La Russie et la fin de l’American Dream de l’Inde

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La visite de Vladimir Poutine en Inde les 11-13 mars semble avoir été un succès dans le sens où elle a présenté l’image d’une relance vigoureuse d’un “partenariat stratégique” traditionnel entre les deux pays. La chose était annoncée le 9 mars 2010 par Novosti. (Voir aussi le commentateur Arti Bali, le 12 mars 2009).

Il y a eu notamment une forte relance dans la vente d’armes russes à l’Inde, assortie de garanties russes qu’il n’y aurait pas d’extension d’une coopération de la Russie avec le Pakistan. (Sur Novosti, le 12 mars 2010.)

«“I would like to stress that Russia is not maintaining military cooperation with Pakistan as it takes into account the concerns of [our] Indian partners,” Putin said after a meeting with Indian Prime Minister Manmohan Singh. […]

»New Delhi has a long history of military ties with Moscow. The current cooperation program comprises about 200 joint projects, including the transfer of technology for the licensed assembly of T-90 tanks in India, the production of BrahMos missiles and the purchase of Smerch MLRS by India.

»Earlier on Friday, Russia and India signed a $1.5-billion contract on the supplies of 29 more MiG-29K Fulcrum-D carrier-based fighter jets to New Delhi. […] The contract is part of a $1.5 billion deal to deliver the Admiral Gorshkov aircraft carrier, currently being retrofitted in Russia for the Indian navy.»

• Sur Atimes.com le 12 mars 2010, l’excellent commentateur (et ancien diplomate indien lui-même) M. K. Bhadrakumar place l’évolution de l’Inde dans le contexte de son échec pour supplanter le Pakistan en Afghanistan et comme “allié privilégié” des USA dans la région, et dans le contexte de l’échec plus général de la “stratégie américaine” de l’Inde depuis 2003.

«…Delhi had put all its eggs in the American basket and now needs to activate its regional policies. Russian Prime Minister Vladimir Putin is scheduled to arrive in Delhi at the weekend. The Indian foreign minister is scheduled to visit China next month and possibly Iran by the end of March. The annual summit meeting of the Shanghai Cooperation Organization (SCO) in June in Tashkent, Uzbekistan, becomes of added interest to Delhi.

»However, the heart of the matter is that the Afghan policy is a microcosm of a larger malaise that the Indian foreign policy and security establishment needs to tackle. There is no evidence that Delhi has the political will to have a course correction in this aspect.

»In retrospect, Delhi's hare-brained idea of a US-led “quadripartite alliance” against China, the “Tibet card”, the dilution of a 2003 strategic understanding with Iran, neglect of the traditional friendship with Russia, the lukewarm attitude toward the SCO, exaggerated notions within the establishment regarding the US-India strategic partnership as an alternative to an independent foreign policy and diversified external relationships – all these appear now like dreadful pantomimes out of India's foreign policy chronicle of recent years that Delhi would rather not think about.»

Notre commentaire

@PAYANT La visite de Poutine en Inde et l’évidente réactivation des “rapports stratégiques” traditionnels de l’Inde et de la Russie marquent effectivement la fin de l’American Dream des dirigeants indiens. Comme l’écrit M. K. Bhadrakumar, les divers projets indiens envisagés à l’ombre d’une nouvelle “alliance” entre l’Inde et les USA apparaissent brutalement comme autant de “dreadful pantomimes” et sont brutalement rééquilibrés, sinon annihilés, par la réaffirmation des liens avec la Russie. (Cela, assorti du mouvement essentiel de ventes d’armement, et de l’assurance sans grand effort ni dommage pour la politique russe que la Russie ne joue pas “la carte pakistanaise”, ce qu’elle n’a jamais fait vraiment.)

Pendant quelques années, depuis 2003, les dirigeants indiens ont cédé au vertige de la soi-disant puissance US. Ils se sont vus comme un partenaire privilégié des USA, s’il le fallait en accentuant une certaine distance méfiante vis-à-vis de la Chine pour appliquer une politique de “containment” (ce que leur demandaient les USA), mais, surtout, en visant de prendre dans les plans US et pour leur propre avantage, éventuellement au prix d’une tension renouvelée avec le Pakistan, la place du Pakistan, et cela jusqu’à Kaboul avec une nouvelle influence indienne en Afghanistan. La réactivation de la guerre en Afghanistan aux bons soins de BHO, la place privilégiée qui est faite au Pakistan dans ce projet (les Américains nomment ce théâtre AfPak, pour Afghanistan-Pakistan, ce qui est tout dire), ont pulvérisé les ambitions régionales indiennes à cet égard. Le Pakistan reste plus que jamais le pays privilégié pour les USA en fonction de leur obsession afghane, et il retrouve une influence à peine entamée à Kaboul.

Du coup, les Indiens se sont retrouvés plus isolés et, de divers points de vue, pris à contrepied. Ils ont appris que le “partenariat stratégique” avec les USA, cela signifie des avantages que les USA peuvent en retirer, sans plus, et aussi courts et limités que peuvent l’être ces avantages. En fait de “partenariat stratégique” avec les USA, il faut toujours entendre une manœuvre tactique où l’on vous inclut temporairement avec l’adjectif ronflant de “stratégique”, mais dont le seul rapport doit être pour la stratégie générale de Washington à laquelle vous avez correspondu un moment. En 2003-2007, Washington ne s’intéressait guère à l’Afghanistan et traitait le Pakistan avec une certaine indifférence, puisque toute son attention était orientée vers le Moyen-Orient et la problématique Irak-Iran. Le rapprochement avec l’Inde lui paraissait avantageux, pour toutes sortes de raison, de la vente d’armes et de centrales nucléaires à un renforcement des pressions sur la Chine, à une manœuvre de blocage de l’influence russe. Depuis 2009, on est revenu au Pakistan parce que l’Afghanistan est soudain devenu la préoccupation centrale de la stratégie dite de “la guerre contre la terreur”. L’Inde passe au second plan et on lui préfère le Pakistan. La polarisation, la compartimentation, l’improvisation et la courte vue de la stratégie US sont telles que cette distance prise avec l’Inde qui se déduit nécessairement de l’accent mis sur le Pakistan se fait au détriment d’une force qui aurait pu servir à l’offensive actuelle de Washington contre la Chine. Mais l’on sait que cette offensive date de décembre 2009 et que, jusqu’en novembre 2009, au contraire, on voulait faire un G2 avec la Chine, – et qu’importait l’Inde à ce moment!

Bref, l’Inde a fait un tour de piste avec Washington et a appris ce que sont l’inconsistance extraordinaire de la stratégie US et l’unilatéralisme non moins extraordinaire que mettent les USA dans l’expression “partenariat stratégique” avec une perception qui est uniquement dépendante de leur propres intérêts. Les Indiens en reviennent donc, et très vite, à leur lignes de force traditionnelles, particulièrement avec la Russie. On ne sera pas sans remarquer que ces lignes de force correspondent, elles, à une logique globale, systémique, voire une logique de l’affrontement des forces structurantes contre les forces déstructurantes. L’Inde, réactivant ses liens avec la Russie, s’éloignant des USA, prête à rengainer ses querelles téléguidées par Washington contre la Chine, rencontre la logique du BRIC. Elle s’intéresse désormais d’un peu plus près au SCO, où elle retrouve la Chine et la Russie. Elle envisage de resserrer ses liens distendus (Washington oblige) avec l’Iran. Tout cela, accéléré désormais par la perception qui ne va cesser de grandir, du côté des Indiens, que la puissance des USA est en déclin.

L’inde a donc fait sa cure d’American Dream. Il faut bien en passer par là, pour mesurer combien l’illusion est indigeste.


Mis en ligne le 15 mars 2010 à 05H38