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1150Cette conclusion, dans notre titre, résume ce que nous pensons être la substance d’un article de Briden Maddox du Times, publié le 7 juillet 2009 à l’occasion du sommet Russie-USA. L’originalité de la chose est que cela concerne l’économie de la Russie, en pleine crise comme tout le monde, mais qui résisterait assez bien et s’en relèverait fort bien, selon un rapport de la Banque Mondiale. De grands compliments sont adressés aux dirigeants russes à propos de la façon dont ils ont réagi. Tout cela fait une sorte de surprise de la part du Times de Londres, dont la russophobie agressive de ces dernières années est un modèle du genre quasiment indépassable et indépassé.
Notre étonnement par conséquent, et notre question : pourquoi ce soudain changement de ton? Mais, d’abord, les pièces du délit. Après un rapide rappel de la situation russe, où Maddox trouve, ô surprise, à côté des habituelles faiblesses quelques éléments de puissance, on enchaîne…
«The element that might change this calculation is the Russian leaders’ recent skilful management of the economy. It not only points to surefootedness in economic management, which their rhetoric has not often suggested. It offers hope that Russia may find its way out of its current sour resentment, and autocratic rule, and into a more stable future.
»A World Bank report last month spelt out the unexpected upside to Russia’s otherwise unsurprising suffering during the crisis. Yes, there has been plenty of damage. Real gross domestic product is expected to shrink by about 7.9 per cent this year (compared with a global fall in output of 2.9 per cent). That is a big shock after a decade of high growth, driven by high oil and gas prices. The stock market lost two thirds of its value in the five months to November 2008.
»Unemployment could now rise to 13 per cent and poverty to 17.4 per cent by the end of the year, the bank warned, noting that the middle class would also shrink by a tenth, or more than six million people, to just over half the population.
»However, the bank, which called the Government’s response “swift, co-ordinated, and comprehensive”, noted that Russia’s leaders had moved quickly to cut spending as the oil price fell (including pushing through an aggressive rethinking of the military). They had arranged a large stimulus, and had responded to the plunge in foreign reserves (figures yesterday showed a net capital inflow of $7.2 billion in the second quarter of 2009, after $35 billion flowed out in the first quarter). The worst effects of the crisis were perhaps past, the bank suggested. If — a huge if — Russia took the chance to reform old industries, and made them more competitive, then it could come out of the crisis with a more modern, diversified economy.
»There are a few slight signs that Russia’s leaders might seize that chance, such as the overhaul of the military (arms, and rules for conscription). Alternatively, they will persist with their technique of blaming others for their problems, and focusing on external threats, not obstacles at home.
»President Obama’s quest of trying to find a new deal to cut stockpiles of nuclear missiles is an honourable one. But its success will depend on whether Russia can be persuaded out of the mindset in which the expansion and success of the European Union and Nato are a threat. The US has had much less success with Russia than with China in persuading it of the value of becoming part of international organisations and laws. Not much in Putin’s or Medvedev’s recent behaviour suggests that they are that way inclined.
»All the same, the weakness of modern Russia, clutching the few great prizes of its recent past, in the form of missiles and oil wells while the rest lies in tatters, is one point of leverage. So is the Russian leaders’ astute reaction to the crisis, which they dubbed the failure of capitalism. That shows that they can set ideology aside and take quick steps in the country’s interest. That can only be a hopeful sign for Russia’s chances of becoming a less fearful and more modern state.»
Aimable enthousiasme contenu, à la britannique, pour la Russie. Le Times est-il en train de se convertir, à l’heure des amabilités Obama-Medvedev-Poutine? Que nenni, c’est plutôt la Russie qui est train de se convertir… Lorsqu’on lit le dernier paragraphe cité là-dessus, eh bien l’on s’en convainc. En effet, c’est bien la réaction avisée des dirigeants russes («the Russian leaders’ astute reaction to the crisis») qui donne de si bons résultats; cette crise, justement, qu’ils attribuaient à l’échec du capitalisme («…to the crisis, which they dubbed the failure of capitalism»); et voilà qu’ils en viennent à bout, et s’ils en viennent à bout c’est bien parce qu’ils ont mis de côté leur penchants idéologiques, qui était justement dans ce cas d’attribuer la crise à l’échec du capitalisme («That shows that they can set ideology aside and take quick steps in the country’s interest»); par conséquent, puisqu’ils sont convertis au capitalisme, comme montre leur action si efficace, tous les espoirs s’ouvrent à eux de devenir un “Etat moins craintif et moderne”, comme le sont les pays anglo-saxons, remarquablement exempts ces dernières années de toute obsession de peur agressive, à l’instar de leurs diverses mobilisations sécuritaires et expéditions guerrières et préventives (« That can only be a hopeful sign for Russia’s chances of becoming a less fearful and more modern state»).
D’ailleurs, c’est l’alternative qui leur reste: continuer à agir avec efficacité, c’est-à-dire en devenant de plus en plus capitalistes, ou bien retomber dans les ténèbres extérieurs de leur plainte constante qu’on leur en veut à l’extérieur, alors que c’est tellement faux. («There are a few slight signs that Russia’s leaders might seize that chance, such as the overhaul of the military (arms, and rules for conscription). Alternatively, they will persist with their technique of blaming others for their problems, and focusing on external threats, not obstacles at home.») La marche triomphale devra d’ailleurs se renforcer avec la prescription que la Russie devra enfin se convaincre que tout le reste, notamment l’expansion de l’OTAN, de l’UE, les anti-missiles, les rodotomontades de Shalikachvili et tout le toutim, tout cela est dans son intérêt et renforce bien entendu sa sécurité, sa prospérité, etc. C’est simple, le succès d’Obama ne dépend certainement pas d’une réduction des armes nucléaires mais bien de convaincre les Russes, justement, que tout cela, – l’OTAN partout autour d’eux, l’UE qui leur fait la leçon, le BMDE et ainsi de suite, tout cela est vraiment dans-leur-intérêt! («President Obama’s quest of trying to find a new deal to cut stockpiles of nuclear missiles is an honourable one. But its success will depend on whether Russia can be persuaded out of the mindset in which the expansion and success of the European Union and Nato are a threat.»)
Quel fascinant exercice sont capables de mener les intellects britanniques quand ils s’y mettent. La crise gronde partout, le capitalisme s’effondre, la City reçoit des £milliards pour ne pas couler, Brown annonce des restrictions budgétaires à crever, l’OTAN est humilié en Géorgie et mène la guerre la plus absurde possible en Afghanistan, les USA coulent sous les $trillions perdus de la Fed et retrouvés à Wall Street, et s’avançant gaillardement vers les 20% de chômage, – et le modèle est plus que jamais triomphant ! Car c’est en le suivant que la Russie contrôle fort bien sa crise, parce que Medvedev-Poutin ont enfin décidé d’embrasser le capitalisme. D’ailleurs, voyez les Chinois, eux au moins ont compris («The US has had much less success with Russia than with China in persuading it of the value of becoming part of international organisations and laws.»)
Mais tout va aller bien, on vous le dit : tous ces ex-dissidents, c’est bien connus, se sont réunis à Ekaterinbourg pour comploter, loin des Occidentaux qui n’y croient plus assez, la résurrection complète, la restauration sans aucune nuance du capitalisme anglo-saxon triomphant qu’ils hésitaient à accepter jusqu’ici et dont ils deviennent les vrais hérauts, – puisque, par ailleurs, il s’agit désormais de s’en faire des amis… Le souffle nous en tombe avec distinction, bras et jambes coupées selon la géométrie de l’Union Jack. Bravo, dame Maddox, bravo l’artiste, – même si ce combat d'arrière-garde de la croyance jusqu'au bout et malgré tout a parfois des allures pathétiques.
Mis en ligne le 8 juillet 2009 à 08H54
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