La situation se durcit fortement en se fluidifiant rapidement...

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La situation se durcit fortement en se fluidifiant rapidement...

Les déclarations du secrétaire général adjoint à l’OTAN Vershbow, un diplomate américaniste du type classique qui s’est excellemment mis au goût du jour de la “diplomatie armée” (weaponized diplomacy”, dit-on à Washington), ont raisonné à Riga, capitale de la Lettonie. Vershbow a clairement parlé d’un Maidan-en-Russie, employant effectivement le mot de Maidan qui a désormais dans le langage transmuté de la communication une connotation agressive et subversive par rapport aux autorités en place contre lesquelles il est dirigé.

L’ambassadeur russe à l’OTAN Grouchko lui a répondu par une déclaration où, lui aussi, utilise le mot de Maidan, ce qui constitue clairement une prise en compte et une dénonciation d’une volonté agressive de subversion, pour renverser par l’action de la rue les autorités en place. Cette utilisation d’un mot aussi chargé par son emploi et par l’image de communication qu’il véhicule constitue une avancée incontestable de l’aggravation de la guerre de la communication, dont on sait qu’elle constitue l’aspect principal de l’expression de la puissance déchaînée aujourd’hui entre les divers participants à la situation crisique générale du monde, particulièrement dans cette crise qui devient en enchaînement crisique extrêmement puissant entre la Russie et principalement les USA (avec l’OTAN dans la poche arrière). RT rapporte ainsi l’incident (le 6 mars 2015), ou plutôt l’échange de communication dont le très haut niveau officiel est la marque principale.

«The latest statements by the deputy head of NATO testify to the fact that the leaders of the bloc want to intervene in Russia’s internal politics, and are “dreaming of Russian Maidan.” This is the view of Russia’s permanent envoy to NATO. “The speech in Riga demonstrates the concern about Russia’s democracy and internal policy. At last, now we know that NATO has a dream, and this dream is a Maidan in Russia,” Aleksandr Grushko said in comment that was tweeted through the Russian representation office in the alliance.

»Grushko referred to the words of NATO's deputy secretary general, Alexander Vershbow, who had told a conference in the Latvian capital Riga that President Vladimir Putin's "aim seems to be to turn Ukraine into a failed state and to suppress and discredit alternative voices in Russia, so as to prevent a Russian 'Maidan.'" Both officials used the Ukrainian word ‘Maidan’ to describe a string of protest actions that eventually turned into mass unrest and the ousting of the legally elected president and parliament.

»“By demonizing Russia, NATO creates a virtual reality, disconnecting itself from real threats to security,” the Russian envoy said. Grushko added that NATO itself has used “hybrid warfare” against foreign states and now the alliance is attempting to accuse Russia of starting such a war in Ukraine. “NATO has a long history of hybrid operations. Any country or organization can take a lesson from it. We have earlier seen these signs of military intimidation, hidden involvement, weapons supplies,economic blackmail, diplomatic duplicity, mass media manipulations and open disinformation,” the Russian envoy stated...»

• Il s’agit de la marque d’un durcissement général de la situation, principalement de la part des USA dont on sait d’une façon incontestable et indiscutable, sinon officielle, qu’ils veulent à tout prix saboter la situation nouvelle établie en Ukraine par l’accord Minsk2, sous la pression des Franco-Allemands. Ce durcissement de la partie américaniste, outre l’occurrence de Minsk2, est l’effet bien entendu de leur politique-Système maximaliste et belliciste, mais aussi, du point de vue de la psychologie qui joue un rôle prépondérant dans la justification de cette politique-Système dans le chef de ceux qui croient la conduire alors qu’ils ne font que suivre et entériner une dynamique qui les dépasse évidemment. Ce point de vue de la psychologie est marqué par une fureur considérable, constante, qui constitue le moteur du jugement US sur la politique à suivre, – ce qui laisse à penser, à la fois du “jugement” et de la “politique”.

Il est assez rare de lire dans un journal du bloc BAO, surtout britannique, un argument expliquant, contre cette fureur-Système du bloc, la position russe, et la défendant dans toute sa cohérence et toute sa justesse. Il faut donc mettre en évidence le cas de Peter Hitchens, journaliste du Daily Mail publiant dans The Spectator de Londres une défense de la position russe. Hitchens ne ménage pas pour autant Poutine, mais en mettant la chose en perspective  : «Mr Putin’s state is, beyond doubt, a sinister tyranny. But so is Recep Tayyip Erdogan’s Turkey, which locks up far more journalists than does Russia. Turkey is an officially respectable Nato member, 40 years after seizing northern Cyprus, which it still occupies, in an almost exact precedent for Russia’s seizure of Crimea. If Putin disgusts us so much, then why are we and the USA happy to do business with Erdogan, and also to fawn upon Saudi Arabia and China?»

SputinikNews donne un résumé de l’article en français, le 6 mars 2015 : «Après 23 ans de complaisance à l'égard de l'Occident, la Russie a adopté une politique indépendante, ce qui n'a pas tardé à provoquer la colère de Washington et de Bruxelles... [...] “Moins la Russie est docile et plus sa politique est considérée comme une agression”, indique [Hitchens] dans son article intitulé “Ce n'est pas Poutine qui bâtit un empire, mais l'Otan”. [...] “La nouvelle guerre froide a commencé en 2011, après que M. Poutine eut osé déjouer les plans de l'Occident et de l'Arabie saoudite en Syrie”, estime l'analyste. Selon lui, ni Washington, ni Bruxelles n'ont prévu la réaction violente de la Russie à la décision de l'Ukraine de signer un accord d'association avec l'UE et au coup d'Etat à Kiev qui a renversé le président légitimement élu Viktor Ianoukovitch.»

La conclusion de Hitchens dans The Spectator, le 7 mars 2015, vaut citation. Hitchens rapporte quelques saines vérités, notamment la complaisance du bloc BAO lorsque Eltsine faisait tirer sur son Parlement en 1993 ou bombarder la Tchétchénie en 1995, par comparaison à notre rigorisme moral présent qui ne laisse pas passer l’ombre d’un seul char fantôme-stealth et russe stationné en Russie, à moins de vingt kilomètres de la frontière ukrainiennes. A noter que Hitchens mentionne également de façon circonstanciée l’intervention de Friedma qui a mis les choses au point sur le putsch du boc BAO à Kiev, en février 2014.

«Boris Yeltsin permitted western interests to rape his country, and did little to assert Russian power. So though he bombarded his own parliament, conducted a grisly war in Chechnya, raised corruption to Olympic levels and shamelessly rigged his own re-election, he yet remained a popular guest in western capitals and summits. Vladimir Putin’s similar sins, by contrast, provide a pretext for ostracism and historically illiterate comparisons between him and Hitler.

»This is because of his increasing avowal of Russian sovereignty, and of an independent foreign policy. There have been many East-West squabbles and scrimmages, not all of them Russia’s fault. But the New Cold War really began in 2011, after Mr Putin dared to frustrate western — and Saudi — policy in Syria. George Friedman, the noted US intelligence and security expert, thinks Russia badly underestimated the level of American fury this would provoke. As Mr Friedman recently told the Moscow newspaper Kommersant, ‘It was in this situation that the United States took a look at Russia and thought about what it [Russia] wants to see happen least of all: instability in Ukraine.’

»Mr Friedman (no Putin stooge) also rather engagingly agrees with Moscow that overthrow last February of Viktor Yanukovych was ‘the most blatant coup in history’. He is of course correct, as anyone unclouded by passion can see. The test of any action by your own side is to ask what you would think of it if the other side did it.

»If Russia didn’t grasp how angry Washington would get over Syria, did the West realise how furiously Russia would respond to the EU Association Agreement and to the fall of Yanukovych? Perhaps not. Fearing above all the irrecoverable loss to Nato of its treasured naval station in Sevastopol, Russia reacted. After 23 years of sullenly appeasing the West, Moscow finally said ‘enough’. Since we’re all supposed to be against appeasement, shouldn’t we find this action understandable in a sovereign nation, even if we cannot actually praise it? And can anyone explain to me precisely why Britain, of all countries, should be siding with the expansion of the European Union and Nato into this dangerous and unstable part of the world?

»The era of stable governments is over.»

• Arrêtons-nous à cette dernière phrase de Hitchens («The era of stable governments is over»), – en notant comme une indication précieuse que Hitchens met “gouvernements” au pluriel et non plus au singulier, alors qu’il n’est question dans son article que de l’attitude agressive contre la Russie ... Cette utilisation d’une lettre (le s) suggère que dans la partie gravissime qui se poursuit et s’approfondit, et où la Russie est la cible désignée de la “guerre asymétrique”, l’on pourrait avoir des surprises, à propos d’autres gouvernements, cette fois dans le bloc BAO, par des enchaînements de circonstances et de réactions.

En attendant, c’est en Russie même que, selon certains points de vue, la situation se durcit après l’assassinat de Nemtsov (voir le 2 mars 2015). Il est certain que cet événement, entouré des soupçons divers sur les auteurs et des agitations enregistrées du côté des libéraux-occidentalistes, avec le soutien habituel de l’appareil de la communication du bloc BAO, a provoqué en contrecoup un durcissement de l’aile droite politique russe, à la droite de Poutine, du côté des nationalistes. On en a un signe avec une intervention de Evgueni Fedorov, de la droite du rassemblement poutinien et regroupé au sein de son parti nationaliste NLM (Fedorov affirme que le NLM a 100 000 membres). Fedorov a déjà fait de nombreuses interventions pour dénoncer le projet Maidan-en-Russie des USA (voir par exemple le 31 mai 2014 sur YouTube, sur le sujet d’une “attaque US [type Maidan] contre la Russie en 2015”). Le 5 mars 2015, FortRus retranscrit en anglais une interview de Fedorov sur le thème de “la révolution russe a commencé” après l’assassinat de Nemtsov. On peut lire dans l’extrait ci-dessous que Fedorov promet des initiatives violentes de la part de ses partisans si de nouvelles provocations, comme il l’estime probable, ont lieu.

«Considering they will have more provocations, will raise the bar of spilling blood. They will attempt to achieve victory. We will have to mobilize. But this will be a separate story, and we will talk about this separately.

»If we talk about the policy of NLM, I will tell you, there is a policy of waiting and a policy of attack. The attack should be on the United States, the American embassy. As soon as we receive confirmation of the information about the connection of the murderers [of Nemtsov] with the American and Ukrainian secret services we will have to raise the agenda of the expulsion of American ambassador, and raise pressure on the embassy, and throw this entire system out of our life. The second moment is – they had delayed yesterday's Maidan, because they decided to raise the social factor. And the social factor is a sudden impoverishment of the people, which will increase the number of the unsatisfied, and it will be raised in a few months.»

Kristina Rus, du site FrontRus fait un commentaire particulièrement alarmiste de cette interview estimant que la Russie est effectivement sur le point d’entrer dans un cycle de violence. Il n’est pas assuré que cette analyse soit acceptée unanimement, y compris par des personnes sur place, en Russie, mais elle a son intérêt dans un cadre qui est celui d’une guerre de la communication: «I am afraid any measures from the side of the patriots will be met with a mirror or more drastic response from the liberals. The murder of Nemtsov definitely brought the smell of an approaching storm into the Russian atmosphere. The situation is very fragile, and the problem is how to strike the balance between defense and reconciliation to calm the level of hysteria among the two camps which the Russian society is rapidly sorting itself into. While it's clear that the numbers are on Putin's side, all that matters are the moods and intrigue inside the Kremlin and what happens in downtown Moscow.»

Il n’y a, dans ces diverses considérations, rien de précis ni d’assuré, dans la perspective de l’évolution des relations entre la Russie et les pays du bloc BAO, et dans la perspective de l’évolution de la Russie. Il y a, d’une façon générale, la perception qu’il s’agit d’une situation qui ne cesse de se tendre, de s’aggraver. Comme on ne cesse de le remarquer et de le mentionner, cette aggravation se fait essentiellement au niveau de la communication, sans apporter de modifications décisives sur le terrain, y compris dans les événements. Ainsi, c’est dans le cœur d’une des périodes les plus apaisées de la situation dans la Novorussya, après les accords Minsk2, que se situe cette aggravation, pour un assassinat (Nemtsov) dont les conditions sont extrêmement suspectes dans le sens où elles nourrissent des hypothèses dans tous les sans et sans aucune certitude d’aucune sorte (même des hypothèses crapuleuses ou de l’ordre des affaires intimes sont évoquées).

Ainsi a-t-on bien du mal à saisir, par exemple, la réalité de la tension à l’intérieur de la Russie dont font état Fedorov et Kristina Rus. Il est vrai que ces descriptions d’une situation si fortement tendue contrastent singulièrement avec des indications que nous recueillons de visiteurs de Russie, dans ces dernières semaines, faisant état d’une situation de grand dynamisme et d’une certaine “union nationale” devant les difficultés dues aux sanctions, agissant alors, dans ce cas, plutôt comme un élément rassembleur. De même pour l’OTAN et alentour, où les affrontements de communication sont d’une puissance et d’une gravité inouïe, lorsque deux officiels haut placés (Vershbow et Grouchko) débattent ouvertement et d’une façon antagoniste de rien moins que de la possibilité d’un “putsch”, avec les guillemets rendus nécessaires par les méthodes étranges de la communication, contre le gouvernement de la Russie. Pendant que Vershbow évoque de façon aussi ouverte un “putsch” à Moscou plus ou moins et même plutôt plus que moins ouvertement “sponsoré” par l’OTAN, le Premier ministre italien, d’un pays notoirement et vertueusement membre de l’OTAN, vient de terminer une visite à Moscou où il a vu Medvedev et Poutine, et où il a hautement affirmé le désir commun (Russie et Italie) de la poursuite et de l’accroissement de bonnes relations au milieu de l’imbroglio des sanctions, et jusqu’à des perspectives de coopération militaire avec la Russie contre le désordre anarchique qui règne en Libye. Là aussi, les affrontements de la communication semblent en complet décalage avec la présente vérité de la situation.

Le résultat le plus important de cette dynamique est l’aggravation constante de l’incertitude et de la tension psychologique sans que la cause de cette aggravation soit elle-même identifiée comme réelle ou pas, fondée ou non, etc. L’incertitude et la tension psychologique sont d’autant plus grandes que cette aggravation côtoie, sans que personne n’y voit de contradiction qui puisse être décisive en aucune façon, des situations qui vont dans un sens complètement opposé, de démarches de normalisation, et même de renforcement des liens entre partenaires qui devraient suivre cette ligne antagoniste. Ce mélange étonnant et si complètement contradictoire, du renforcement à la fois et simultanément du durcissement et de la fluidité de la situation, est le caractère essentiel de cet affrontement de la communication qui marque cette situation crisique fondamentale de la crisse Ukraine-Russie et tout ce qui l’accompagne. La conséquence est l’ouverture complète de l’éventail des possibilités, la surprise partout et à tout moment possible, l’absence complète d’orientation ferme où l’on puisse bâtir quelque chose de durable. Le paradoxe est que les situations d’éventuelle confrontation sont plus claires, dans le cas qui nous occupe, entre alliés du bloc BAO, qu’entre les divers composants du bloc avec la Russie. Bien entendu, le moteur essentiel de tout cela est plus que jamais le Système et, essentiellement, les USA qui représentent le Système avec un zèle extraordinaire en évoluant plus que jamais sous l’aspect que décrit Orlov, – «De l’extérieur, regardant dans la salle des miroirs sans tain de l’Amérique, cela ressemblera à un pays devenu fou; mais il y ressemble déjà de toute façon.» Folie, durcissement, fluidité, Maidan affiché, la formule complexe et exotique du désordre postmoderne toujours en devenir d’hyperdésordre.


Mis en ligne le 7 mars 2015 à 13H12