Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1633A force de témoigner et de témoigner encore et encore sur ce qu’ils font, devant les commissions sans nombre du Congrès (Chambre et Sénat), on finit par se demander si les ministres du gouvernement US font réellement quelque chose. Ou bien, autre hypothèse, ils font n’importe quoi et le témoignage est aisé. Cette remarque un peu parodique n’est pourtant nullement déplacée pour tenter de définir la politique extérieure US, comme si cette politique n’était que parodie de politique... Cette sorte d’interrogation doit traverser souvent les esprits russes, et elle concerne le ministère essentiel de la politique extérieure des USA, le département d’État, et son nouveau secrétaire (ministre), John Kerry.
• A Istanboul, à la réunion des Amis de la Syrie, le secrétaire d’État John Kerry a annoncé une nouvelle aide pour les rebelles syriens, pour un montant de $127 millions. Il s’agit d’“armes” dites “non létales”, et notamment des engins blindés qui peuvent tout de même servir utilement. Cette micro-gestion de l’aide aux rebelles ressort d’une tactique qui se voudrait subtile et qui est surtout confuse, avec le dessein US de ne pas donner une aide décisive et la préoccupation US de continuer à paraître comme un soutien affirmé des rebelles.
• Le 19 avril 2013, Kerry parlait devant la commission sénatoriale des relations extérieures. Son propos a été assez confus, tel que le résume Antiwar.com, marqué tout de même par l’idée d’une “intervention” nécessaire... «Secretary of State John Kerry warned that it was vital to “resolve” the ongoing Syrian Civil War in a timely fashion, saying the nation risks “enclave breakup” otherwise. When Secretary Kerry talks, to be clear, of a “political resolution” in Syria, he is referring to repeated US demands that Assad unilaterally resign and allow foreign backed rebels to form a new government. Yet concern that the rebels aren’t united is palpable, as is the fear of al-Qaeda’s dominance of post-Assad Syria. To that end, Kerry called on the various nations backing the rebels to get “on the same page” about the new regime’s makeup, suggesting that what Syria’s rebels want, let alone Syria’s people, means little to nothing in the grand scheme of things.»
• Pour ne pas compliquer les choses, on ne s’arrêtera pas trop au témoignage du secrétaire à la défense Hagel et à un autre, parallèle, de son chef d’état-major le général Dempsey, mettant une fois plus en évidence, l’un et l’autre, la différence d’orientation entre les deux ministres (Hagel et Kerry), mais aussi et surtout la différence de résolution. Autant Kerry se montre flou, fuyant et changeant, autant Hagel se montre ferme et affirmatif dans sa volonté (comme dans le chef du général Dempsey) de recommander avec vigueur de s’abstenir de toute intervention en Syrie (Aniwar.com le 18 avril 2013) : «You better be damn sure, as sure as you can be, before you get into something, because once you’re into it, there isn’t any backing out, whether it’s a no-fly zone, safe zone, protect these — whatever it is... [...] Once you’re in, you can’t unwind it. You can’t just say, well, it’s not going as well as I thought it would go, so we’re going to get out.»
... Mais c’est essentiellement à Kerry que les Russes ont à faire, et à tous les autres représentants de la diplomatie US. Et ce qu’ils en rapportent est de plus en plus consternant et désolant. Ainsi en est-il d’un épisode, exemplaire bien plus qu’exceptionnel, qui eut lieu durant quelques semaines entre la mi-février et la mi-mars. Lorsque Kerry fit sa fameuse déclaration, – ou plus justement dit, pas du tout fameuse, – à Oslo, le 12 mars, cet épisode était en cours entre les USA et la Russie. Il s’agissait d’organiser une percée diplomatique sur la Syrie, actée essentiellement par une entente entre les deux puissances et qui devait se concrétiser par une négociation directe entre le régime Assad et les rebelles. Nous écrivions notamment, dans un texte sur cette affaire, le 26 mars 2013, : «Le premier cas est celui d’une déclaration de John Kerry à Oslo, le 12 mars. Dans sa revue hebdomadaire du 22 mars 2013, l’institut de Beyrouth Conflicts Forum observe, avec la remarque qui nous intéresse en gras par nous : “Comments made by Secretary Kerry on 12 March – which were not published in any mainstream western newspaper – are nonetheless significant: ‘The world wants to stop the killing. And we want to be able to see Assad and the Syrian opposition come to the table for the creation of a transitional government according to the framework that was created in Geneva’”.»
Cette déclaration de Kerry se plaçait donc dans le cadre de cette initiative Russie-USA, qui fit parler d’un rapprochement décisif entre les deux puissances sur la Syrie. Il s’agissait de lancer des négociations qu’on estimait décisives, entre une délégation de rebelles et une délégation du pouvoir en place, – les USA ayant laissé de côté leur exigence de voir Assad disparaître avant de négocier avec lui (ce fameux sophisme) ... Chacun des deux partenaires devait donc susciter et organiser une délégation des deux partis qu’il “sponsorait” chacun de son côté. Les USA demandaient donc aux Russes qu’ils organisent une délégation de négociation émanant du régime Assad. Les Russes se chargèrent de l’organiser, ce qui demanda plusieurs semaines d’un travail délicat, de manœuvres, de promesses et de pressions. Enfin, la liste fut prête, l’équipe de négociateurs mise sur pied. Les Russes la communiquèrent à leur “partenaire” US... Et ils n’entendirent plus jamais parler de rien, ils n’eurent aucun écho, aucune réaction. C’était à croire que le message était tombé dans un trou noir, complètement siphonné dans le désordre étrange du vide à la fois sans fond et si profond qui caractérise la non-politique extérieure américaniste.
Ainsi les Russes mesurent-ils une fois de plus ce que nous nommons d’une façon un peu sollicitée “l’énigme américaniste”. En effet, si le cas semble insoluble, il n’est pas pour autant une surprise pour les Russes qui l’expérimentent chaque jour depuis plusieurs années, et son caractère énigmatique ne concerne plus tant le fait lui-même de cette politique, incompréhensible parce qu’il n’y a rien à comprendre, que les constituants divers et insaisissables qui l’annihilent jusqu’à la transformer en quelque chose qui n’a plus aucune explication de soi-même.
Aussi faut-il compter, pour que les choses semblent pouvoir, éventuellement(!), bouger et changer, sur l’inattendu et sur l’imprévu. Cette époque n’en manque pas, qui manifeste en face de la paralysie et de l’inexistence des actes humains des circonstances dont la dynamique suscite des effets justement inattendus et imprévus... Si nous écrivons cela, c’est parce qu’une piste nouvelle s’ouvre effectivement, avec l'hypothèse d'une connexion directe entre l’attaque de Boston et la situation en Syrie, circonstance effectivement inattendue et imprévue...
• C’est DEBKAFiles qui suggère involontairement cette évolution, – inattendue et imprévue, bien entendu. A propos de l’attaque de Boston, DEBKAFiles n’a pas été particulièrement passionnant dans ses analyses, attribuant aussitôt l’attaque à al Qaïda et plaçant la chose dans le contexte moyen-oriental qui constitue à la fois son fond de commerce et l’orientation dont il colore nombre des susdites analyses. Mais le site israélien revient à la charge selon une autre approche. Il estime que la tournée moyenne-orientale que commence aujourd’hui le secrétaire à la défense Hagel a complètement changé d’orientation à cause de l’attaque de Boston. L’idée est que l’Iran, qui devait être le centre des conversations de Hagel, surtout avec les Israéliens et les Saoudiens, est brusquement remplacé par la Syrie, à cause de l’attaque de Boston, – parce que les Russes, justement, tiendraient leur revanche et un moyen de forcer l’inconséquente non-politique US à produire enfin quelque chose de solide. (De ce point de vue des Russes, Hagel serait un partenaire bien plus intéressant que Kerry, on le comprend aisément.) La logique générale de ce changement est ainsi résumée : «At a different level, the United Sates, Israel and Saudi Arabia, while fully alive to the threat of a nuclear Iran, have been jerked into awareness of the burgeoning presence of al Qaeda in Syria, Sinai and Iraq and the menace they pose to Israel, Lebanon and Jordan. All this has come together in the power plays around the Syrian civil war.»
L’idée de DEBKAFiles est que les Russes ont joué un rôle majeur dans la résolution de l’attaque de Boston, au détriment du FBI qui a misérablement erré parce qu’il n’avait pas assuré son travail de surveillance des deux jeunes Tsarnaev. Il est vrai que BHO a personnellement remercié Poutine pour son aide, et il est vrai également que la Tchétchénie est un sujet vital pour la Russie, et un sujet qui les a enragés depuis plus de quinze ans à cause de l’attitude des USA prenant le parti des rebelles et terroristes tchétchènes et exaltant leur cause au nom des valeurs générales, “libérales”, “démocratiques” et antirusses, de ce que nous nommons le parti des salonards. Aujourd’hui, les Russes sont idéalement placés pour faire comprendre à Obama qu’ils soutiennent Assad, non seulement au nom du principe de souveraineté (argument un peu trop élevé pour Washington), mais aussi parce qu’ils craignent les répercussions terroristes, de type-Tchétchénie, qu’aurait une défaite d’Assad qui serait nécessairement au profit des terroristes (al Nusra, pseudo-al Qaïda puisque al Qaïda peut être mis à toutes les sauces). Depuis Boston, les Russes peuvent espérer que la pensée américaniste pourrait être sensible à certains raisonnements qu’elle peinait à accepter jusqu’ici ; comme le disait un diplomate russe, «la politique US changera lorsque nous aurons convaincu le président Obama qu’Assad est son meilleur allié...»
Ainsi donc, DEBKAFiles développe-t-il ce thème, ce 21 avril 2013. On peut lire la chose avec une certaine attention, lorsqu’on n’ignore pas qu’il existe, entre Russes et Israéliens, depuis longtemps et en dépit des vicissitudes et des antagonismes politiques, des liens assez discrets mais très spécifiques au niveau de la sécurité.
«For more than two years, Russian President Vladimir Putin has maintained that sympathy is not his motive for propping up Bashar Assad’s regime in Damascus, but the certainty that his fall will release a swarm of al Qaeda jihadists on Damascus and other Syrian towns. From there, they will spread out through the southern Russian Caucasus and then leap on Moscow and other key Russian cities. By aiding Assad, Moscow is therefore protecting Russia, says Putin, echoing the argument US President George W. Bush put forward when he defended the US invasion of Iraq in 2003 as necessary to protect American cities from terror.
»President Barack Obama, for his part, has placed the onus of his counterterrorism strategy on decapitating al Qaeda in the belief that without their commanders, the jihadist rank and file will give up and go home. This strategy was smashed by the Boston bombing. Notwithstanding the high profile liquidations and the CIA drone operations, a major American city stood at the mercy of Islamist terrorists – with possibly more to come.
»As an army of law enforcement officers from across America descended five days later on the Watertown backyard and the boat in which Dzhokhar Tsarnaev was cowering, President Obama phoned President Putin and thanked him for his “cooperation [unspecified] in the investigation into the Boston Marathon bombings.”
»This conversation stemmed from the Russian intelligence request to the FBI in 2011 to look into the older Tsarnaev brother, Tamerlan’s ties with Muslim terrorist groups in the Caucasus, who at that time decided to pledge allegiance to al Qaeda. In the face of the US agency’s indifference to its alert, Russian intelligence placed the two brothers under close surveillance – certainly dogging Tamerlan’s footsteps during the six months he spent visiting Dagestan and Chechnya last year – and presumably also in America. Upon his return, he was not placed on the FBI watch list.
»The Russian agency was therefore in exclusive possession of the very intelligence the FBI sought for identifying the terrorists who perpetrated the bombings in Boston and their associates, whether inside or outside America. The Russian president’s “cooperation” with the US inquiry was therefore invaluable.
»According to DEBKAfile’s counterterrorism and military sources, Putin’s quid pro quo for this assistance is not yet known, but it will certainly relate to the Syrian conflict rather than the Iranian issue.»
Observons qu’il s’agit là d’une approche rationnelle et ultra-réaliste, bien dans la manière de Poutine pour la forme diversifiée de sa politique. La Russie développe une politique appuyée d’une part sur des principes intangibles formant sa stratégie au nom de laquelle elle s’oppose aux errements irresponsables des USA (“agression douce” principalement), d’autre part sur une tactique flexible au moyen de laquelle elle recherche une coopération des USA (d’Obama particulièrement) sur des sujets où une convergence des intérêts peut s’affirmer. La logique devrait être, pour l’instant, puissamment du côté russe après l’épisode bostonien. Pour autant, on n’en sera pas moins attentif aux péripéties qui attendent cette logique, connaissant à cet égard la puissance et la résilience de la “non-politique du trou noir” de Washington, et la rapidité avec laquelle cette non-politique peut enterrer les initiatives les plus logiques, – comme le montre la mésaventure avec Kerry d’il y a deux mois. L’entêtement russe est proverbial et sans doute admirable mais n'est qu'humain et armé de la seule logique ; il est loin, très loin d’être dit qu’il sera suffisant face au phénomène du nihilisme par déstructuration et dissolution de l’action des USA, et à la constante puissance de la politique-Système qui anime le tout. Quoi qu'il en soit, l'épisode vaut d'être noté et d'être suivi.
Mis en ligne le 22 avril 2013 à 06H21