La Russie et notre crise

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Il y a la possibilité d’une évolution de la position de la Russie dans la crise iranienne, après le tournant du vote des sanctions par l’ONU. Deux nouvelles soutiennent cette interprétation.

• Le ministère russe des affaires étrangères a élevé une violente protestation contre les nouvelles et super-sanctions décidées par les ministres des affaires étrangères de l’UE. Les mesures prises par les ministres des Etats-membres de l’UE (notamment sur l’énergie) suivent la ligne extrémiste manipulée par quelques éléments clef de la bureaucratie de l’UE, dont le directeur général Robert Cooper, qui travaille avec la baronne Ashton. Le ministère a publié un communiqué le 27 juillet 2010, à propos de la décision de l’UE : «Nous avons déclaré plusieurs fois que les sanctions unilatérales ou collectives contre l'Iran étaient inadmissibles. Cette pratique sape les efforts des Six (Russie, USA, Grande-Bretagne, France, Chine et Allemagne) pour trouver une solution diplomatique au règlement du problème et témoigne d'un mépris certain des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.»

• Le même jour , ce même 27 juillet 2010, la Russie salue chaleureusement et en citant explicitement l’accord de Téhéran Turquie-Brésil-Iran, la déclaration de l’Iran qui se dit prêt à reprendre sans conditions préalables les négociations sur l’échange d’uranium faiblement enrichi : «Nous saluons cette démarche de Téhéran, car elle permet d'examiner les aspects techniques de l'approvisionnement en combustible du réacteur de recherche sur la base des propositions formulées par toutes les parties intéressées, dont la déclaration tripartite signée le 17 mai par l'Iran, le Brésil et la Turquie.»

@PAYANT Le communiqué du ministère russe des affaires étrangères marque une véritable préoccupation. Pourtant, l’analyse occidentaliste standard ne va pas dans ce sens. Concernant cette réaction anti-UE de la Russie, une dépêche AFP relayée par SpaceWart.com le même 27 juillet 2010, présente le communiqué russe, puis le fait aussitôt suivre du paragraphe suivant, sorti de nulle part sinon qu’il est l’expression de la pensée diplomatique américaniste-occidentaliste concernant la position de la Russie, – granted : «The angry comments from the foreign ministry underlined that Moscow is still looking after its economic interests in Iran, despite an increasingly tense relationship with the Islamic Republic's political leadership.»

Où donc les rédacteurs de la dépêche ont-ils pris que la principale cause de l’attitude de la Russie reposait sur ses liens économiques avec l’Iran ? Suivent dans la dépêche des détails sur ces liens, avec une minutie qui pourrait être employée pour nombre d’autres pays, y compris du “bloc” vertueux UE-USA, concernant le même type de liens. Cette appréciation de complète propagande reflète l’appréciation mécanique du système américaniste-occidentaliste, exactement de la même façon que les commentateurs US jugeaient la France s’opposant à l’attaque contre l’Irak, en 2002-2003, – c’est-à-dire lorsque ce pays avait une politique étrangère. Là aussi, dans l’interprétation qu’on en donnait, il ne s’agissait pour la France que de défendre des intérêts économiques (ses soi-disant liens avec l'Irak). Depuis, la France a abandonné sa politique étrangère pour rejoindre la vision uniquement mercantile dispensée par le système lorsqu’il s’agit d’apprécier la politique des autres, projetant par effet de miroir ses propres conceptions sur les autres.

La dépêche AFP cite l’expert de service (Masha Lipman, analyste politique au centre moscovite de Carnegie, organisation relais de l’influence US) pour corroborer cette version, puis, sans commentaire, sinon sans intérêt, un expert russe : «Russia has “run out of patience” with Iran, but sees US and EU sanctions as breaking international law, said Fyodor Lukyanov, editor of Russia in Global Affairs journal. “Russia feels that its opinion is being overlooked”…» Cette explication de la colère russe, avec une certaine appréciation particulièrement chaleureuse du changement de la position iranienne annoncée le 26 juillet par conséquent, est essentielle et bien plus riche que les habituelles palinodies de propagande sur les intérêts économiques. Elle permet de mesurer l’évaluation russe de la situation, et de s’interroger de façon loyale sur l’évolution de cette évaluation, après l’alignement de la Russie sur une ligne onusienne type-“communauté internationale”.

Il y a, chez les Russes, depuis la période 2007-2008, la recherche d’une stabilisation des relations internationales selon une plus grande affirmation de la responsabilité de cette chose nommée “communauté internationale”. Les Russes ont pensé que l’administration Obama pouvait apporter une rupture dans le sens voulu par eux, après les années Bush. Ils ont pensé également que l’évolution de l’Europe, sous la pression de certains Etats-membres, irait dans le même sens d’une stabilisation. Pour eux, le vote des sanctions anti-iraniennes par l’ONU était un test, notamment au travers de l’attitude , après le vote, de leurs deux “partenaires”, les USA et l’Europe. Le test est probant, les deux ayant renchéri avec des sanctions unilatérales beaucoup plus dures. Les deux “partenaires” n’ont strictement aucune capacité, – nous parlons bien de capacités politiques et psychologiques, – de résister aux pressions de leurs extrêmes, ou de ce qu’on décrirait en première analyse comme “leurs extrêmes” et qui ne sont finalement que le soutien opportuniste ou idéologique par certains centres de pouvoir ou individualités d’une tendance du système vers l’extrémisme. Cela s’est donc traduit par le durcissement des sanctions du côté US et du côté UE qui, exactement au contraire de ce que semblent signifier ces décisions, est le signe d’une extraordinaire faiblesse et d’une extraordinaire irresponsabilité des pouvoirs politiques du bloc américaniste-occidentaliste. La “montée aux extrêmes” n’est pas une politique ni même une manipulation, même si certains s’en servent après qu’elle se soit manifestée, mais fondamentalement une tendance cathartique constante du système. Devant des problèmes et des crises que ses manifestations de force ne peuvent résoudre, mais qui démontrent au contraire son impuissance, le système réagit mécaniquement pour masquer cette situation par une surenchère d’affirmation de force, – tout de même, dans des limites prudentes, qui comprennent évidemment la politique des sanctions qui est l’expression la plus constante de la lâcheté politique et de la fatigue de la psychologie.

Les Russes se trouvent devant des “partenaires” (USA et UE) qui sont, en un sens, encore plus irresponsables (en regard des responsabilités importantes que leur puissance leur confère) et peut-être aussi imprévisible que l’Iran lui-même. Leur manifestation de colère n’est pas un épiphénomène formel, ni même une manœuvre politico-économique, mais bel et bien, d’abord, la manifestation d’un réel embarras ou d’une période d’indécision temporaire sur la ligne à suivre, peut-être avant un nouveau renversement de politique. Leur accueil chaleureux à la nouvelle position iranienne, qui s’accompagne d’un rappel insistant de l’accord Turquie-Brésil-Iran, est la marque de cette situation transitionnelle de la diplomatie russe. (L’accord Turquie-Brésil-Iran est considéré dans nombre de capitales et de cercles occidentaux avec un mépris et une vindicte incroyables, notamment chez les experts du domaine. On sent d’une façon palpable qu’il s’agit là de toute la colère d’un système, et naturellement pas d’une politique dont sont incapables ces psychologies paralysées, devant un acte qui est considéré comme une tentative inadmissible des pays concernés, – surtout la Turquie et le Brésil, – de se saisir de prérogatives qui sont au système seul. C’est à ce niveau de cette vindicte qu’on découvre le malaise catastrophique de l’appareil opérationnel de la politique occidentale, qui est désormais constitué de psychologies absolument sous l’influence d’une pression constate d’un système que plus personne ne contrôle.)

Les Russes ont une partie importante à jouer dans les mois qui viennent, pour laquelle ils n’ont pas encore déterminé leur ligne de conduite. Ils découvrent chaque jour davantage combien les directions politiques américanistes-occidentalistes sont de plus en plus prisonnières d’une logique automatique de montée aux extrêmes sur laquelle elles n’ont plus aucune prise, avec une volonté politique paralysée, paralysie elle-même née de l’épuisement des psychologies. Les Russes ont été les premiers à dire publiquement ce qu’ils jugent être comme la menace fondamentale d’une politique complètement soumise à des pressions automatiques, avec des pouvoirs annexes divers se faisant porteurs d’eau pour ces “pressions automatiques” du système. (Voir Rogozine, notamment le 4 août 2008 et le 9 mai 2009.) Ils ont tenté d’alerter les directions politiques occidentales sur ces dangers d’une véritable confiscation de la politique mais ils sont en train de découvrir que le mal est bien plus profond qu’ils ne croyaient. Ils vont devoir se déterminer en fonction de ce constat de plus en plus pressant. S’ils sont clairvoyants, les Russes pourraient être les premiers à réaliser que la crise finale du système américaniste-occidentaliste, que chacun s’emploie à prévoir de telle ou telle façon, à telle ou telle date, a déjà commencé, sous nos yeux…


Mis en ligne le 28 juillet 2010 à 17H25