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4291• Les rencontres entre la Russie et les USA, l’OTAN, l’OSCE (disons, avec le bloc-BAO pour faire court) restent pour l’instant à être évaluées dans leurs résultats. • Selon l’habitude lorsqu’il s’agit des USA et de la Russie, il est vraiment très difficile d’être optimiste. • Au-dessus de tout, il y a un facteur de blocage implacable : la perception américaniste, dépendant d’une psychologie intraitable. • Inéluctablement, les Russes seront conduits à riposter parce que leurs exigences vitales ne seront pas rencontrées : ainsi se dessine l’avenir-court.
Les négociations entre la Russie et les USA, puis entre la Russie et l’OTAN (aujourd’hui), en attendant d’autres consultations demain au sommet de l’OSCE à Vienne, débouchent toutes sur les mêmes constats de la complexité semée d’impasses qui est la marque de conversations entre “partenaires” vivant dans des mondes différents, où les mêmes mots ont des significations différentes, où les masques dissimulent l’absence inévitable de volontés d’arrangement dans de telles conditions. C’est alors qu’on peut en déduire que l’attention doit se porter de plus en plus vers la question de savoir ce que va faire la Russie si rien de concret ne sort de ces conversations, par rapport aux exigences catégoriques des Russes.
Il y a, à cet égard, les analyses rationnelles d’une part, les constats de quelques faits et les projections intuitives que l’on en peut tirer d’autre part. On peut citer comme parfaitement représentatives de la première catégorie les déclarations faites à ‘Sputnik.News’ par Youri Rogoulev, directeur du Fonds Franklin Roosevelt consacré à l’étude des États-Unis auprès de l’université d’État de Moscou.
« Commentant le potentiel refus de l’Alliance atlantique de donner à la Russie des garanties de sécurité et le maintien de sa politique d’élargissement à l’est, par exemple avec l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan, Vladimir Poutine avait promis fin décembre une réponse “toute différente” de ce qui avait pu se faire auparavant.
» Selon Rogoulev, il pourrait s’agir de mesures ayant un impact sensible, que ce soit dans les secteurs économique, financier ou énergétique, susceptibles de nuire réellement aux économies américaine et européenne.
» Rogoulev rappelle que les États-Unis avaient avoué sentir les effets négatifs des sanctions mises en place par la Russie, étant désormais contraints d’aborder l’introduction de sanctions antirusses de manière plus scrupuleuse pour ne pas défavoriser l’économie américaine. “Quant à l’économie européenne, [les sanctions russes] la frapperont à 100%. Les Européens y réfléchiront à deux fois avant de soutenir d’éventuelles sanctions américaines contre la Russie”.
» Bien que Moscou tente de s’assurer que l’Ukraine et la Géorgie n’adhèrent pas à l’Otan, Youri Rogoulev souligne que rien n’est acté depuis 2008, lorsque Washington avait annoncé leurs adhésions potentielles. “Cela peut durer encore une vingtaine d’années”, précise-t-il, rappelant que malgré ce suspens, “diverses activités militaires se déroulent sur leurs territoires [de l’Ukraine et de la Géorgie], par exemple des manœuvres près des frontières russes ou des camps d’entraînement, l’implantation de bases ou de centres", ce à quoi la Russie s’oppose également.
» Mettant en avant le fait que l’absence d’accord sur les garanties de sécurité n’entraînera pas de riposte immédiate, il a estimé que “la réponse russe serait concrète en fonction de l’activité qui aura lieu sur les territoires de ces pays”. Et d’ajouter : “la Russie a ouvertement mis en garde”. »
Rogoulev présente là une vision extrêmement rationnelle du cas, et faites notamment pour réagir à l’éventuel refus occidental, pour ne pas perdre la face (celle de Poutine) tout en ménageant des possibilités d’arrangement dans l’avenir. Il s’agit d’une démarche qui reste extrêmement représentative des milieux pro-occidentaux des élites russes, pas loin de la faction des “atlantistes”, de cette faction qui reste attachée à la perspective de travailler dans le cadre de la globalisation, comme héritiers des “détentistes” (par référence à la “détente”), ceux-là qui espéraient une convergence et une fusion entre économies capitaliste et communiste dans les années 1960-1970.
Non seulement nous sommes subjectivement défavorables à ce schéma, mais surtout nous le jugeons objectivement complètement irréaliste. Ce n’est pas dire que Poutine voudra suivre ou ne pas suivre ce schéma, c’est dire qu’il ne pourra pas le suivre en fonction des pressions qui vont peser sur lui (surtout des factions “dures” de la direction, voire de sa popularité) et, évidemment et essentiellement, du comportement du bloc-BAO (de l’OTAN, USA en tête comme nul n’edst autorisé à en douter).
D’un point de vue très concret de réalisme politique, Poutine est au premier chef lié à ses promesses de riposte en cas d’échec des négociations, et notamment de la forme de ces ripostes, dans un contexte désormais “officiellement” dégradé :
• Hier, après la réunion de la Russie avec l’OTAN, le chef de la délégation russe a exprimé devant les journalistes une perception extrêmement pessimiste :
« Le bloc militaire de l’OTAN dirigé par les États-Unis est revenu à la stratégie d’“endiguement” de la guerre froide à l’égard de la Russie et cherche à “dominer tout le spectre des forces”, a déclaré mercredi à la presse le vice-ministre des Affaires étrangères de Moscou, Alexander Grouchko.
» Le diplomate a ajouté que Moscou estime que le comportement de l'OTAN crée une menace “inacceptable” pour la Russie qu'elle devra contrer.
» Grouchko a également affirmé que le bloc est responsable de la fin de toute coopération avec la Russie sur des questions clés de sécurité commune telles que la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et la piraterie. Il a critiqué les États-Unis pour l’“effondrement” des accords de contrôle des armements, évoquant la sortie de Washington des traités INF et Ciel ouvert et le fait qu’ils traînent les pieds pour renforcer et étendre le traité START. »
• Dans le cas (qui semble bien être effectif) d’échec et de rejet des exigences russes, Poutine a promis des ripostes qui seront notamment, sinon principalement de type “technico-militaire”. Ce n’est pas le cas de mesures économiques (sanctions).
• Poutine a expliqué que les ripostes seraient des surprises, des initiatives “inattendues” et très rapides, dont on comprend qu’elles ont pour but de prendre l’adversaire par surprise et de préempter ses réactions. On les classerait dans le domaine de la “guerre hybride”, dont à notre sens les sanctions, – méthodes vieilles comme le monde, – ne peuvent pas former l’ossature. Les Russes sont particulièrement friands du concept de “guerre hybride”.
A partir de cette situation générale, nous sommes conduits à observer que la modification des “relations” entre la Russie et le bloc-BAO du fait des exigences de Moscou accompagnées de promesses de riposte en cas de refus conduit à considérer certains actes comme des “ripostes”, alors qu’ils ne sont pas nécessairement conçus comme tels. Ainsi en est-il du lancement d’une série d’exercices en Russie, annoncés en même temps que commençaient les discussions Russie-USA de Genève, dont Christopher Granville, le directeur stratégique au groupe de consultance T.S. Lombard de New York a observé : « L’atmosphère est absolument toxique, il n’y a aucune confiance et chacun déteste l’autre… »
C’est dans ce climat qu’est donc venue cette annonce :
« Lundi, le district militaire occidental de la Russie a annoncé de tout nouveaux exercices sur des terrains d’entraînement en Russie européenne, comprenant environ 3 000 militaires et 300 pièces d'équipement militaire.
» “Le principal objectif de l'exercice tactique sera d'effectuer des exercices de tir de vérification avec des armes légères et des véhicules blindés, d'organiser des marches lorsque des groupes de sabotage et de reconnaissance de l'ennemi conventionnel sont actifs, et d'équiper des places fortes”, a déclaré le district militaire occidental à propos de l'exercice 2022. »
La réaction US à cette nouvelle, parvenue mardi, montre bien que l’interprétation, du côté du bloc-BAO, est nécessairement celle d’un acte d’hostilité, c’est-à-dire quelque chose qui entre dans ce cas où les négociations sont sans grand espoir d’aboutir ; c’est alors perçue comme étant dans la catégorie des “ripostes” annoncées par Poutine :
« Si la Russie veut conclure un accord sur les garanties de sécurité, elle doit mettre fin aux exercices militaires près de la frontière ukrainienne ou fournir des éclaircissements et être transparente sur les mouvements de troupes, a insisté le département d'État américain.
» Les commentaires du porte-parole Ned Price, faits mardi, sont intervenus quelques heures après que la Russie a annoncé de nouveaux exercices dans les régions de Voronej, Belgorod, Briansk et Smolensk, toutes situées à la frontière occidentale de la Russie.
» “Dans ce contexte, la désescalade exigerait le retour des troupes russes dans leurs casernes, l'explication ou l'arrêt de ces exercices et le retour de ces armes lourdes dans leurs lieux de stockage habituels”, a déclaré Price aux journalistes. »
D’un même point de vue et selon une appréciation similaire, comme nous l’avons déjà laissé entendre, l’intervention russe au Kazakhstan doit être non seulement perçue par le bloc-BAO comme une démonstration de force, mais aussi comme une “riposte” dans le sens que nous développons. Cela le sera d’autant plus que l’annonce d’un retrait des forces (dont les Russes principalement) dans les dix prochains jours, sonne comme une réplique “provocatrice” au propos du secrétaire d’État Blinken le 8 janvier, concernant justement ce déploiement de forces russes...
« “Je pense qu'une leçon de l’histoire récente est qu’une fois que les Russes sont dans votre maison, il est très difficile de les en faire partir”, a déclaré [Blinken] à la fin de la conférence de presse, sans donner plus de détails. »
Lorsque nous écrivons que le départ très rapide des forces russes du Kazakhstan une fois l’ordre rétabli sonne comme une “riposte provocatrice”, c’est simplement parce qu’elle contredit le propos de Blinken (« une fois que les Russes sont dans votre maison, il est très difficile de les en faire partir »). On jugera l’appréciation paradoxale, – mais elle est complètement logique. Tout agissement des Russes, même pour un mieux, qui ne correspond pas à ce que prévoient et demandent les USA, est à classer dans les “ripostes agressives” de Poutine...
Ce que nous entendons par là relève du constat objectif que la dystopie des perceptions entre les Russes et le bloc-BAO est intense, extrême, nous dirions même cosmique. Nous parlons d’une dystopie de perception, essentiellement due à la perception que le bloc-BAO, et particulièrement les USA, a de la Russie. Cela conduit les USA à percevoir tout de ce qui vient des Russes dans un sens catastrophique, et par conséquent même les actes objectivement bienveillants ou satisfaisants selon leur appréciation (retrait rapide du Kazakhstan) doit être perçu comme catastrophique, et certainement dissimulant une manœuvre et le désir, dans ce cas, de ridiculiser Blinken, – ce qui est objectivement le cas. De toutes les façons, cela rentre automatiquement dans la rubrique “riposte de Poutine” depuis que Poutine a officialisé des exigences, et des ripostes aux évolutions USA-OTAN jugées provocatrices si ces exigences n’étaient pas rencontrées.
Bien entendu, l’on sait que nous faisons nécessairement porter l’essentiel au mieux, et assez souvent l’entièreté de la faute sur la perception totalement déformée de l’américanisme. Cette remarque n’est ni anodine, ni partisane : elle règle au contraire le futur très-proche des relations entre la Russie et les USA (et le bloc-BAO) dans le cadre nouveau établi par les négociations de Genève et la suite (exigences de Poutine + ripostes de Poutine). Elle repose complètement sur le simulacre de perception qui sert de perception au côté occidental, à “la civilisation occidentale”. Ce n’est pas (ou pas seulement !) une remarque partisane parce qu’il s’agit ici d’exposer objectivement, ou plutôt de rappeler objectivement que toutes les relations sont réglées par cette perception dystopique des USA, exactement comme PhG la décrivait hier ; on veut parler d’une situation déterminée par les dispositions psychologiques (US) en action qui dressent ici une muraille absolument infranchissable autour de la certitude de la justesse de cette perception selon ceux qui l’expérimentent :
« [...D]ans une de ces [postures de perception] dont les USA ont le secret, [...] nourrie par cette extraordinaire psychologie de l’inculpabilité-indéfectibilité qui vous fait croire être partout “comme chez vous”, en position statutaire d’influencer, de se jouer des lois comme l’on joue au billard, d’“emmerder jusqu’au bout” les antiaméricanistes du coin, et d’avoir en plus tous les droits et l’attente sans la moindre hypocrisie de devoir être spontanément acclamés par les autres, surtout les civilisés et gens de Progrès, comme de formidables et généreux-vertueux-donateurs... »
Ce n’est pas une question de puissance, d’équilibre ou de déséquilibre des forces, de justification d’une posture ou d’un déploiement de forces, d’un agissement illégal ou pas, d’une affirmation démocratique ou non, etc., – toutes ces choses étant bien entendu fixées dans l’éternité psychologique américaniste dans le sens de la vertu de l’américanisme et de rien d’autre. C’est la question de la marche des événements, qui conduit les américanistes à considérer la Russie, c’est selon, comme un moustique qu’on chasse d’un geste de la main, ou comme une énorme puissance sur le point de tout écraser. Poutine ayant dit et fait comme on l’a perçu du côté US, ayant joué à l’exigeant menaçant devenant machiniste terrible de la riposte s’il n’a pas ce qu’il voudrait chaparder, tout sera désormais interprété à cette lumière du côté US.
Les Russes le savent, certes. Ils tentent parfois de percer la muraille, et jusqu’ici ils ont échoué, et ils échoueront parce que nul ne perce cette muraille. Par ailleurs, les Russes devront se conduire comme Poutine a été contraint de dire qu’ils se conduiraient, parce qu’ils sont Russes et qu’ils n’ont pas le choix. Simplement, ils le feront avec habileté et finesse, et le sens, voire l’art de provoquer la surprise chez l’autre, – mais un accident peut toujours arriver...
En dire plus serait préjuger sur l’histoire de ces temps-devenus fous.
Mis en ligne le 12 janvier 2022 à 21H30