La situation washingtonienne et la “panique-JSF”

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La situation à Washington, par rapport à l’évolution du travail de la commission dite “Super Congrès” chargée de programmer des réductions budgétaires de $1.200 milliards, est caractérisée par un climat pathétique de désordre et d’alarme qui, dans certains cas, suscite des réactions proches de la panique. On a un aperçu de cette situation sous l’angle des agences de notation, ce même 25 octobre 2011.

C’est à partir de cette description générale du climat washingtonien qu’il faut envisager l’attitude du complexe militaro-industriel (CMI), que ce soit l’industrie d’armement ou le Pentagone. Des chiffres de réduction budgétaires sont propagés comme autant de rumeurs, alimentant un climat de panique particulièrement intense pour le CMI. Tout de même, comparés à l’énormité du budget (formel et surtout réel, – entre $750 et $1.200 milliards annuels), ces chiffres paraîtraient assez peu impressionnants. C’était ce que voulait démontrer Loren B. Thompson le 15 octobre 2011, sur AOL.Defense.com, en s’arrêtant plus précisément sur les capacités du “Super Congrès” à imposer, directement ou par défaut (absence de choix) des réductions importantes au Pentagone.

«The bottom line is simply this. Our current preoccupation with the deliberations of the super-committee is based on a misreading of how deficit-control efforts are likely to play out in the years ahead. This political system is not ready to impose draconian budget cuts on anybody, and it will find multiple excuses going forward for not doing so. Defense spending is unlikely to fall at anything like the rate that many analysts expect, and if Republicans win the White House in 2012, military budgets will probably rise. The super-committee is a useful exercise in assessing fiscal alternatives, but whether it finds the savings required by the Budget Control Act or not, the big cuts currently being discussed aren't going to happen, because almost nobody in Washington supports them.»

Si l’on considère la situation d’un point de vue objectif et comptable, Thompson n’a pas tort. Mais c’est bien entendu sans prendre en compte le facteur essentiel de la situation, qui est psychologique et qui alimente un flux de communication très puissant, auquel sont sensibles nombre d’autorités et à partir duquel sont prises les décisions. Ainsi annonce-t-on régulièrement, depuis un mois, des mesures préventives de réductions de la part des forces armées, pour anticiper ces éventuelles réductions budgétaires. (Par ailleurs, la gestion et les coûts du Pentagone sont dans un tel état de désordre et d’incontrôlabilité qu’il n’est pas nécessaire d’envisager des réductions budgétaires pour justifier un état de crise. Cet état de crise existe d’ores et déjà, et la psychologie de panique y trouve évidemment un aliment de choix…)

Dans ce climat, un programme est revenu au centre des préoccupations, des spéculations, des alarmes et des critiques, et il s’agit bien entendu de notre cher JSF dont nous avons assez peu parlé ces derniers temps. Des déclarations devant le Congrès, le 13 octobre 2011 (sur DoD.buzz), du nouveau président du comité des chefs d’état-major, le général Dempsey, ont largement alimenté les alarmes. Dempsey y déclarait que le budget actuel du Pentagone (sans réductions) rendait extrêmement difficile d’envisager le développement des trois versions du JSF : «…Appearing with Secretary Panetta before the House Armed Services Committee, Dempsey said “I’m concerned about the three variants, whether we can afford all three.” In doing so, the chairman took a dramatically different line from other DoD leaders, saying not ‘We must have the jets and we’ll get their costs down,’ but ‘We need an airplane but we might not be able to buy the ones we’re trying to roll out’.»

Ce climat n’a pas manqué de toucher au cœur le même Loren B. Thompson, cité plus haut. Déposant sa plume de commentateur des questions budgétaires militaires dans le cadre des habitudes du système washingtonien, Thompson s’est saisi de celle de l’ardent défenseur du JSF qu’il est, peut-être par conviction bienvenue, certainement par engagement contractuel avec Lockheed Martin, qui le rétribue à mesure. Du coup, la situation qui paraissait sous sa première plume assez anodine et contrôlable le 15 octobre, devient dramatique dans son texte du 21 octobre 2011 sur le site du Lexington Institute (Early Warning).

«The Department of Defense in conducting a strategic review in order to determine where funding can be cut without impairing the nation's global military posture. The review could result in reducing the number of Navy aircraft carriers, terminating several Army vehicle programs, and trimming the number of amphibious warfare vessels available to the Marine Corps. The joint force can probably absorb all of these changes without seeing its global reach greatly diminished. However, if the F-35 Joint Strike Fighter is significantly reduced, it's “game over” for America's global military posture.

»Very few politicians or pundits seem to grasp the pivotal role that F-35 plays in future military plans. In fact, it is the program most frequently cited as a potential bill-payer for other priorities – partly because it is the biggest, and partly because many commentators don't know the names of other major weapons programs…

»What this pattern reflects is an ingrown acquisition culture so absorbed by its own internal rhythms that it has lost touch with larger purposes. It says it is saving taxpayers money when in fact it is driving up costs and delaying production to a point where the business case for its most important weapons program has been significantly weakened. Such behavior may help political appointees to get promotions, but over the longer term it will contribute to America's military decline and ultimately get warfighters killed. We should all fervently hope that Secretary of Defense Leon Panetta imposes some discipline on this system before it destroys the only program that can assure command of the air for the next two generations. If F-35 falters, there is no Plan B to keep America on top.»

Ce désordre complet, autant dans les informations, dans les évaluations que dans les commentaires, avec les complications des diverses interférences de quasi corruption accompagnant les positions de lobbying des uns et des autres, rend très difficile de mesurer la vérité de la situation. Le cas de Thompson est révélateur : dans son premier texte, il est logique et assez mesuré dans ses jugements, et il restitue une analyse acceptable ; dans le second, il rend compte de l’irrationalité, des alarmes excessives, des réactions infondées ou passionnées, et cela paraît restituer une analyse complètement contraire au sérieux des questions envisagées. C’est pourtant le second texte qui rend le mieux compte de la vérité de la situation, car la situation est à mesure des “réactions infondées et passionnées”, et du reste… Et le fait est que les grandes directions, notamment celles des services armées, tiennent plus compte de cette vérité que des calculs rationnels à-la-Thompson ; et elles commencent déjà, ces grandes directions, a prendre anticipativement des décisions de programmation dans ce sens.

Par conséquent, les alarmes de Loren B. concernant le JSF, quelque excessives qu’elles paraissent selon sa propre approche rationnelle, sont complètement justifiées par rapport à la vérité de la situation et du climat à Washington. Par conséquent encore, on finit tout de même par retrouver une certaine logique, parce que la description mesurée que fait Thompson de la situation des possibles réductions budgétaires, pour mettre en évidence que la position du Pentagone n’est pas si mauvaise, cette description ne tient aucun compte de la catastrophique situation véritable du Pentagone, – même sans réductions budgétaires. Ainsi, son alarme en apparence injustifiée pour le JSF, et semblant plutôt un argument de convenance orientée, de lobbyiste de Lockheed Martin, l’est au contraire complètement. Derrière Loren B., ce sont à la fois le Pentagone et Lockheed Martin qui paniquent pour l’avenir du JSF, avec certains, comme le général Dempsey, qui envisagent déjà des mesures de réduction qui peuvent entraîner le JSF dans une “spirale de mort” définitive. Et il se trouve alors que cette panique n’est pas injustifiée, en même temps qu’elle contribue, dans un cercle vicieux d’autodestruction bien connue, à renforcer encore plus la perception d’une situation catastrophique du Pentagone. Bref, là aussi, la situation se développe sans surprise majeure, dans l'entraînement d'un tourbillon de désordre et d'une psychologie complètement bouleversée.


Mis ebn ligne le 25 octobre 2011 à 12H07