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11 juin 2003 — Le Chancelier de l’Échiquier Gordon Brown vient d’annoncer que le Royaume-Uni n’était pas encore prêt à entrer dans l’euro, mais sans écarter la possibilité que l’opportunité s’en présente peut-être l’année prochaine. C’est un “non peut-être” ou un “oui mais pas encore”, selon le sentiment qu’on en a. (Les fonctionnaires du Trésor ont déterminé 5 critères d’entrée dans l’euro, que le Royaume-Uni doit satisfaire pour envisager l’entrée dans l’euro d’une façon qui rencontre les intérêts britanniques. Un seul de ces 5 critères est satisfait. Bien entendu ces conditions constituent l’aspect technique de l’entrée dans l’euro, il y a aussi des aspects politiques.)
Pour beaucoup de commentateurs, cette prise de position de Brown est aussi le résultat d’un subtil rapport de forces : Tony Blair, bousculé sur l’affaire des armes de destruction massive irakiennes, a été obligé de céder à son concurrent à l’intérieur du gouvernement, l’“eurosceptique” Gordon Brown. D’autres commentateurs se montrent plus optimistes et voient dans la prise de position du gouvernement britannique une étape d’une évolution qui devrait mener à un référendum sur l’euro l’année prochaine.
Mais l’essentiel de l’appréciation doit être, à notre sens, politique. Les réactions européennes, conditionnées par des apriorismes connus et en sens radicalement contraires (hostilité aux Britanniques ou faveur systématique à toute appréciation qui promeut la cause européenne), sont de peu d’intérêt. Celles qui viennent des États-Unis sont beaucoup plus significatives. On a un avant-goût de ces réactions américaines avec une rapide appréciation du Guardian sur ce thème. L’intérêt de ces réactions, même venant des milieux économiques, est qu’elles sont effectivement très politiques, et elles s’expriment dans les deux sens, d’une façon radicale.
« “It is a very big mistake,” said Jeremy Rifkin, president of the Foundation on Economic Trends in Washington. “Unless the UK becomes the 51st state they are never going to enjoy that advantage of becoming part of the internal market of the United States. For the UK not to understand the importance of becoming part of a seamless internal market of 450 million people is shortsighted.”
» Outside a limited circle of bureaucrats and cognoscenti, the reaction to Mr Brown's decision is expected to be strongest among the ideologues of the right. Although President Bush this month reached out to repair the divisions opened up between America and Europe over the war with Iraq, opinion polls show ordinary Americans are in no mood for reconciliation. The majority continue to hold negative views of France and Germany because of their opposition to the war. In these circles, yesterday's decision was seen as yet another sign of Britain's faithfulness.
» “Parts of the right that don't bother to differentiate among Europeans in any way or don't follow the economy will see this as further evidence that Britain's destiny lies with us, and that we are right to ignore continental Europe,” said Adam Posen, a senior fellow at the International Institute of Economics. »
Cette logique américaine qui fait de l’entrée ou non dans l’euro le fondement d’un choix britannique entre l’Europe et les USA va complètement contre la thèse de Blair qui est que le Royaume-Uni peut et doit assumer les deux choix en même temps. Certains analystes économistes britanniques suivent/alimentent cette conception. Cela donne le raisonnement très remarquable de Hamish McRae, dans The Independent du 10 juin: « Now the eurozone must pass five tests before we join
Economic overview »
McRae montre que la logique de Gordon Brown est bien dans l’idée que ce n’est plus désormais au Royaume-Uni de faire l’essentiel des efforts, ou l’essentiel des modifications économiques, mais bien à l’“eurozone” de faire certaines modifications pour se rapprocher des conditions économiques du Royaume-Uni et permettre à celui-ci d’entrer dans l’euro. Ce raisonnement est évidemment si remarquable qu’on pourrait aller jusqu’à suggérer qu’il préfigure une autre opération, qu’on suggérerait de cette façon, mi-sérieux, mi-ironique : ce pourrait être l’euro qui entrerait dans la livre sterling, le tout permettant finalement que s’établisse un grand marché transatlantique, mariant l’ALENA (NAFTA) et l’UE.
« If convergence is “not yet”, so too is flexibility, though the problem seems to be the flexibility of Europe, not of us. The Chancellor noted a string of areas where continental Europe was insufficiently flexible. These included reform of the stability and growth pact, reform of the European Central Bank, uncertainties over the European Convention and the need for tax competition, not tax harmonisation.
» True, there were areas where we needed more flexibility. These included public-sector pay. The Chancellor did not say it but official calculations suggest public-sector pay is up to 40 per cent above market levels in some regions including the North-east and Northern Ireland, and it is 10 to 15 per cent below market levels in London and the South-east. This is causing huge distortions, and encouraging the shift of private-sector jobs from these regions, for the private sector cannot compete for good people against public- sector pay scales. But getting more flexibility into public-sector pay will not be easy, especially if Europe gets the blame. The main changes, though, were those that the Chancellor requires of Europe. Reading this speech, with that at the CBI last month, it is possible to identify five tests the eurozone will have to pass before it qualifies for sterling to become a member. We are promised a report on reform in more detail this week but, meanwhile, here is the “five test” version.
(...)
» That would indeed be the “programme of European economic reform” that the Chancellor referred to at the end of his speech yesterday. It would also help clear the path to the “fully effective transatlantic economic partnership between Europe and the USA” that the Chancellor called for early in the speech. That would indeed be radical — a free trade area joining Nafta and the EU — much more radical than the matter of whether the time is ever right for Britain to adopt the euro. »
On appréciera l’argument pour ce qu’il vaut, en remarquant tout de même que c’est aujourd’hui une attitude bien souvent rencontrée chez les Britanniques dans les matières européennes, qui s’énonce par cette sorte de discours : “nous sommes un modèle, au lieu de nous demander de changer, l’Europe n’a qu’à changer pour s’adapter à nous”. Les Britanniques semblent n’avoir rapporté que cela de leurs aventures irakiennes : une arrogance à l’égal de l’américaine, en un peu moins justifiable. D’autre part, cette radicalisation du propos, en verrouillant les intérêts essentiels du Royaume-Uni vus de la façon la plus étroitement insulaire, est aussi la marque de la crise profonde que traverse le monde politique britannique.
Enfin, l’important est d’apprécier la rapidité de la politisation de la question de l’euro pour ce qui concerne le Royaume-Uni. La vision générale, d’une manière ou l’autre, est que l’entrée ou non dans l’euro est devenue, pour le Royaume-Uni, une question politique qui a essentiellement à voir avec la confrontation entre ses relations avec les USA et son engagement européen.