La Russie (et l’Europe), premier enjeu d’Obama

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Nous sommes alternativement en accord et en désaccord avec les analyses de George Friedman, de Stratfor.com, selon les sujets, selon le mode de traitement des sujets, voire selon l’humeur des choses. Cette fois, ce serait plutôt un accord, sur le sujet du premier grand enjeu de politique extérieure de BHO, le nouveau président US. «Obama Enters the Great Game», nous dit Friedman ce 19 janvier 2009. Le thème est une question: mises à part les surprises, sur quoi on ne peut par définition supputer, quel est le premier grand dossier qui attend BHO à la Maison Blanche?

La réponse est : la Russie, – mise à part la crise économique US, qui est évidemment la première priorité des priorités, cela va de soi, et donc hors catégorie de classement. (Pour cette crise, Friedman rappelle, comme il est bon de le faire à chaque fois que l’on analyse son importance, – souligné en gras par nous: «The most important issue Obama will face will be the economy, something he did not anticipate through most of his campaign.»)

...La Russie, c’est-à-dire le point central d’un ensemble de tensions ou de crises prioritaires pour le nouveau président. D’une part, l’Afghanistan, où une nouvelle “stratégie” (si l’on admet qu’il y en une en cours) doit être développée, impliquant notamment des arrangements nouveaux avec les pays européens engagés dans le conflit; surtout, impliquant de régler en priorité le problème du ravitaillement des forces en ouvrant une nouvelle ligne de ravitaillement, ce qui implique d’une façon ou l’autre la Russie (soit en obtenant sa coopération avec la ligne passant par la Russie, soit en suscitant son opposition et d’énormes difficultés avec la ligne contournant la Russie par le Sud). D’autre part, les relations de la Russie avec l’Europe, notamment à la suite de la courte et intéressante “guerre du gaz” mais aussi avec d’autres questions en suspens comme le réseau anti-missiles BMDE, tout cela impliquant un réajustement des relations USA-Russie, et d’une certaine façon des relations des USA avec l’Europe.

Ayant passé en revue ces différents points puis envisagé les concessions que demanderont les Russes, notamment pour la question stratégique centrale du ravitaillement de l’OTAN en Afghanistan, Friedman conclut qu’il faudra que l’administration Obama refonde ses relations avec la Russie dans le sens d’un accommodement…

«We expect the Russians to make variations on all these demands in exchange for cooperation in creating a supply line to Afghanistan. Simply put, the Russians will demand that the United States acknowledge a Russian sphere of influence in the former Soviet Union. The Americans will not want to concede this — or at least will want to make it implicit rather than explicit. But the Russians will want this explicit, because an explicit guarantee will create a crisis of confidence over U.S. guarantees in the countries that emerged from the Soviet Union, serving as a lever to draw these countries into the Russian orbit. U.S. acquiescence on the point potentially would have ripple effects in the rest of Europe, too.

»Therefore, regardless of the global financial crisis, Obama has an immediate problem on his hands in Afghanistan. He has troops fighting there, and they must be supplied. The Pakistani supply line is no longer a sure thing. The only other options either directly challenge Russia (and ineffectively at that) or require Russian help. Russia’s price will be high, particularly because Washington’s European allies will not back a challenge to Russia in Georgia, and all options require Russian cooperation anyway. Obama’s plan to recruit the Europeans on behalf of American initiatives won’t work in this case. Obama does not want to start his administration with making a massive concession to Russia, but he cannot afford to leave U.S. forces in Afghanistan without supplies. He can hope that nothing happens in Pakistan, but that is up to the Taliban and other Islamist groups more than anyone else — and betting on their goodwill is not a good idea.

»Whatever Obama is planning to do, he will have to deal with this problem fast, before Afghanistan becomes a crisis. And there are no good solutions. But unlike with the Israelis and Palestinians, Obama can’t solve this by sending a special envoy who appears to be doing something. He will have to make a very tough decision. Between the economy and this crisis, we will find out what kind of president Obama is.

»And we will find out very soon.»

Friedman a, nous semble-t-il, raison d’envisager cette question de politique extérieure comme une urgence, plutôt que la question israélo-palestinienne à la suite de la crise de Gaza. («The major challenge he faces is not Gaza; the Israeli-Palestinian dispute is not one any U.S. president intervenes in unless he wants to experience pain. As we have explained, that is an intractable conflict to which there is no real solution.».) Le cas de la Russie (avec l’Europe et l’Afghanistan) est une question en pleine évolution, dans laquelle Obama ne peut prendre le risque de ne pas être présent, d’une façon active et, si possible, novatrice; Obama ne peut d’autre part risquer de se charger d’une crise avec la Russie, qui pèserait lourd alors qu’il est si occupé au niveau intérieur. Dans le cas israélo-palestinien, il s’agit d’une crise enfermée, d’une “crise paralysée” si l’on veut, où même l’implication directe ne requiert de la part des USA aucune mobilisation particulière.

Cette priorité euro-asiatique d’Obama correspond à l’analyse que nous avons faite, depuis la crise géorgienne et à cause d’elle, d’un basculement du Sud vers le Nord des tensions prioritaires. La Russie est désormais pour les USA une affaire qui ne peut attendre, et l’Europe et l’Afghanistan non plus par conséquent. (Et chacun de ces deux problèmes complémentaires, – l’Afghanistan et l’Europe, – est à considérer désormais prioritairement, pour les USA, en fonction des rapports qu’il a avec la Russie et, d’une façon plus générale, avec le “Nord”.)

Là-dessus vont s’enchaîner d’autres questions qui sont liées à cette problématique, notamment celle du déploiement du réseau BMDE. Effectivement, diverses indications montrent que la question du BMDE est prioritaire pour l’administration Obama, – plutôt, elles le confirment puisque cet intérêt a déjà été mis en évidence depuis l’élection du 4 novembre 2008.

La logique implique effectivement une recherche de l’apaisement. Cela correspond à la tendance révolutionnaire de la période, où il faut rassembler ses forces pour la défensive; où nous passons de l’époque de la déstructuration géopolitique, offensive et extérieure, – l’époque Bush/neocon, – à l’époque fondamentale de l’affrontement de la crise systémique avec toutes ses conséquences. Cela implique un renversement des tendances. Aujourd’hui, c’est la force hier déstructurante (les USA, ou plutôt le système de l’américanisme), qui est elle-même menacée de déstructuration et se trouve complètement sur la défensive.


Mis en ligne le 20 janvier 2009 à 09H53