La Russie face au regime change

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La Russie face au regime change

D’abord, quelques mots sur l’éditeur du site Dances With Bears, qui pourrait être surnommé “l’homme qui en sait trop sur la Russie”. 

John Helmer est un des plus anciens “correspondants étrangers” couvrant la Russie à Moscou même, depuis 1989. Son statut, en principe de commentateur indépendant, recouvre de nombreuses sources et ramifications, qui font souvent des textes de Helmer (sur son site), outre leur intérêt propre toujours évident, également des rébus ou des puzzles que les initiés peuvent lire au moins “entre les lignes” et entre les sous-entendus. C’est un peu cela qu’on retrouve dans l’annonce par le site Russia Insider (RI), le 10 janvier 2019, de la publication d’un livre de mémoires d’Helmer au titre révélateur des choses qu’on peut révéler et d’autres qu’on ne peut pas révéler : The Man Who Knows Too Much About Russia. Le très court commentaire de RI qui accompagne l’annonce de la publication, en décembre 2018, de ces « fascinants mémoires » est lui-même dans le style rébus à lire “entre les lignes” :

« Ce n’est pas un hasard si, au même moment [où était publié le livre], l’Office for Foreign Assets Control (OFAC) du Trésor américain publiait sa décision de dé-sanctionner les principales sociétés d'Oleg Deripaska, Rusal, EN+ et Eurosibenergo, en les supprimant de la liste publiée huit mois plus tôt.

» Dans l'annonce initiale des sanctions contre Deripaska le 6 avril [2018] par l'OFAC, une tentative de meurtre avait été mentionnée, mais il ne s'agissait pas de la tentative de Deripaska contre Helmer. Ce sont Hillary Clinton et son adjoint au dépaertement d'État, William Burns, qui l’avaient dissimulée. Le pot-de-vin d'un million de dollars des Clinton, le complot pour vendre la division Opel de General Motors à Deripaska, l'implication du gouvernement australien dans la tentative d'assassinat contre le journaliste pour protéger un commerce d'alumine de plusieurs milliards de dollars avec Deripaska, tout cela et plus encore se trouvent dans ce livre. »

Il faut savoir que Deripaska, cet oligarque russe extrêmement riche et douteux dont il est question dans la citation, est clairement mentionné par Helmer, dans son texte plus récent du 18 mars 2019 (20 mars 2019 sur RI) que nous publions ci-dessous, comme l’un des soutiens affichés de Alexei Koudrine. Cet Alexei Koudrine, ancien ministre des Finances, est le prétendant affiché d’un regime change à Moscou, si l’on veut le Juan Guaido russe, en un peu plus retors et expérimenté. Il nous semblerait bien, selon notre simple approche logique sans trop chercher les parties immergées de l’iceberg, que le Trésor n’était pas vraiment informé par le département d’État lorsqu’il a établi sa liste de proscrit en avril 2018, et qu’il a rectifié vite fait en décembre, notamment après lecture (ou en avant-lecture) du livre d’Helmer, sans doute sur conseil et reproche du département d’État. Les américanistes, dans les dédales ubuesques et kafkaïens de leur appareil d’occupation hégémonique du monde, sont coutumiers de ces accidents de circulation labyrinthiques.

Si John Helmer est un homme à multiples facettes, il l’est si l’on s’en tient aux textes qu’il publie, – ce qui est pour nous l’essentiel sinon l’exclusif, – essentiellement au service d’une cause sympathique : la lutte constante contre le parti des Atlanticistes, ou Occidentalistes, ou “libéraux” à la mode-salade-russe, qui tentent de déstabiliser Poutine type-regime change, ou de le faire basculer dans une politique d’accommodement complet, c’est-à-dire d’asservissement à peine tempéré vis-à-vis du bloc-BAO (des USA). L’une des têtes de Turc, ou tête de traître de Helmer est bien entendu Koudrine, incontestable leader institutionnel des “libéraux” qui continue son travail de propagande soutenu par des fonds non mentionnés, – sauf ceux du Camarade Deripaska, sanctionné puis précipitamment dé-sanctionné par l’imprudent Trésor washingtonien.

Le texte ci-dessous organise une confrontation informelle entre deux interventions séparées de quelques jours, celle de Koudrine proposant une capitulation à peine dissimulée comme moyen pour la Russie de “discuter” avec les USA, et celle du chef de l’État-major général, le Général Gerasimov, dont nous avons déjà longuement parlé le 5 mars 2019, où il affirme que la Russie est capable de se battre contre les USA sur tous les fronts et de l'emporter, – et que c'est cela qui doit être fait, si nécessaire. Selon notre point de vue et notre façon de voir, Helmer confirme, directement ou indirectement, au moins deux choses :

• La“5èmecolonne” est, en Russie, parfaitement identifiée et l’espèce de liberté à peine surveillée où elle se trouve, puisqu’après tout elle entretient des liens directs avec l’aile libérale du gouvernement (à partir de Medvedev et à “à l’Ouest” de Medvedev [plutôt qu’à gauche ou à droite, difficile de déterminer]), c’est-à-dire la liberté d’action dont elle dispose est à la fois un handicap et un avantage pour le camp souverainiste-nationaliste : un handicap, on comprend pourquoi, mais aussi un avantage parce qu’on peut suivre sans difficultés l’activisme de cette “5èmecolonne” et éviter dans nombre de cas d’être pris par surprise.

• L’antagonisme entre le bloc de la communauté de sécurité nationale, et notamment l’État-major général, et Koudrine est manifeste, et il nous paraît assez probable que cette force pèse d’un poids important sur Poutine pour maintenir la politique russe de sécurité nationale sur une voie de fermeté. Il est vrai que cette conférence de Gerasimov, qu’Helmer interprète comme une réponse à Koudrine, nous paraît constituer un événement important sur la voie de l’affirmation des forces armées et des milieux de sécurité nationale (les “Organes” aussi) dans la politique russe. Ainsi la partie des déclaration de Gerasimov donnant une nouvelle définition de la guerre, et y incluant, pour ce qui regarde les forces armées, les pratiques de regime change et d’“agression douce”, impliquent sans guère de doute que ces forces armées se jugent fondées à considérer que toute action de déstabilisation venant du groupe des “libéraux”-“5èmecolonne” les concerne directement, et qu’elles se jugent compétentes et autorisées, ces forces armées, à agir contre cela.

• Il est certain que les dernières actions militaires, notamment en Syrie, ainsi que l’équipement en armes très puissantes (missiles hypersoniques) qui assurent aux forces armées russes une supériorité stratégique qualitative sur les forces armées US, renforcent considérablement leur position politique dans l'équation du pouvoir à Moscou. Cette nouvelle posture implique une légitimité fortement renforcée de ces forces armées, et donc une plus grande liberté d’action politique.

(Le texte de John Helmer du 18 mars 2019 porte comme titre initial :

« Alexei Koudrine propose d'offrir au gouvernement américain la moitié de la Crimée, la moitié du Donbass, la moitié des îles Kouriles, la moitié de la Syrie et la moitié du Venezuela – le général Gerasimov propose de combattre les USA sur tous les fronts ».)

dedefensa.org

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Gerasimov contre Koudrine et sa 5èmecolonne

Alexei Koudrine est le plus ancien candidat au changement de régime au Kremlin qui ne soit ni en prison, ni à l’étranger. « Nous avons besoin d'un environnement mondial amical », a-t-il déclaré lors d'une conférence commerciale à Moscou la semaine dernière. Actuellement président de la Chambre des Comptes, l’organisme de contrôle de l’État, Koudrine a expliqué que cela « n’est pas encore pleinement atteint en raison de désaccords géopolitiques mondiaux et des sanctions. La Russie devrait essayer de réduire ce facteur et d'atténuer les désaccords politiques et les sanctions par le biais de pourparlers et d'autres moyens. »

Le remède de Koudrine, a-t-il ajouté, est que la Russie et les États-Unis « doivent se rencontrer à mi-chemin ». On a demandé à Koudrine de préciser ce qu'il entendait par « à mi-chemin ».

Koudrine emploie des porte-parole à la Chambre des Comptes et dans une organisation politique qu’il entretient, le Comité d’Initiative Civile. Cette organisation, créée par Koudrine en 2012 à la suite de sa destitutiondu poste de ministre des Finances, se décrit elle-même comme « uni autour de l'idée de la modernisation du pays et du renforcement des institutions démocratiques ».  Chaque année, le Comité mène des enquêtes sur les conditions régionales, surveille la presse et organise des conférences des organisations politiques qui soutiennent Koudrine.  Le Comité décerne également des prix annuels en argent et une figurine, le Golden Sprout, à des militants locaux sélectionnés. C'est l’organisation permanente de la campagne de Koudrine. Elle ne divulgue pas ses sources de financement sauf pour le cas de Norilsk Nickel, contrôlée par Vladimir Potanine et Oleg Deripaska, à qui elle exprime une “gratitude spéciale”.

On a demandé à M. Koudrine ce qu’il voulait dire par sa référence aux désaccords géopolitiques. Quelle est sa proposition pour l'offre russe dans les pourparlers avec les États-Unis ? Qu'entend-il par « autres moyens » ? Et, concrètement, qu'entend-il par « se rencontrer à mi-chemin » – la moitié de la Crimée donnée à l’ Ukraine ? La moitié de la Syrie affectée à Israël et à la Turquie ? La moitié des îles Kouriles pour le Japon ?

Les bureaux de M. Koudrine à la Chambre et au Comité ont dit qu'il ne répondrait pas par téléphone et ont demandé des courriels. Les questions ont été envoyées. Par téléphone, les deux bureaux ont confirmé avoir reçu les courriels. Mais il n’y a pas eu de réponse de Koudrine.

Il y a un an, alors que M. Koudrine faisait publiquement pression sur le président Vladimir Poutine pour obtenir un poste au sein du nouveau gouvernement doté de pouvoirs spéciaux pour négocier avec les États-Unis, il a présenté un plan qui est une attaque frontale contre le ministère russe de la Défense et son état-major général, avec une réduction du budget militaire, de la capacité de défense et des engagements de la Russie envers la Crimée et le Donbass. On trouvait tous les détails dans des déclarations faites en son nom à un journal de Londres ; Koudrine a évité de le faire lui-même en Russie, pour le public russe. (Pour plus de détails, lisez ceci.)

En mai [2018], alors que sa campagne de promotion politique avait échoué, M. Koudrine s'est rétracté dans un discours à la Douma d’État afin d'obtenir des voix pour confirmer son poste à la Cour des Comptes. (Cliquez ici pour en savoir plus.)  Le vote contre Koudrine a été le plus élevé jamais enregistré contre un candidat à la présidence de la Chambre. Le classement de Koudrine dans les sondages d'opinion nationaux le place dans les dix politiciens les plus suspects et les moins aimés du pays. 

La principale cible de la campagne de Koudrine reste le commandement militaire russe. Le général Valery Gerasimov, chef d'état-major général, a répondu indirectement récemment en donnant un aperçu détaillé de la stratégie russe contre les États-Unis. Son discours intitulé « Vecteurs du développement de la stratégie militaire » a été prononcé à l'Académie des sciences militaires. (Le texte intégral peut être lu en russe ici et en anglais ici.) 

Gerasimov a identifié « les États-Unis et leurs alliés » comme étant engagés dans une guerre permanente de tous types, « Ils travaillent à des actions militaires offensives, telles que des frappes mondiales, une capacité de bataille dans plusieurs sphères, et également l’utilisation des techniques dite des ‘révolutions de couleur’ et de la guerre de communicationIls cherchent à éliminer les structures étatiques de ces pays qu’ils jugent hostiles, à saper leur souveraineté, à changer les organes légalement élus du pouvoir politique. C’était le cas en Irak, en Libye et en Ukraine. C’est actuellement le cas dans le processus en cours au Venezuela... Les résultats obtenus en Syrie nous ont permis d’identifier l’orientation à suivre pour l’utilisation des Forces armées dans le cadre de l’exécution des tâches de protection et de promotion des intérêts nationaux à l'extérieur du territoire national. »

C'est la première fois que l'État-major russe identifie explicitement le Venezuela aux côtés de l'Ukraine et de la Syrie comme une cible de la guerre américaine à laquelle il est dans l'intérêt stratégique de la Russie de s'opposer.

Gerasimov avait eu aussi un mot spécialement pour Koudrine. Dans son discours, Koudrine avait ignoré les militaires dans son idée d'un gouvernement russe coordonné. « Si le système d'application de la loi fonctionne selon son propre plan, alors que les institutions internationales et le ministère des Affaires étrangères agissent seuls et que le ministère du Développement économique essaie d'augmenter le taux de croissance de l’économie à la moyenne mondiale, alors exactement rien ne se passe. Ce devrait être une seule équipe, chacun devrait travailler pour un seul but commun. Toutes les agences gouvernementales devraient synchroniser leurs actions, y compris sous la forme d'un dialogue et d’une conciliation des tâches pour améliorer le climat d’investissement. »

La réponse de Gerasimov : « Le Pentagone a commencé à développer une stratégie de guerre fondamentalement nouvelle, qui a déjà été surnommée ‘Cheval de Troie’. Son essence réside dans l'utilisation active du potentiel de protestation de la ‘cinquième colonne’ pour déstabiliser une situation tout en attaquant les installations les plus importantes avec des armes de haute précision. »

La coordination des ressources de défense de la Russie, selon l'état-major général, exige que les mesures visant à contrer les sanctions économiques américaines, les médias et les cyber-opérations contre la Russie et ses alliés, y compris la subversion intérieure, soient dirigées par l'état-major général. 

« Je tiens à souligner, a déclaré Gerasimov, que la Fédération de Russie est prête à faire face à toutes les nouvelles stratégies : ces dernières années, des scientifiques militaires [russes], en collaboration avec l'état-major général, ont mis au point des approches conceptuelles pour neutraliser les actes d'agression des opposants potentiels. Le domaine de recherche de la stratégie militaire est la lutte armée, son niveau stratégique. Avec l'émergence de nouvelles zones d'affrontement dans les conflits modernes, les méthodes de lutte évoluent de plus en plus vers l'application intégrée de mesures politiques, économiques, d'information et autres mesures non militaires, mises en œuvre avec le soutien de la force militaire. »

La coordination des ressources de défense de la Russie, selon l'état-major général, exige que les mesures visant à contrer les sanctions économiques américaines, les médias et les cyber-opérations contre la Russie et ses alliés, y compris la subversion intérieure, soient dirigées par l'état-major général. 

John Helmer