La Royal Navy, annexe dévastée d’une U.S. Navy chancelante ?

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Alors que l’on débat de la “nouvelle stratégie” à Washington, particulièrement au Pentagone, il y a eu jeudi une visite à ce même Pentagone du secrétaire d’Etat britannique à la défense, Phillip Hammond. La visite est passée relativement inaperçue. Elle a pourtant enfanté d’un communiqué intéressant…

«Secretaries Panetta and Hammond signed a Statement of Intent on Carrier Cooperation and Maritime Power Projection that will serve as the framework for increased cooperation and interoperability on the use of aircraft carriers, as well as provide the basis for the U.S. to assist the UK Royal Navy in developing its next generation of aircraft carriers. This cooperation is a cutting-edge example of close allies working together in a time of fiscal austerity to deliver a capability needed to maintain our global military edge.»

Le site DoDBuzz.com a été l’un des rares à réagir à ce communiqué annonçant cette coopération renforcée USA-UK au niveau des porte-avions, le 6 janvier 2012. Le site prend cette annonce surtout d’un point de vue technique et dans la perspective de l’achat du F-35C (JSF) par les deux marines, avec toutes les inconnues attachées à cette perspective…

«In short, the Royal Navy hasn’t flown its own fast jets off its own carrier with catapults and arresting wires since 1979, aboard the old warhorse HMS Ark Royal. The three carriers it has had since then — the HMS Invincible, Illustrious and another Ark Royal — proved to be essential ships, but they were built with ski-jumps and designed for Harriers and helicopters only.

»So although the Royal Navy brass is excited about getting big ships and their own batch of F-35Cs … let’s just assume everything goes well and all today’s arrangements materialize as planned … British pilots and sailors will have a steep learning curve to be ready when the equipment is. Enter the Royal Navy’s onetime foe turned steadfast ally, the U.S. Navy.

»British and American pilots have served exchanged tours for years, but Thursday’s agreement could let the two navies take it to the next level. Royal Navy pilots could haunt U.S. Navy Hornet squadrons, trying to pick up as much as possible about cats and traps, and British sailors could spend a lot of time aboard U.S. carriers, watching American sailors handle the flight deck and also the loud, complicated gear belowdecks.

»Now all that needs to happen is for the F-35 program to procede exactly as planned; the world economic slump to dissipate and guarantee Britain’s ability to afford its two ships; the new carriers to arrive on time and ready for service; and Bob’s your uncle.»

..Pour notre part, nous avons une approche différente. Il nous semble au contraire que le moment compte beaucoup, y compris le moment stratégique pour les USA, c’est-à-dire un déclin accéléré de la puissance militaire des pays anglo-saxons devenu un fait avéré et qui menace d’échapper à tout contrôle. En ce sens, l’accord signé n’est pas essentiellement une mesure de plus, routinière si l’on veut, des special relationships où le Royaume-Uni continue à abandonner sa souveraineté au profit des USA, en tournant le dos une fois de plus à l’Europe (promesses de coopération avec les Français), – même si l’un des résultats de l’accord rencontre cette évolution. Cette fois, notre analyse est en effet que le Pentagone a vraiment besoin des Britanniques pour renforcer ses forces navales en déclin accéléré dans l’environnement budgétaire US. La dernière phrase du communiqué est, à notre sens, révélatrice de cette démarche («This cooperation is a cutting-edge example of close allies working together in a time of fiscal austerity to deliver a capability needed to maintain our global military edge.»), – signifiant que les USA ont vraiment besoin de l’appoint britannique pour leur schéma de supériorité navale globale. Cet aveu implicite que les forces US ne suffisent plus aux ambitions militaires US est extrêmement caractéristique de la situation, lorsqu’il est exprimé de cette manière. (On doit se rappeler le peu de cas qu’avait fait Rumsfeld, au début 2003, de l ‘appoint militaire britannique pour l’invasion de l’Irak, lorsque les Britanniques semblaient encore hésiter à y participer, affirmant simplement que la puissance US n’avait nul besoin de quelque renforcement que ce soit.)

Bien entendu, l’accord est aussi un moyen de verrouiller l’achat britannique de JSF, mais là on se trouve sur un terrain totalement inconnu puisque le sort du JSF est aussi incertain qu’on puisse l’imaginer, et le sort de la version navale (F-35C) au premier chef. Simplement, et dans l’occurrence du pire (pour le programme JSF), l’accord est l’indication que les Britanniques subiront des pressions quasiment irrésistibles pour acheter, à défaut du JSF, des F-18 Super Hornet, avion embarqué déjà éprouvé et d’une médiocrité opérationnelle bien connue, – cela, s’ils mènent à bien, les Britanniques, la construction de leurs deux porte-avions, – une autre inconnue...

Du côté britannique, l’accord signifie une fois de plus que la politique militaire britannique est désormais totalement plongée dans le chaos et ne survit plus que d’expédients. Les Britanniques espèrent sans doute que les USA feront la soudure au niveau budgétaire, pour l’acquisition des deux porte-avions, pour lesquels leur ministère de la défense n’a pas assez d’argent dans sa programmation. On peut toujours espérer… Inutile de dire qu’avec un tel accord, les perspectives d’entente franco-britannique au niveau de la composante aéronavale, avec l’éventuel achat de Rafale en cas d’abandon du JSF, sont complètement compromises.

Certes, on pourrait avancer que ce qui représente une amorce de “tournant” par rapport aux promesses de coopération franco-britannique est la conséquence du sentiment britannique d’avoir été exclu du cercle européen avec les arrangements franco-allemands de la crise financière. On pourrait à nouveau invoquer la constance de la perfidie d’Albion et sa complète soumission aux USA. Mais nous croyons que c’est faire beaucoup d’honneur, et à cet accord, et aux “politiques“ britannique et US, et à la situation stratégique en général, que justement d’en faire le résultat de plans et de manœuvres. Il s’agit plutôt d’un chaos général où les uns et les autres tentent de sauver quelques meubles, en général à l’aide de vieilles ficelles éparses et récupérées, – dans ce cas, les special relationships en sont une, rien de plus, et il ne nous paraît pas utile d’y voir une nouvelle embardée stratégique britannique. (D’ailleurs, du côté français, les certitudes de coopération d’il y a deux ou trois ans sont aujourd’hui elles-mêmes perdues dans l’océan des incertitudes de la crise générale.)


Mis en ligne le 7 janvier 2012 à 18H10