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137010 août 2009 — Il n’importe pas de s’exclamer, de chicaner, d’argumenter. Oui, sans aucun doute, – comme l’on dit “Yes, we can”, – Barack Hussein Obama a été élu pour le changement. Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou pas, qu’on cherche dans cette analyse si sommaire la naïveté ou la crédulité en arguant que ce destin (celui de BHO) est d’abord un montage, – c’était là, incontestablement, son destin. (Nous avons écrit “c’était” au passé, en vérité, involontairement… Mais laissons cela, y compris l'emploi du passé.)
Ecartons donc les machinations, les supputations et les constructions compliquées, les manœuvres et les jugements expéditifs mais fourmillant de sous-entendus, – “marionnette” de Wall Street et des environs, “messie” et “Mandchurian candidate” à la fois, – écartons tout ce qui répond à ce terrible diktat de la raison scandalisée, qui ne comprend rien à cette Histoire déchaînée: “pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?” Il s’agit de juger des choses comme elles sont, d’abord, pour voir. Le spectacle est éclairant et édifiant, et, en un sens, il se suffit à lui-même.
Il est vrai, remarque Rupert Cornwell dans The Independent, le 8 août 2009, que cela fait 200 jours que BHO est président (le 9 août, exactement). Sa popularité s’érode régulièrement et désormais d’une façon significative et inquiétante; elle est au niveau de ce qu’elle était pour GW Bush en août 2001. (N’en concluez pas nécessairement qu’il y aura une attaque le 11 septembre 2009, pour faire remonter les sondages.) L’Observer du 9 août 2009 observe, comme son nom l’indique: «A recent Quinnipiac University poll showed his approval rating had fallen to just 50%, shaving seven points from his figures in June. A CNN poll also showed a steady decline, pegging his approval at 56%, which was seven points off his standing in April.»
Le doute a donc envahi son destin. Les jugements commencent à se colorer de ce désenchantement à la fois amer et sceptique, à la fois soupçonneux et méprisant, aussi bien stérile que nihiliste, – ce poison de l’esprit, qui serait bien après tout la version postmoderne et washingtonienne du tædium vitae de l’autre Empire… Il n’y a pas cette dimension du tragique qu’ignore l’américanisme, parce que l’élan suscité autour de BHO , à l’occasion de son élection, était en fort grande partie d’une forme spectaculaire au sens propre du mot, “pour le spectacle”, c’est-à-dire hollywoodienne, et que le désenchantement ne peut être qu’à cette mesure de la médiocrité.
Effectivement, tout est petit et assez pauvre dans cette aventure de la montée de son impopularité, et la forme de l’opposition républicaine donne le ton à cet égard. Cornwell est alors fondé d’observer: «When the temperature edges into the 90s, and the political debate becomes as stifling, enervating and unpleasant as the weather. When a poster depicting the 44th President as a red lipstick-daubed Batman-style Joker alongside the word “Socialism” becomes a major political talking point.
»When cable TV shows resurrect, for the umpteenth time, the canard that Barack Obama was not born in the US, even though his Hawaii birth certificate is available on the internet. And, it should also be said, when the President gratuitously and injudiciously wades into the arrest of a Harvard professor, elevating a minor incident in a Boston suburb into a national drama. […]
»This President remains the epitome of cool, but even a rock-star politician is a politician nonetheless. Every would-be occupant of the White House campaigns for office vowing “to change the way Washington Works”, but Mr Obama's remarkable life story and stunning political ascent seemed to make that promise credible. In reality, however, the dazzle of a new dawn is fading, obscured by the quiet fog of business as usual – of a political system in which lobbyists and special interests as ever reign supreme.»
Les républicains, qui ne représentent plus qu’eux-mêmes, c’est-à-dire pas grand’chose d’un parti qui s’est perdu dans le pinacle virtualiste d’un destin grandiose marqué par la seule représentation de la communication et par de réelles catastrophes dans la réalité, mais toujours marquées par la médiocrité et la stupidité, les républicains (avec les démocrates selon ce classement) jouent effectivement le rôle assigné à cette “droite” par le mot immortel de Bill Maher : «The Democrats have moved to the right, and the right has moved into a mental hospital»; et le résultat, enchaînant directement, est celui que décrit Jeff Huber: «There’s no need for anyone to challenge our hegemony; all they have to do is sit back and watch us collapse under the weight of our own stupidity.»
Il paraît qu’ils (les républicains si l’on veut, mais enfin il s’agit surtout du n’importe quoi) ont trouvé leur “cause célèbre” (les Américains emploient l’expression française dans le texte): la réforme du système de santé (Health Care, ou “sécurité sociale” en France, – expression française qui n’a pas grand sens, sinon un sens impie pour l’américanisme, qui ne conçoit pas une intervention régalienne pour assurer la santé du citoyen, dans un système qui abhorre la dimension régalienne, en plus de ne pas l’avoir et parce qu’il ne l’a pas.). La chose fait même désormais passer le frisson de la révolte, telle que relevée par The Observer, avec une contribution remarquable de Sarah Palin («The America I know and love is not one in which my parents or my baby with Down's syndrome will have to stand in front of Obama's “death panel” so his bureaucrats can decide… whether they are worthy of healthcare»), – et l’on parle désormais de “terroristes politiques” aux USA…
«Palin's astonishing comments were an incendiary contribution to a national debate that is threatening to spill over into civil disorder. Scores of “town hall” public meetings held by Democratic politicians in recent days have been disrupted by Republican supporters or protesters linked to groups funded by the healthcare industry. Some meetings have been cancelled out of a fear of violence. In Missouri six people were arrested at one event. A group of supporters even hung an effigy of a Democratic congressman outside his office; another Democrat has received death threats.
»The efforts have prompted Obama's own campaigning body, Organising for America, which grew out of his presidential campaign, to promise to turn up to public meetings to provide a voice in favour of reform. Several union groups have also vowed to follow suit. In a memo sent to union activists by John Sweeney, president of the AFL-CIO union group, he called on members to go to the meetings to oppose the Republicans.
»The tactics of Republicans, conservative protest groups and healthcare lobbyist-linked organisations have been decried by many commentators. Though Republican leaders and other conservatives have claimed the protests are a genuine outburst of anti-healthcare reform feeling, there have been instances of activists being caught red-handed. One woman who protested at a public meeting held by Wisconsin congressman Steve Kagen, a Democrat, had said she was “just a mom” but turned out to be a former senior Republican party official. “They've become political terrorists, willing to say or do anything to prevent the country from reaching a consensus on one of its most serious domestic problems,” said Washington Post columnist Steven Pearlstein.»
Est-ce cela qui va enflammer l’Amérique, la réforme du système Health Care? La réforme du système de santé a déjà coûté la fortune politique de son premier terme à Bill Clinton, sous la forme d’une sévère correction politique infligée à sa femme, Hillary, devant le Congrès en 1993-1994. Alors, l’esprit était terriblement dépressif. Aujourd’hui, avec des républicains dans l’état que décrit Maher, la colère et la révolte, d’ailleurs dans un sens totalement négatif, voire nihiliste, feraient bien l’affaire. Le schéma est extrêmement un classique de ces temps furieux et idiots: alors que d’énormes crises pèsent sur l’Amérique et secouent le monde, la révolte venue par le biais d’un débat qui, dans ce contexte, devrait figurer comme bien mineur. (le Heatlth Care est “one of [the] most serious domestic problems”? D'accord, dans Amérique qui serait en situation à peu près normale par ailleurs... Mais l’Amérique n’est pas du tout dans une situation normale.)
La révolte par un biais inattendu, c’est répondre aux lois nouvelles de l’“ère de la communication”, où l’on ne sait plus comment va s’exprimer dans la vie publique un malaise politique, où la révolution n’est plus possible mais où le désordre peut naître de l’inattendu. C’est alors que l’Histoire, d’autant plus laissée libre, règle ses comptes: la colère prend un chemin de traverse pour s’exprimer; l’apparent déséquilibre entre la cause et l’effet et l’absence de logique entre la cause et l’effet accentuent les risques du désordre incontrôlable puisqu’on ne voit rien venir et qu’on ne sait pas vraiment par quels moyens en reprendre le contrôle. Cela ne veut pas dire que nous allons vers la révolte avec cette affaire (Health Care) car tout est imprévisible, y compris le destin de l’imprévisible, – y compris, par conséquent, qu’une révolte soudain enflammée et paraissant irrésistible s’éteigne aussi brutalement qu’elle est venue, comme on souffle une bougie. Mais la situation est bien illustrative de la dynamique en cours, dynamique de dégradation, de pourrissement, que ce soit pour Health Care ou pour autre chose demain. Et tout cela, bien entendu, pour BHO lui-même…
Si la perspective du pire prend la voie de se concrétiser, BHO en portera toute la responsabilité, lui qui serait alors parvenu à orienter l’effet de toutes ses considérables qualités contre lui-même, contre sa présidence, contre son dessein, – contre son destin, d’ailleurs. BHO croit pouvoir dompter le désordre en tentant d’apprivoiser ses composants mais il ne fait qu’y ajouter son propre désordre que constitue ce choix d’écarter la voie naturelle qui s’offrait à lui. (Celle de la tragédie, certes, de la dramatisation, du Gorbatchev from Chicago.) Par conséquent, il est plus tard qu’il ne croit dans le risque de mettre en péril sa présidence, et dans les risques de voir l’Amérique de la présidence Obama verser dans le désordre. C’est alors que toutes les tensions contenues sur des sujets bien plus graves s’exprimeraient.
A la lumière de la perception des qualités et des faiblesses du caractère de cet homme brillant, il est vrai que BHO présente, certainement “à l’insu de son plein gré” tant tout cela nous ramène au système bushiste, l’alternative du “tout ou rien”. On sent bien qu’avec lui, le risque est considérable, c’est presque une certitude, que sa présidence sera exceptionnelle ou bien qu’elle s’abîmera dans la maladresse chronique de la politique à contretemps avec risque de remous très graves, – autre façon pour sa présidence d’être exceptionnelle, après tout. Il est difficile de concevoir pour ce président un destin qui ne soit pas hors du standard (y compris pour l’échec, y compris pour la trahison, pour ceux qui en font de lui une sorte de super-manœuvre de désinformation ou de tromperie du système). Les comparaisons historiques abondent, qui débordent largement le cadre des lieux communs habituels (outre le lieu commun Kennedy, Rooosevelt et Lincoln, qui sont des références plus significatives); il y a les références historiques non-US, Gorbatchev bien sûr, jusqu’à un de nos lecteurs le comparant, — pourquoi pas, sans nul doute ? – à Marcus Aurelius. Avec BHO, la référence à l’Histoire, et la référence tragique sans aucun doute, est constante.
Justement, il s’agit de l’Histoire. Curieusement, ou plutôt significativement d’une situation où l’Histoire mène le jeu, cette alternative du “tout ou rien” pour les choix fondamentaux de méthodologie politique d’Obama n’en est peut-être pas une au bout du compte, – c’est-à-dire qu’elle n’a guère d’importance pour le terme des choses. Nous serions conduits à penser que même l’option “exceptionnelle”, qui passe d’une façon ou l’autre par la méthode “American Gorbatchev”, entraînerait de toutes les façons une mise en cause du système, comme ferait celle de l’échec de la présidence BHO par cette sorte d’hésitation du caractère qu’on lui voit aujourd’hui, – mais, disons, d’une autre façon, avec une autre allure, avec d’autres conséquences, etc.
On pourrait penser qu’Obama, en paraissant désamorcer le plus explosif de la crise financière à coups de $trillions, en enchaînant sur la crise économique (le “stimulus”), n’a pourtant pas réussi à régler l’essentiel du problème US, qu’il n’en a même pas amorcé le règlement, qu’il est tout simplement passé à côté. Il n’a provoqué aucun choc décisif, il n’a pas su imposer ce climat de tragédie qui mobilise les énergies et ouvre la voie des grands desseins. Il a laissé intactes la rancœur et la colère. Celles-ci s’expriment désormais à propos de tout ce qui leur tombe sous la dent. (D’ailleurs, une relance de la crise financière par l’un ou l’autre biais reste dans la liste des plats du jour. Lire ce commentaire de WSWS.org ce 10 août 2009, après la 72ème faillite de banque cette année: «Recent bank failures have highlighted the financial system’s unresolved toxic asset crisis.[…] A collapse in the commercial real estate market is now widely feared.»)
Une des caractéristiques principales de la situation d’Obama, c’est la forme de l’opposition qu’ont choisie les républicains. (C’est tout de même un signe qu’il faille choisir chez les républicains “une des caractéristiques principales de la situation d’Obama”.) Elle est complètement exacerbée, extrémiste, nihiliste et d’une certaine façon incontrôlable, y compris par eux-mêmes, les républicains. La situation n’est pas vraiment différente en politique extérieure, – et, sur ce point, nous différons complètement de l’avis de Rupert Cornwell…
«Abroad, optimism is still the order of the day. The style, and in some ways the substance, of US foreign policy has been transformed. America's image in the world is vastly improved. This administration, unlike its predecessor, is serious about climate change. It is making a real, and more even-handed, push for peace in the Middle East. If it is deepening its involvement in Afghanistan, it is finally beginning to disengage from Iraq. The national security team, starring Hillary Clinton, and featuring such big beasts as the vice-president, Joe Biden, Robert Gates at the Pentagon, and special envoys like Richard Holbrooke and George Mitchell, seems to be working smoothly with none of the rows that splintered the Bush team.»
Notre appréciation est que, au contraire, la politique extérieure d’Obama, qui est partie sans aucun doute vers des orientations innovantes, s’enlise d’ores et déjà, et cela parce que le président ne parvient pas à imprimer sa marque, à prolonger l’impulsion sur un mode volontariste. La politique géorgienne, telle qu’on le constate ce même 10 août 2009, est le dernier exemple en date, qui réduit les ambitions d’une nouvelle “politique russe” à quelques abats qui marquent tout de même une retraite de Washington. Là aussi, en effet, il ne s’agit pas d’un “retour à la normale” (à la situation Bush), parce qu’entretemps la crise a fait son œuvre et exposé au monde l’affaiblissement dramatique des USA. C’est plutôt un enlisement dans une situation de faiblesse US. Dans ce cas également, enlisement ne signifie pas du tout apaisement; les oppositions peuvent être explosives quoi que fasse Obama, comme, par exemple, avec Israël, parce que l’opposition à Obama, – à l’extérieur comme à l’intérieur, – est, elle, totalement fondée sur l’exacerbation extrémiste de l’époque Bush, – cette “politique de l’idéologie et de l’instinct”.
Dans tous les cas d’espèce, Obama a lancé des initiatives intéressantes puis a aussitôt nuancé, freiné, aménagé, pour pouvoir mieux s’accommoder le maximum de parties. Cela, effectivement, ressemble tant à son caractère. Mais le résultat n’est ni l’apaisement, même médiocre, ni l’avancée raisonnable. Le résultat, c’est un capital encore augmenté de frustrations supplémentaires et d’oppositions exacerbées. L’effet à attendre est tout ce qu’on veut sauf l’apaisement.
Admettons qu’il y a deux Obama possibles, et que, pour l’instant, le plus prudent et le moins brillant s’est manifesté presque exclusivement. Cela dit, qu’importe. Dans les deux cas, Obama est un poseur de mines, que ce soit involontaire (c’est le cas actuellement) ou volontairement (s’il lui prenait l’envie de sortir de son moule d’un caractère trop mesuré). Mais qu’importe la beauté du geste; au bout du compte, il ne reste que ceci: posée involontairement ou volontairement, une mine reste une mine. Lorsque l’on marche dessus, elle explose.
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