La situation libyenne vue de Doha

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La “communauté internationale” formée ici en un détachement, dit “groupe de contact”, pour suivre et formater la situation libyenne, s’est réunie hier à Doha, au Qatar. Les échos qu’on en a, à côté de l’habituelle autosatisfaction des communiqués du Système, sont des plus mitigés. Après tout, il y a là une logique de la situation du monde puisque ces échos, dans cette forme mitigée, sont le parfait reflet à la fois de la situation sur le terrain (en Libye) et de la situation internationale générale.

Lisons d’abord le Guardian du 13 avril 2011 au soir. L’article tente de montrer un certain optimisme, notamment avec son titre accrocheur («Libyan rebels receive boost of support from international community – Arab world and western ministers issued unanimous call for Gaddafi to step down, saying regime had “lost all legitimacy”») ; mais la chose est vite et méchamment relativisée par des réserves de taille.

«Muammar Gaddafi's regime has “lost all legitimacy” and he must leave power to allow the Libyan people to determine their own future, the international community warned as it boosted support for opposition forces. After three weeks of Nato-led air strikes, Arab and western ministers meeting in Qatar closed ranks to issue a first unanimous call for Gaddafi to step down, boasting that they were “united and firm in their résolve” about the outcome of the crisis – or, at least, more than they were at the London conference late last month.

»But new signs emerged of disagreements over whether UN resolutions allowed the delivery of weapons to the Libyan rebels, with Qatar pushing hard on this highly sensitive issue…»

Aljazeera.net détaille, dans son texte du 13 avril 2011, ces “réserves de taille” à partir de contacts privilégiés de l’auteur du texte avec des participants à la réunion.

«Al Jazeera correspondent James Bays said some participants had “deep concerns” about providing Libyan rebels, who are fighting to topple Gaddafi from power, with access to funds. “I spoke to the German foreign minister [Guido Westerwelle] and he had concerns over whether it was legal or not,” our correspondent said. “Statements from the UK and Qatar have agreed that the situation in Benghazi is urgent. And most is due to a lack of cash – it's not all about heavy weapons for frontline fighters; it's also about being able to pay public servants and getting schools back open.”»

Dans The Independent, Patrick Cockburn détaille effectivement (le l4 avril 2011) les différents et les mésententes entre les divers membres de cette “communauté internationale” rassemblés dans le “groupe de contact”.

«Britain and France are asking other members of Nato to step up air strikes on Libyan government forces at a meeting of foreign ministers in Qatar that has underlined the radically different policies of the countries involved in the Libyan crisis.

»Divisions between the foreign ministers were also evident over issues such as using frozen Libyan state assets to fund the opposition in eastern Libya and the feasibility of arming the rebels. Germany expressed doubts about the legality of using money belonging to the Libyan government. The divisions spring primarily from the differing objectives of the Nato, Arab and African foreign ministers. Though military intervention by France and Britain was first justified as being for the defence of civilians, in practice they are committed to overthrowing Muammar Gaddafi and his regime.»

L’éditorial de The Independent, ce même 14 avril 2011, est encore plus catégorique. Il n’est quasiment qu’un commentaire informé sur les mésententes au sein de notre “communauté internationale”.

«A few hours of discussion in Qatar yesterday left an impression of modest progress within the Libya contact group that contrasted with the conspicuous lack of progress, so far, on the ground. Two factors clearly remain as problematic as ever: the intrinsic weakness of the anti-Gaddafi opposition and the legal position relating to outside assistance. The 10-point communique bore the hallmarks of much hedging.

»In an advance on the London meeting, which established the contact group, there was agreement that Muammar Gaddafi's continued presence threatened any resolution to the current crisis, but no open support for regime change imposed from outside. There was no agreement either on the permissibility of supplying weapons to the anti-Gaddafi forces. One question is whether the embargo that currently applies to Libya bans arms supplies to everyone, or just to the Gaddafi regime. Another is whether the regime's frozen assets abroad can be unfrozen to fund the rebels' cause. The additional help approved in Doha was described as non-lethal or humanitarian – with more than 3.5 million people said to be in need.

»As the past three weeks have demonstrated, what amounts essentially to more of the same may not be enough to bring the opposition forces victory, at least not soon. And if it is not, what then? The UN mandate does not extend to the forcible removal of Gaddafi – who shows no sign of readiness to give up power voluntarily – and the requirement to protect civilians can apply equally to opposition-controlled areas as to those controlled by Gaddafi. It can be stretched only so far in tipping the advantage towards the rebels.»

L’éditorial nous signale également les mésententes plus précises au sein de l’OTAN, et nous confirme l’humeur toujours aussi belliqueuse de Sarko, – laquelle ne semble nullement partagée, par personne au demeurant… «A Nato meeting today and tomorrow will be an opportunity for the alliance to review the efficacy of its operations to date, but statements yesterday suggested that the French President's impatience is not shared by either Britain or the Nato secretary général…»

Bref, Doha et sa réunion nous confirment l’état particulièrement désordonnée et anémique de la coalition d’inspiration encore plus BHL-sarkozyste qu’américaniste-occidentaliste. Il est recommandé de suivre la situation de la crise libyenne selon deux voies d’observation, deux perspectives, deux lectures, etc. D’une part la situation sur le terrain, d’autre part le psychodrame, plus psychologique que dramatique d'ailleurs, en cours entre alliés indéfectibles du bloc BAO et leurs supplétifs prudents et parcimonieux de tel ou tel point dans le monde moyen-oriental.

La situation particulière de cette nébuleuse interventionniste est qu’elle se comporte selon les canons américanistes-occidentalistes, mais avec les USA pratiquement absents des premières lignes, – d’ailleurs avec d’autres chats à fouetter, avec la marche vers un colossal affrontement entre le président et les républicains à propos du déficit budgétaire. (La chose pourrait avoir des répercussions bien plus déstabilisantes que les raids contre la Libye.) Certes, les USA participent encore subrepticement aux attaques contre la Libye, mais cette fois l’argument technique est plausible. Onze avions US sont affectés à ces raids, dont six F-16 et, surtout, cinq EF/A-18G Growler, très récente version de guerre électronique du F/A-18, particulièrement “lourde” et un de ces modèles d’avion dont seuls les USA disposent, spécialisés dans l’attaque des défenses anti-aériennes ; bonne occasion pour les USA de tester le Growler en situation opérationnelle. Pour le reste, les USA ne veulent pour l’instant pas d’implication visible et coûteuse dans le conflit, qui les y engagerait d’une manière formelle. Par conséquent, l’on peut mesurer combien cette agitation guerrière, désormais assumée par un Sarko en quasi-crise d’exaltation permanente, est une constante psychologique de tout le bloc BAO, même quand les USA sont absents pour pousser à la roue ; pour ainsi dire, la psychologie neocon nous est consubstantielle depuis quelques années... Cela ne veut pas dire du tout que nous gagnions des guerres, que nous soyons à la fois Alexandre, Jules César et Napoléon ; cela veut dire que nous ne pouvons pas nous empêcher d'exsuder un permanent besoin de guerre, comme une loghorrée, et de proclamer que c'est une guerre juste, comme une démangeaison de notre exigeante vertu morale et ménagère, – pour découvrir enfin qu'il faut la faire, cette guerre.

D’un autre côté, même si le principe de la guerre est chéri et jugé irrésistible, les américanistes-occidentalistes sont loin de présenter une unamité convaincante, et encore plus loin de disposer de toute la dynamique d’influence pour peser à leur guise sur les décisions générales. Pendant qu’ils se réunissaient à Doha, le nouveau ministre des affaires étrangères de Kadhafi se baladait en Turquie, en Grèce et à Malte, soit des pays diversement engagés dans les organisations-fanions du bloc BAO, membres ou proches de l'OTAN, de l'UE, etc., avec les connexions qui vont avec, les engagements et les conceptions qui vont de soi, etc. On l’y accueille avec intérêt et respect, alors que deux pays de l’OTAN et de l’UE (France et Italie) ne reconnaissent plus son gouvernement comme représentant légalement la Libye, mais plutôt le directoire des rebelles. Pendant ce temps, les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et, – nouveau membre depuis mars-avril 2011, – Afrique du Sud) se réunissent en Chine et parlent notamment de la crise libyenne sur un ton assez désapprobateur pour la partie américaniste-occdentaliste. Le président de Russie Medvedev voudrait transformer la mission de paix de l’Union Africaine, dont le président de l’Afrique du Sud Zuma est indirectement mais fermement le mentor, en une initiative bilatérale Russie-Afrique du Sud. D’autre part, les Russes tiennent en réserve la possibilité d’une proposition d’initiative du même genre avec la Turquie ou/et avec l’Allemagne.

Sans doute certains continuent-ils à voir dans l’entreprise de la “communauté internationale” contre Kadhafi un faux nez pour une opération d’hégémonie et de conquête du bloc américaniste-occidentaliste. Pour cela, il faudrait que la “communauté internationale” et le bloc BAO existassent vraiment et de façon convaincante, c'est-à-dire en tant que tels. Pour l'instant, c'est plutôt un théâtre d'ombres.


Mis en ligne le 14 avril 2011 à 11H43

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