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17 mai 2006 — En 1997, Joe Dante avait tourné un film insolent et provocateur, sarcastique et pathétique, sous le titre de The second American Civil War. Il envisageait effectivement une seconde guerre civile américaine à partir d’une poussée à l’extrême d’une situation caricaturale où rodomontades médiatiques et quiproquos politico-sentimentaux conduisent à une tragédie : une attaque fédérale contre un Etat provoquant ralliements et antagonismes dans tout le pays et l’ouverture d’un second conflit civil. (Le premier, connu en Europe sous le nom de “Guerre de Sécession”, a duré de 1861 à 1865.)
Dante voyait dans la corruption “douce” mais très profonde du système (communications, médiatisme, virtualisme) un levier suffisant pour conduire à un conflit interne. Cette appréciation polémique ne l’est plus vraiment dans les circonstances actuelles, à cause de circonstances plus tragiques que celles qu’imaginait Joe Dante.
Aujourd’hui, une hypothèse d’une telle Second American Civil War est appréciée d’une façon plus “sérieuse” puisque d’une façon quasiment académique. Indiscutable signe des temps.
Un professeur de Harvard, le Dr. Quinn Mills, “respected Albert J. Weatherhead, Jr. Professor of Business Administration at Harvard Business School”, selon les mots de Dean Barnett dans The Weekly Standard du 15 mai a publié un livre qui décrit une prochaine guerre civile américaine : Blue ! Red !. Bien entendu, il s’agit d’une fiction.
Par ailleurs, dans une étude plus académique, Mills expose le scénario ’Red versus Blue’, avec le sous-titre de : “Political Instability in America”. C’est le signe convaincant que la fiction du “roman” n’est qu’une concession à l’importance de la forme pour diffuser une thèse. Pour le reste, il s’agit bien d’une thèse des plus sérieuses, traduisant également l’exaspération des milieux universitaires et intellectuels à l’encontre de la situation actuelle. Les références à la situation présente, avec des personnages politiques à peine dissimulés derrière des noms fictifs, distinguent décisivement ce travail de tout ce qui a précédé. La politique-fiction est bien plus politique que fiction. Cette fiction est bien une thèse.
Le livre décrit une élection présidentielle contestée, en 2008. C’est la troisième du genre (contesté) et la candidate démocrate (tiens, c’est une femme) se demande s’il ne faut pas envisager une contestation radicale d’un système si complètement bloqué (par les manigances de républicains, of course, Mills étant un universitaire de tendance libérale plus proche des démocrates). Effectivement, l’exaspération gagne le pays, puis il y a des troubles sérieux, avec comme terrains d’élection les matches de football américain. La Guerre Civile, deuxième du nom, commence : Rouges contre Bleus, après les Bleus contre les Gris des années 1861-65.
La réaction du commentateur Dean Barnett de l’hebdomadaire néo-conservateur, tenant du système de blocage ainsi contesté, est au moins aussi intéressante que l’hypothèse développée par Mills. Nous la rapportons en deux extraits.
Première réaction, du type “oui, mais” : « Which isn't to suggest that Mills's project is without any merit. Even if he overstates, the case, he correctly observes that some Americans have lost faith in the reliability of their election system. While institutions such as the Wall Street Journal have railed about the dangerous deficiencies in the system for over a decade, even after the Florida debacle of 2000, state and federal governments led by both parties have failed to meaningfully address the system's flaws.
» And there's nothing inherently wrong with contemplating worst case scenarios. Although the suggestion of a second civil war will no doubt strike most people as implausible in the extreme, it's at worst a harmless intellectual exercise. »
Deuxième réaction (l’extrait ci-après enchaînant sur le précédent) du type “tout est bien verrouillé“: « But where Mills stumbles is in his assumptions about American political passions. If you're reading this story, you're strange; strange in a good way, but strange nonetheless. You're by definition a high-end consumer of news. Few Americans have ever heard of, let alone often read, political magazines or websites.
» Most Americans maintain an attitude towards politics that is best described as benign indifference. Even when the Bush-Gore battle hung in the balance, concerned partisans did not take to the streets in significant numbers. When the Supreme Court put an end to that struggle, there were some delirious Republicans and some despondent Democrats. But most of America shrugged its shoulders and began looking forward to the second season of Survivor.
» There's a good explanation for this. On the global political menu of ice cream flavors, if we called George W. Bush vanilla and Mahmoud Ahmadenijad New York Super Fudge Chunk (with extra nuts), our elections give Americans a choice between vanilla and French vanilla. Elections matter and ideas have consequences. But the American political system has already worked out the biggest questions--democracy, free market capitalism, individual rights, suffrage, etc. Even in the most polarized of times, the differences between the parties aren't so stark as to warrant a manning of the barricades. That's a very good thing.
» Walking around Harvard Yard, however, one may get a different sense. Sometimes it must seem like Paris in 1789 with all the politically inspired fury sprouting up among the lattes. But if Harvard professors want to storm the Bastille — or start a civil war — they'll have to do it themselves. And that's not very likely. »
Nous avons un résumé fort bien fait et exprimé de l’état du système, décrit par Dean Barnett, tenant de la ligne néo-conservatrice dont on sait que les doctrines extrémistes trouvent dans ce système le meilleur terrain du monde pour leur prolifération. Pour Barnett, la thèse Blue! Red! n’a aucun sens parce que le système est bien verrouillé ; parce que les choix ont été faits dès l’origine et qu’il n’y a plus à revenir dessus, parce qu’ils sont la vertu même; parce qu’ils sont appliqués sans restriction, le plus vertueusement du monde ; parce que les Américains ne s’intéressent pas à la politique et que c’est très bien ainsi ; et parce qu’ils n’ont aucune raison de s’intéresser à la politique puisque ‘les choix ont été faits dès l’origine et qu’il n’y a plus à revenir dessus, parce qu’ils sont la vertu même’. Et ainsi de suite.
Sans prendre position sur le scénario du professeur Mills, — qui n’est évidemment dans la forme où il est que pour donner une forme attractive à l’avertissement d’un analyste politique, — on peut observer qu’une autre interprétation que celle que nous en donne Barnett est envisageable. Elle nous dit qu’il a été établi aux USA, notamment depuis le 11 septembre, un régime d’un type nouveau ou, dans tous les cas, un régime représentant un fort durcissement du système originel. Certains parlent d’un régime avec une direction de type militaro-industriel, extrêmement renforcée, fondée sur la priorité maximale donnée à l’option militaire dans tous les cas de crise, avec un système légal et judiciaire intérieur également très durci, avec un accès sans précédent du Corporate Business aux avantages qu’il réclame, et ainsi de suite. Pense-t-on que les forces qui ont installé ce régime courraient le risque de voir se dilapider cette structure ?
En d’autres termes, le départ de la thèse de Mills est très acceptable : tout faire pour empêcher les “amateurs” ou pseudo-“réformateurs” du parti démocrate de remettre le pied dans la direction du système et refaire une élection contestée par les fraudes manifestes qui s’y sont manifestées, et imposer la poursuite de la direction républicaine. La récente et sonore “réconciliation” du sénateur McCain, aujourd’hui candidat le plus affirmé à la désignation républicaine, avec les chrétiens évangélistes qui forment le noyau dur des forces de manœuvre de la direction actuelle, est une indication sérieuse que le système met en place ses exigences, et donc sa tactique offensive pour poursuivre la combinaison actuelle. Une défaite très contestée du candidat démocrate (pour l’instant, Hillary Clinton a toutes les faveurs et tous les moyens pour l’être) pourrait susciter une telle exaspération que des conditions pour des troubles graves pourraient se mettre en place.
A cet éclairage, la phrase de Barnett « Although the suggestion of a second civil war will no doubt strike most people as implausible in the extreme, it's at worst a harmless intellectual exercise » ressemble plus à une incantation un peu inquiète qu’à une affirmation sereine. Ce qu’elle est peut-être.