusationcontre Julian Assange pour 17 violations présumées de la loi sur l'espionnage.
» Oui, Rachel Maddow elle-même !
» L'animatrice principale de MSNBC a commencé son émissionaprès une introduction de Chris Hayes, s'accordant avec son collègue pour dire qu’il est surprenant de ne pas voir un plus grand nombre d'organes de presse couvrant davantage cette histoire[des accusations contre Assange]avec la minutie critique qu’elle requiert, vu son immense importance. Elle a récapitulé les diverses luttes d'Assange jusqu'à ce point, puis a décrit avec précision les accusations portées, en vertu de la nouvelle Loi sur l'espionnage, contre Assange pour la publication de documents secrets.
» “Et ces nouvelles accusations ne portent pas sur le vol d’informations classifiées ou la violation de systèmes informatiques afin d'obtenir illégalement des informations classifiées”, a déclaréMaddow. “Il ne s'agit pas de ça. Ces nouvelles accusations visent à poursuivre Assange pour avoir publié ce matériel secret volé qui a été obtenu par quelqu'un d'autre. Et c'est une charge complètement différente de celle dont il a été accusé au départ.”
» “En inculpant Assange pour la publication de ce que Manning a pris, en émettant ces accusations aujourd'hui, le ministère de la Justice vient de faire quelque chose que vous auriez pu croire impossible autrement ”, a ajoutéMaddow après avoir expliqué la nature sans précédent de cette affaire. “Le ministère de la Justice aujourd'hui, l'administration Trump aujourd’hui viennent de mettre toutes les institutions journalistiques de ce pays du côté de Julian Assange dans l’essentiel de notre métier. Ils les ont mis à son côté dans son combat. Je le sais, cela paraît inimaginable. Mais cela signifie que le gouvernement affirme son tout nouveau droit de poursuivre comme des criminels les gens qui publient des documents secrets, et les journaux, les magazines, les journalistes d'enquête et toutes sortes d'entités différentes qui publient constamment des documents secrets. Or, il s’agit bien de la poutre-maîtresse de notre métier…” »

Là-dessus, il faut aussitôt préciser qu’elle n’est pas la seule dans ce qui est incontestablement un tournant complet de son attitude vis-à-vis d’Assange, et même si tous assurent avec emphase, – et d’ailleurs avec justesse, – qu’il s’agit essentiellement, comme l’on dit, d’une question de principe, que cela ne remet pas en cause leur condamnation de l’action d’Assange qui est entrée chez tous ces gens dans le cadre du Russiagate et des innommables agissements de Poutine. (Peu nous importent les modalités, à nous, à moi antiSystème : m’importe cette seule chose qu’un principe les oblige à se mettre en position de dénoncer le Système.)

« Si l’icône de la pathologie libérale s’affirme avec tant de brio dans ce sens, les autres suivront. On les voit déjà à l’œuvre. En plus du soutien de Hayes, cette interprétation pro-Assange a été fortement soutenue par Ari Melber, du même réseau MSNBC, avec une critique sévère des nouveaux chefs d’inculpation de l'administration Trump. Plusieurs segments de CNN dénoncent les graves dangers du précédent juridique créé par l’ajout des nouveaux chefs d'accusation et l’on lit des avertissements urgents pressants sur ce sujet dans de grandes publications comme le New York Times, le Washington Post et le Guardian. Tous ceux-là qui ont dénigréAssange sans relâche se trouvent désormais dans le cas de devoir le défendre. »

Quel éclatant exercice de vérification du chaos psychologique dans le désordre de la dynamique politique qu’impose le Système dans toute sa surpuissance ! Le cas de Maddow, vraiment exemplaire, archétypique de notre temps… Il se trouve, je crois, que je n’ai jamais mis en doute sa sincérité complète, dans tous les cas, dans tous ses revirements qui ne faisaient après tout qu’épouser les sinuosités du parti qu’elle a adopté, selon où ce parti se tient par rapport au pouvoir effectif et direct, et par rapport au Système (même s’il partage la responsabilité de ce pouvoir puisque, s’agissant des démocrates il ne s’agit que d’une aile [la gauche] du “parti unique” qui dirige les USA) ; bien entendu aucun doute sur sa sincérité de ma part quand elle, Maddow, tapait sur GW Bush et sur l’aventure irakienne, du temps où je croyais découvrir une solide phalange de dissidence, notamment aux USA, qui irait de la droite à la gauche, du progressisme-sociétal (avant la lettre) au souverainisme (selon l’interprétation), sans chichi d’étiquettes et autres sornettes. C’était le temps béni des illusions

Rappelez-vous comme je la décrivais du temps d’alors :

« Aux “nouvelles”, dans les extraits des shows d’information, une fille me ravissait, une vraie fille-garçon, lesbienne avec une sorte de panache jubilatoire où l’on distinguait, – disons, où je croyais distinguer de l’ironie, de la dérision, en même temps qu’une ardeur roborative qui s’inscrivait dans son programme. C’était Rachel Maddow, de MSNBC ! Impitoyable critique de GW, de ses archers bellicistes et de ses folles aventures guerrières, antiguerre proclamée la Maddow, et sur quel ton, avec quelle insolence ! Je me disais qu’avec ce gabarit-là, l’Amérique-dissidente avait de beaux jours devant elle… »

On sait ce qu’il advint d’elle à partir de 2015-2016, la façon dont Trump la posséda complètement, c’est-à-dire indirectement par la haine aveuglante qu’il sut inspirer à ses adversaires dont elle-même, jusqu’à changer son esprit en une sorte de vision catastrophiste et affreusement belliciste, d’où il ressortait qu’il fallait faire dix Irak, cent Irak, mille Irak, parce que Trump disait ne plus vouloir en faire et que Obama-Hillary y étaient plutôt favorable ; cela, jusqu’à ces sordides applaudissements de Bolton-Pompeo, simplement parce que les deux bouffons s’opposent à Trump (dans le sens de plus de guerres encore), qui me conduisit à infliger à mon lecteur le texte que je viens de citer.La haine pour Trump semble d’une telle force qu’elle conduisit Maddow à embrasser les causes des guerres les plus infâmes. Pour conclure dans le texte de ce 5 mai, je terminai, assez férocement me semble-t-il à la lumière des feux d’aujourd’hui : 

« Pauvre Maddow... Elle qui paraissait si spirituelle, si libre, si joyeusement ricanante devant la bande de Bush avec ses gros-bras cogneurs de bombes ; et elle-même devenue la caricature d’elle-même, bénissant les bombes qu’on va larguer sur les Irakiens, les Syriens, les Afghans, les Libyens, sur les Palestiniens, sur les Vénézuéliens... Dieu est cruel, qui veut faire de l’hybris du sapiens, – car il s’agit bien d’hybris dans ce refus de revenir sur un jugement dicté par la passion de la haine partisane, – un sujet de ridicule qui, un jour ou l’autre, vous frappera en pleine face… »

Mais je me demande si j’ai la justice du jugement de mon côté, en ayant écrit tout cela. Après tout, elle était partisane, Maddow, et elle reste partisane je suis sûr ; elle est donc dans la logique de son parti-pris de partisane, qui est, avant même d’être démocrate, d’être du parti de la haine de Trump. Et dans ce cas, dans le cas d’Assange veux-je dire, c’est après tout le gouvernement Trump, donc Trump lui-même même s’il ne l’a pas voulu expressément (c’est à voir), qui a lancé ces dix-sept chefs d’accusation qui sont pure félonie. Du coup, la haine antiTrump se retrouve du parti qui s’oppose aux pressions et aux horreurs du Système, c’est-à-dire que la haine antiTrump se retrouve, étrange compagnon de route, du parti de l’antiSystème.

…Et là, bien entendu, position bien différente à mon sens que ne le voudraient les caciques mangés jusqu’à la moelle par la pourriture de la corruption, qui veulent la peau d’Assange, par délégation expresse et impérative du Système. La position d’une Maddow, ou des autres cités par Johnstone, toute cette presseSystème dont se délectent les démocrates et les progressistes-sociétaux des salons, ne fait en rien l’affaire des vieux sénateurs et députés démocrates type-Schumer et type-Pelosi parce que ces déchets-là se rendent bien compte que dans cette affaire une telle position va contre la volonté inébranlable du Système, volonté de vengeance, de cruauté… Mais qu’y peuvent-ils ces vieux débris, que peut-on y faire camarade-Système ! C’est bien ici, sur ce site, qu’on ne cesse de répéter que la surpuissance du Système conduit à l’autodestruction, que ses contradictions qui sont d’humeur autant que d’hybris des profondeurs ne cessent d’entraver sa marche jusqu’à susciter des positions et des ententes intenables, et que c’est bien ainsi, et c’est ainsi seulement que sa destruction, son effondrement peuvent être envisagés.

Maddow est donc rentrée, momentanément mais c’est toujours ça, dans le camp de l’antiSystème comme je l’entends, comme il faut qu’il soit ; idem pour les Washington Post, New York Times (une récidive très rapprochée, pour celui-ci), Guardian, CNN, etc. Toutes les crapules d’occasion sont pardonnées pour l’occasion, et bienvenues au club de l’antiSystème, même si c’est juste pour boire un verre.

Ce qu’il faut surtout retenir de l’épisode, après tout, c’est cette première chose que même les plus coupables parmi les traîtres, les zombies et les hystériques, ne le sont jamais tout à fait, et ils peuvent un jour redevenir d’utiles “compagnons de route”, pour tel ou tel bout de chemin. Et cette seconde chose, vérité absolument inébranlable de l’insondable stupidité du Système, aussi insondable que sa puissance, son dessein, et sa fascination pour l’autodestruction ; car il en faut, de la stupidité du Diable, pour imposer de ces cruelles vendettas ressortant du caprice qui finissent, à un moment ou l’autre, à faire pivoter une de ces pauvres créatures traitées comme marionnettes sans esprit, et qui soudain décide de retrouver un vernis de l’apparente vertu qu’elle prétend défendre, – et pour le coup, volens nolens, se retrouve antiSystème.

Mais le Diable, le Diable, – diable, on sait ce qu’il vaut, n’est-ce pas Mr. Guénon ? Car ainsi va notre devise : « On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature... »